Les mahadhra mauritaniennes - appelées jadis universités du désert, définies aussi comme écoles coraniques traditionnelles - sont suspectées d’alimenter les filières radicales, extrémistes régionales et internationales.
Abou Yahya Al-Libi, Bechir El-Magribi, Abou Bacir Al-Libi, Abou Seyaff El-Tounissi, Iyad Ag Ghali, Aaron Yoon, Ali Medlej, Xristos Katsiroubas, Maxime Hauchard (alias Abu Abdallah al Faransi), sont des noms qui ont défrayé la chronique.
Venus en Mauritanie pour s’instruire dans les mahadhra, leur évocation alimente l’hypothèse que la mosquée et la mahadhra mauritaniennes sont autant de pépinières du djihadisme.
Or, ces mahadhra jouissent, depuis plus de 800 ans, d’une solide réputation d’écoles coraniques et sont l’équivalent d’universités des sciences islamiques. Elles ont formé d’éminents savants (oulémas) reconnus dans la sous-région et même hors du continent pour leur formation et leur savoir.
« L’enseignement des mahadhra, particulièrement recherché pour son accessibilité, sa richesse, sa diversité, est demeuré fidèle aux mêmes normes qu’elle a toujours dispensé selon les mêmes pratiques » explique Mohamed Fall Ould Bah, chercheur et directeur du CEROS ( le Centre d’études et de recherches sur l’Ouest saharien).
Selon lui, le problème ne se poserait pas, en termes de contenu de l’enseignement religieux transmis au sein desmahadhra mauritaniennes - mais plutôt de débouchés et de perspectives professionnelles pour ses diplômés. « Des sortants qui viendraient grossir les rangs des jeunes marginaux en mal de reconnaissance et d’avenir » conclut-il.
Les universités du désert : un tremplin pour les recruteurs djihadistes ?
« Non, on ne peut pas incriminer le contenu de l’enseignement traditionnel » dit Mohamed Mahmoud Ould Aboulmaali, écrivain-journaliste spécialiste des groupes armés au Sahara. Mais, ajoute-t-il, la configuration des mahadhra et leur mode de vie particulier, en font une source idéale d’infiltration pour l’endoctrinement des jeunes. Les groupes extrémistes du Maghreb envoyaient leurs recruteurs dans les mahadhra mauritaniennes pour enrôler des candidats au djihad.
Selon le journaliste, Abou Yahya Al-Libi, l’un des chefs charismatiques d’Al-Qaida, serait venu en Mauritanie à la fin des années 80, pour apprendre les connaissances qui l’aideront à construire son discours religieux. Il s’est alors rendu compte de l’absence de vigilance des cheikhs (les maitres enseignants) des mahadhra, et de l’accessibilité des étudiants. Et c’est à partir de ce moment-là que les infiltrations de discours extrémistes, via des cassettes de Ben Laden ou des brochures, ont commencé dans les mahadhra.
Et les mahadhra des villes, sont-elles à l’abri des infiltrations ?
Depuis le milieu des années 2000, l’infiltration des mahadhra rurales est devenue plus complexe, grâce au système sécuritaire mis en place par les autorités mauritaniennes. Mais la ville, et sa pléthore de mosquées et de mahadhra, offre encore des espaces opératoires potentiels surtout auprès des communautés fragilisées.
Ould Aboulmaali est convaincu que, par exemple, les étudiants sub-sahariens, motivés pour l’apprentissage religieux, constituent une cible parfaite pour les enrôleurs. Ils sont, généralement, peu outillés pour discerner entre le bon et le mauvais discours, souvent isolés et donc très influençables. Le risque est d’autant plus élevé s’ils sont dans une situation de précarité matérielle.
Or en 2012, il y aurait un quart d’étrangers sur les 163.912 étudiants recensés dans les 1.836 mahadhra en Mauritanie selon le ministère de l’Orientation Islamique. La plupart de ces étrangers viendraient de la sous-région, et souvent en groupe, à travers des filières traditionnelles de talibés (appellation traditionnelle d’étudiants).
Le récit de l’étudiant gambien Isma ïl, illustre bien ce cas de figure. Pour écouter cliquer ou copier ce lien https://www.youtube.com/watch?v=Dgm58Dq54ig
« J’avais 10 ans lorsque mon père, me confiait en 1992, à une mission de l’institut Ibn Abbas de Nouakchott », dit-il. « Cette mission visitait les mosquées en Gambie, proposant de prendre en charge leurs enfants désireux d’apprendre le Coran. Mon père, qui est Imam, connaissait de réputation les mahadhra mauritaniennes et voulait que j’apprenne le Coran. »
Ismaïl rejoint alors un groupe de 40 enfants, dont le plus âgé n’a que 14 ans. Leurs familles n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, car en Gambie l’enseignement est payant.
Ismaïl se souvient encore très bien de la mahadhra a-Taqwa qui l’avait accueilli pendant près de vingt ans et de son tuteur, le Faqih Mohamed Fadel Ould Mohamed Lemine. Il en parle avec beaucoup de nostalgie.
Située en plein cœur de Tevragh Zeina, un quartier résidentiel chic de Nouakchott, la mahadhra d’a-Taqwa accueille en permanence des étudiants étrangers. En plus de l’enseignement, elle leur offre le gite et le couvert dans un cadre sécurisant.
Mais, la mahadhra d’a-Taqwa ferme ses portes en 2011 et les étudiants gambiens qui s’y trouvaient, sont dans la rue. Ils squattent une maison abandonnée, située à coté, et s’en servent comme abri beaucoup plus que de domicile.
Depuis ce jour, ils continuent à y accueillir leurs compatriotes, à apprendre, mais aussi à enseigner le Coran à leurs cadets (mauritaniens et étrangers) comme le faisait la mahadhra d’a-Taqwa.
Aujourd’hui, sans aucune ressource, ces étudiants clandestins, vivent dans le dénuement le plus total. Leur abri insalubre, qui leur sert d’école et de dortoir, ne possède aucune commodité : ni eau potable, ni électricité, ni sanitaires.
Ismaïl qui repart dans son pays après une longue période d’absence, s’inquiète sur le sort de ses compatriotes qui resteront derrière lui. Il veut rentrer, car dans son pays, beaucoup de jeunes enfants tout aussi démunis, l’attendent pour apprendre. Il espère ouvrir une mahadhra comme celle qu’il a connu en Mauritanie et pour se faire, n’hésite pas à solliciter l’appui de tous ceux qui veulent bien l’aider.
Les universités du désert en voie de disparition ?
Infiltrations d’idéologies étrangères, mutations sociales, commerce religieux, concurrence anarchique, etc. Que deviendra la mahadhra traditionnelle, avec ses valeurs d’altruisme, de partage, de générosité, avec son enseignement vénérable qu’elle diffusait, face à toutes ces incursions et turbulences ? Parviendra-t-elle à survivre et à sauvegarder son riche patrimoine universel dans le monde tourmenté d’aujourd’hui ?
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