PRETORIA – En 2015 les Africains avaient de bonnes raisons d'espérer que les 193 pays membres de l'ONU adopteraient les Objectifs de développement durable. Il s'agissait de mobiliser un large éventail de ressources nationales et internationales pour y parvenir, et de mettre fin à la pauvreté d'ici 2030 "sans laisser personne" sur le bord de la route.
Or l'endettement public croissant, le ralentissement généralisé de l'économie et l'affaiblissement du multilatéralisme empêchent beaucoup de pays africains de progresser. Confrontés à ces difficultés, ils doivent améliorer la gestion des finances publiques (GFP) pour atteindre les Objectifs de développement durable. Pour cela, en collaboration avec leurs partenaires de développement, ils doivent réexaminer leur stratégie habituelle pour répondre au problème complexe de leurs finances publiques.
La plupart de leurs budgets publics sont déjà sous tension, sans même prendre en compte le financement des objectifs de développement durable. Et en raison de la baisse du prix des matières premières et de la hausse des taux d'intérêt envisagée par les pays développés, la situation de certains pays africains pourrait s'aggraver.
De ce fait, pour progresser sur la voie des Objectifs de développement durable, ils doivent gérer leurs services publics plus efficacement et à moindre coût. Et beaucoup d'entre eux doivent améliorer la conception de leur politique, sa mise en œuvre et son évaluation, ainsi que l'élaboration et la planification de leur budget.
Ces réformes seront ne seront sans doute pas faciles pour des Etats qui parviennent difficilement à remplir leurs missions de base. Pour certains, gérer l'achat et la livraison de livres scolaires aux écoles rurales en temps voulu paraît une tâche titanesque. Et bien que nombre de pays africains ne disposent pas du budget suffisant pour des investissements pourtant nécessaires, certains ne dépensent que 2% de la somme dont ils disposent en raison d'une politique d'achat inadéquate et d'une administration inefficace.
Le problème commence souvent lors de la préparation du budget. Un défaut de prévision du montant des revenus de l'Etat, un financement imprévisible des donateurs et un processus décisionnel fragmenté peuvent rendre cet exercice acrobatique. Le dernier rapport sur les dépenses publiques et la responsabilité financière (PEFA, Public Expenditure and Financial Accountability) portant sur 40 pays africains souligne que typiquement, leur calendrier budgétaire est rudimentaire et que son application subit souvent des retards importants.
Ces retards s'accompagnent fréquemment d'une mise en œuvre du budget qui laisse à désirer. Cela conduit à des dépenses excessives, à des transactions extrabudgétaires et au détournement de ressources initialement destinées à des priorités en terme de développement. La transparence et le contrôle démocratique en pâtissent, notamment lorsque le pouvoir législatif n'a pas la capacité d'examiner véritablement le budget. Le rapport Pratiques et procédures budgétaires 2015 portant sur 23 pays africains donne un score moyen de seulement 11% à la capacité d'examen du budget par leur parlement.
L'aide au développement ne manque pas pour résoudre ces problèmes. Depuis 2002, les partenaires du développement ont dépensé quelques 20 milliards de dollars pour améliorer la gestion des finances publiques des pays à revenu faible ou moyen. Il existe maintenant une pléthore de services de conseil dans ce domaine, et des centaines de conseillers techniques traversent le continent pour aider les pays en difficulté à mettre de l'ordre dans leurs finances.
Malgré tout cet argent et ces efforts, la gestion des finances publiques africaines laisse encore à désirer. La Gambie par exemple dispose d'un cadre réglementaire moderne pour cette gestion, mais les réorientations fréquentes des affectations budgétaires créent des divergences entre affichage budgétaire et dépenses réelles. Les dépenses hors budget restent fréquentes au Libéria, malgré les aides bilatérales et multilatérales destinées à améliorer la crédibilité budgétaire du pays.
Beaucoup d'investissements destinés à la gestion des finances publiques en Afrique ont servi à financer des systèmes informatisés de gestion financière intégrée (IFMIS) qui devaient résoudre des problèmes tels que la corruption, le manque de transparence, l'insuffisance des comptes à rendre ou la mauvaise qualité des services.
Mais le plus souvent cela a échoué parce que la plupart de ces problèmes tiennent à une multitude de facteurs intriqués entre eux. Certains, purement techniques, peuvent être résolus en appliquant une solution connue, comme l'adoption d'un système informatique approprié ou la recherche d'une meilleure pratique. Cependant, dans nombre de cas les problèmes sont plus complexes et s'enracinent dans le contexte local. De ce fait, quand les solutions proviennent de l'extérieur, en général elles échouent.
Ces dysfonctionnements sont plus fréquents dans les services publics tels que les écoles et les hôpitaux où la connaissance empirique des conditions locales joue un rôle critique. Une grande partie du développement dépendant de ces institutions, cela augure mal des chances de l'Afrique de parvenir aux Objectifs de développement durable.
Il faut une nouvelle approche des finances publiques pour aider les pays africains à mieux définir leurs priorités, à mieux élaborer leur budget et à fournir aux citoyens les services dont ils ont besoin. Au lieu de s'appuyer sur une solution passe-partout, cette approche devrait prendre en compte la nécessité d'une gestion avisée des contraintes politiques et administratives et d'une compréhension en profondeur du contexte local.
Le processus de réforme devrait donc accorder une place centrale aux responsables gouvernementaux et viser à un changement par étape. Ainsi, en collaboration avec l'université de Harvard, notre organisation utilise l'Adaptation itérative en fonction des problèmes (PDIA, problem-driven iterative adaptation) pour aider les responsables des finances publiques à travers l'Afrique à analyser des problèmes complexes et à expérimenter des solutions. Cet apprentissage par l'action est encore très peu courant pour réformer la gestion des finances publiques.
Il n'existe pas de raccourci pour construire une administration publique efficace ou pour atteindre les Objectifs de développement durable. Mais en élaborant de nouvelles méthodes plus appropriées pour gérer leurs finances publiques, les pays africains pourraient faire des pas de géant dans la bonne direction.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Biniam Bedasso est spécialiste en finances publiques et chercheur à l’Initiative africaine concertée sur la réforme budgétaire (CABRI, Collaborative Africa Budget Reform Initiative). Neil Cole est secrétaire exécutif de CABRI.
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