À Nouadhibou, une visite présidentielle aux allures de vitrine… sur fond de fractures non résolues | Mauriweb

À Nouadhibou, une visite présidentielle aux allures de vitrine… sur fond de fractures non résolues

lun, 28/07/2025 - 20:25

Lundi 28 juillet 2025, la ville de Nouadhibou a été le théâtre d’une intense activité présidentielle. Le chef de l’État, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, y a inauguré plusieurs infrastructures majeures : le complexe industriel « Smek » pour la valorisation des petits pélagiques, le lancement du câble sous-marin EllaLink, la pose de la première pierre pour l’extension du quai du port autonome, ainsi que celle d’une école de formation aux TIC. Une journée riche en symboles, traduisant l’ambition présidentielle de faire de Nouadhibou une plateforme économique et numérique d’envergure.

Mais au-delà des cérémonies et des chiffres affichés, la ville peine toujours à cacher ses fractures. Loin des discours officiels, la réalité du quotidien nouadhibien demeure celle d’une population en proie à des difficultés structurelles, entre services de base défaillants, chômage massif, pollution chronique et sentiment d’abandon.

Une ambition industrielle affichée…

Le président a tout d’abord inauguré le complexe industriel « Smek », fruit d’un partenariat entre la SMCP, l’Organisation arabe pour l’investissement agricole et des investisseurs nationaux. Avec ses 28 millions de dollars d’investissement, ses 400 tonnes de capacité journalière et ses 10 000 tonnes de capacité de stockage, le site promet de transformer la pêche aux petits pélagiques en source majeure d’emplois et de valeur ajoutée.

Un peu plus loin, au port autonome, la pose de la première pierre pour la réhabilitation du quai commercial marque également un pas important. Coût estimé : 451 millions MRU. Objectif : relancer un outil stratégique à l’arrêt, à cause de la vétusté de ses infrastructures.

Sur le plan numérique, le lancement du câble sous-marin EllaLink reliant la Mauritanie à l’Europe promet de faire du pays un hub régional en connectivité internet. Une annonce ambitieuse, soutenue par l’UE et la BEI à hauteur de plus de 43 millions d’euros, censée améliorer la vitesse d’internet et baisser les coûts de 20%.

Enfin, la première pierre d’un établissement technique dédié aux TIC a été posée, avec 9 salles de cours, 16 laboratoires et des logements pour étudiants, pour un montant de 174 millions MRU.

… mais une ville en panne de services essentiels

Ces projets, s’ils sont prometteurs sur le papier, contrastent cruellement avec les réalités que vivent les habitants de Nouadhibou.

  • Une route nationale à l’agonie : il suffit d’emprunter la RN1 entre Nouakchott et Nouadhibou pour se rendre compte de l’état déplorable de cette artère vitale. Les camions y circulent au ralenti, les accidents s’y multiplient, et les délais logistiques sapent toute ambition de compétitivité.
  • Pénurie d’eau chronique : Nouadhibou, ville côtière, manque paradoxalement d’eau. Les coupures sont fréquentes, les citernes privées prolifèrent, et les quartiers périphériques restent marginalisés. Aucune mention de projet structurant sur l’eau durant la visite présidentielle.
  • Électricité intermittente : alors même que le câble EllaLink promet une révolution numérique, l’électricité locale reste instable. Coupures à répétition, groupes électrogènes omniprésents : comment rêver de numérique sans énergie fiable ?
  • Pollution à tous les étages : déchets plastiques omniprésents, odeurs nauséabondes de farine de poisson, nappes de gasoil au port : la capitale économique est aussi une zone sinistrée sur le plan environnemental, malgré les grands discours sur la durabilité.
  • Un chômage qui mine la jeunesse : malgré les annonces d’emplois directs et indirects, le sentiment d’exclusion demeure fort chez les jeunes, peu ou pas concernés par ces projets structurés, souvent confiés à des entreprises extérieures sans réelle implication locale.

 Un décor soigné… mais un quotidien dégradé

La visite du président a mobilisé l’ensemble de l’administration locale, des cadres, et une partie des médias nationaux. Le décor était parfait. Mais le contraste entre l’image projetée et la réalité vécue est saisissant.

Des milliers de jeunes sortent chaque année des établissements sans perspective d’emploi. Les quartiers périphériques s’étendent sans assainissement ni routes. Et aucun échange direct n’a été prévu avec les populations sur leurs priorités immédiates : accès à l’eau, soins, sécurité, emploi.

Une visite symbolique… ou symptomatique ?

Le Président Ghazouani a sans doute voulu donner un signal fort : Nouadhibou reste au cœur de sa vision de développement. Mais tant que les promesses restent concentrées sur les grandes infrastructures sans impact direct sur le quotidien des citoyens, le scepticisme persistera.

Car pour les habitants, le vrai défi n’est pas de se connecter à l’Europe à 200 Gbit/s… mais d’avoir de l’eau courante, une route praticable, un emploi digne et un environnement sain.

Conclusion : un élan à confirmer… sur le terrain

Nouadhibou n’a pas besoin que de symboles. Elle a besoin d’un plan de sauvetage global : urbain, social, écologique. Les investissements industriels sont importants, mais ils doivent s’accompagner d’une refonte des services publics, d’une meilleure gouvernance locale et d’une vraie inclusion citoyenne.

Autrement, ces projets risquent, comme tant d’autres, de rejoindre la longue liste des infrastructures déconnectées des urgences de la population. La capitale économique mérite plus que des fondations posées au pas de course : elle mérite une vision à la hauteur de ses attentes.