Lorsqu’il est accueilli à 15 heures ce mardi 12 février au pied de son avion par tout ce que la deuxième ville du Tchad compte d’hommes en treillis, Idriss Déby a été parcimonieux en déclaration à la presse.
Sans doute le président tchadien ne souhaitait pas aborder la question des bombardements français sur les colonnes des rebelles de l’UFR pour lui éviter un nouveau «coup d’Etat». Pour la visite présidentielle à Abéché, le pouvoir met en place une préoccupation d’Idriss Déby de la situation sécuritaire. Mais difficile de ne pas faire le lien avec l’intervention militaire française.
La concomitance des deux événements relève-t-elle d'un pur hasard de calendrier? Au moment où l'avion d'Idriss Déby se posait à Abéché, dans la province de l'Ouddaï, à l'est du pays, aux confins de la frontière soudanaise, Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, justifiait devant l'Assemblée nationale, la vague de frappes françaises contre les rebelles de l'Union des forces de la résistance (UFR).
Les 750 km qui séparent N'Djamena, la capitale du Tchad, d'Abéché, deuxième ville du pays, n'ont pas découragé Idriss Déby qui y est en visite depuis ce mardi 12 février, accueilli par un escadron des hauts gradés de la région. «Cette visite s'inscrit dans le cadre du contact permanent avec la population. Les rencontres avec les différentes sensibilités inscrites dans l'agenda de la visite, devront permettre au chef de l'Etat de s'enquérir de la situation globale de la province», justifie officiellement la présidence tchadienne dans une communication sur son site.
En chef de guerre, le président tchadien visite cette région, théâtre de plusieurs bombardements de l'armée tchadienne au nom de la lutte contre le terrorisme. L'Etat tchadien, en pleine démarche de réorganisation de sa capacité opérationnelle de ses forces armées, envisage de doter l'Est, d'une base militaire pour mieux contrer la menace. Et pourtant, à y voir de plus près, d'autres raisons semblent guider ce déplacement présidentiel.
Le «coup d'Etat» écarté, Déby au contrôle
A l'appel d'Idriss Déby, l'aviation française a bombardé plus d'une vingtaine de fois, une colonne d'une quarantaine de pickups des rebelles de l'Union des Forces de la résistance (UFR), à l'aide d'une flotte de Mirage 2000, des avions de chasse, appuyés par un drone Reaper, ravitaillés par un C135, entre le 3 et le 6 février. Officiellement, c'est à l'appui du dispositif Barkhane et dans le cadre d'un accord avec l'Etat tchadien, que l'opération a été menée pour éviter une « déstabilisation»du Tchad.
«Il y a eu une attaque d'un groupe rebelle venu du sud libyen, qui est déstabilisé, pour prendre le pouvoir par les armes à N'Djamena et le président Déby nous a demandé par écrit une intervention pour éviter ce coup d'Etat venu du sud libyen, et pour protéger son propre pays», a répondu Jean Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères devant l'Assemblée nationale, ce 12 février. En clair, les rebelles de l'UFR, qui avaient déjà encerclé le Palais Rose de N'Djamenaen 2008 dans le but de s'emparer du pouvoir, auraient tenté de récidivé dix ans plus tard. Dans les deux cas, le pouvoir d'Idriss Déby a été sauvé in extremis par l'armée française.
Difficile donc de ne pas relier le déplacement présidentiel à cette sortie du chef de la diplomatie. Après l'arrestation de 250 rebelles capturés dans l'opération contre leur colonne, annoncée comme une prise de guerre, Idriss Déby, qui voit la menace rebelle s'éloigner, se montre en chef de guerre dans une tentative de démontrer qu'il est toujours au contrôle. Cependant, en dépit des précautions légales de la France, son pouvoir qui a dû avoir eu recours à une force étrangère, s'en trouve plus fragilisé que jamais. Et il n'est pas dit que des rebelles, jusqu'au-boutistes, soient définitivement écartés du chemin qui mène au Palais Rose de N'Djamena.
Par Ibrahima Bayo Jr. (La Tribune Afrique) via cridem