« La vie », disait Shakespeare, « est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ». Entre nous, cela ne ressemble-t-il pas, un peu, à ce dialogue dont on nous bassine les oreilles, depuis quelques années ; que le pouvoir appelle, du bout des lèvres, de tous ses vœux ; qu’une opposition dite de velours réclame et qu’une autre, prétendue radicale, rejette systématiquement ? Pourquoi tant de bruit et de fureur, pour un dialogue qui ne signifie… rien ? Que signifie d’ailleurs dialogue, dans une démocratie « normale » ? A-t-on jamais entendu un président français ou américain appeler son opposition à venir discuter autour d’une table ? De quoi donc parler ? D’une modification de la Constitution ? De la limitation des mandats ? De l’âge des candidats à la présidentielle ? Il est vrai que notre prétendue démocratie n’a rien de normal. Un exemple parmi tant d’autres : il y a quelques années, le président de l’Assemblée nationale et le maire de la plus grande ville du pays étaient membres de l’opposition. Aujourd’hui, tout est aux couleurs du parti/Etat : écrasante majorité de députés, sénateurs et maires, ministres, secrétaires généraux et directeurs systématiquement tenus à émarger au parti présidentiel, mafia politico-militaro-affairiste qui fait main basse sur le pays et veut réduire au silence toutes les voix discordantes….
Dans ces conditions, comment et avec qui dialoguer ? Et, bien avant que de politique, ne doit-on pas, d’abord, causer éducation, santé, justice sociale, partage équitable des ressources et poser, sur la table, les problèmes qui touchent la vie réelle des citoyens ? En quoi nous concernent les chamailleries des politiciens autour d’un dialogue qui n’est, tous comptes faits, qu’un leurre, un trompe-l’œil jeté en pâture à l’opinion, pour l’occuper et lui faire oublier un quotidien de plus en plus difficile ?
Crise ? Mais ce même pouvoir, à qui le dialogue paraît, soudain, la panacée pour sortir le pays de la tourmente, ne refusait-il pas, hier encore, de reconnaître ne serait-ce que l’ombre d’un nuage ? Il faut bien que le peuple s’amuse et, s’il lui faut des nuages pour cela, ma foi, se sera-t-on dit, là-haut, entre la poire et le fromage, qu’on lui en donne ! Le ciel est noir, dit l’opposition. Peignez-le en bleu, ordonne le Prince, avec quelques nuages, blancs. Mais n’est-ce pas de s’être tant persuadé que « la vérité est une chiennequ'on doit laisser au chenil », que le cœur du pauvre roi Lear se brise, au final, et avec lui, son peuple ?
Ahmed Ould Cheikh (Le Calame)