El Hassen Salihi homme de lettres, généalogiste et spécialiste des tribus arabo-berbères, fut condamné à deux années de prison fermes pour avoir osé remettre en question le statut traditionnel chérifien de certaines familles et autres tribus de la sous région. Après avoir purgé l’intégralité de sa peine, il est récemment sorti de prison mais l’histoire est têtue, et pour cause…
Après le tumulte suscité par les écrits d'El Hassen Salihi, voici que le débat sur l'histoire mauritanienne est ravivé par les travaux de feu Geneviève Désiré-Vuillemin. Célèbre africaniste et historienne émérite, elle a profondément marqué l'étude de la Mauritanie à travers son ouvrage monumental, "Histoire de la Mauritanie, de l’origine à l’indépendance", paru en 1997, édition Karthala.
Feu Geneviève Désiré-Vuillemin a dépeint une Mauritanie dont les contours historiques divergent considérablement des récits locaux contemporains. Elle a décrit un pays façonné par des dynamiques sociales complexes : d'un côté, les nomades berbères venus du Maghreb, notamment les Zwayas, et de l'autre, les agriculteurs sédentaires africains arrivés du Sud, principalement du Sénégal. Cette dichotomie, selon elle, a été exacerbée par les invasions arabes, à partir du XIe siècle, menées par les Banu Hassan et les Banu Maqil, des groupes décrits comme des guerriers déterminants dans l'histoire mauritanienne.
Pour l’auteur, l’histoire de la Mauritanie a été donc façonnée par trois grands groupes : les nomades berbères du Maghreb (Zwayas), les agriculteurs sédentaires africains venus du Sud et à partir du XIe siècle les arabes, Banu Hassan et Banu Maqil (tous guerriers dans le jargon local).
D’ailleurs, un collectif d’historiens dans un ouvrage, Introduction à la Mauritanie souligne « Après la guerre de Charr Baba qui se termina par l’écrasement des Zwayas à Ten Yefdad (1614). Les vainqueurs Banu Hassen se partagèrent les vaincus qui gardèrent la liberté mais devinrent leurs tributaires, furent désarmés et durent payer la protection de leurs suzerains ».
Le récit de Désiré-Vuillemin résonne encore aujourd'hui avec une pertinence qui dérange certains cercles historiques locaux. Elle a affirmé que les tribus arabes, après l'introduction du chameau dans le Sahara, ont acquis une supériorité économique et politique sur les populations berbères nomades et noires agricoles, bouleversant ainsi l'équilibre démographique et social de la région.
Cependant, son analyse n'a pas été accueillie sans opposition. Des historiens locaux, souvent influencés par des intérêts politiques et culturels contemporains, contestent ses interprétations les taxant d’être sorties d’un moule colonial.
Le parallèle avec le cas d'El Hassen Salihi est frappant : lui aussi a été victime de la rigidité des autorités face à des interprétations historiques alternatives. Condamné à deux années de prison fermes pour avoir remis en question des statuts tribaux traditionnels, Salihi a été libéré récemment après avoir purgé sa peine de deux années de prison fermes. Cependant, son cas a soulevé des questions fondamentales sur la liberté académique et la critique historique en Mauritanie.
Dans ce contexte, se pose la question de savoir si les écrits de Geneviève Désiré-Vuillemin, aujourd'hui posthumes, pourraient être soumis à un examen similaire. Va-t-on lui faire un procès post mortem pour crime de lèse-majesté ?
Pour les défenseurs de la liberté intellectuelle, les travaux de Geneviève Désiré-Vuillemin représentent une contribution significative à l'histoire mauritanienne, offrant une perspective équilibrée et nuancée sur les dynamiques ethniques et sociales qui ont façonné le pays. Ils plaident pour une lecture critique et ouverte de son héritage intellectuel, loin des pressions politiques et des agendas nationalistes étroits.
L'héritage intellectuel de Geneviève Désiré-Vuillemin continue de susciter le débat en Mauritanie. Ses écrits, tout comme ceux plus modestes mais percutants d'El Hassen Salihi, soulignent la nécessité d'une histoire rigoureuse et inclusive qui embrasse la complexité des sociétés africaines et arabes.
La Mauritanie, en réexaminant son passé à travers des prismes multiples, pourrait trouver une voie juste vers une compréhension plus profonde et plus respectueuse de son histoire et de ses peuples. Et ce n’est pas le procès injuste et honteux fait à l’éminent chercheur El Hassen Salihi qui va faire taire ceux qui refusent d’accepter une histoire fausse et galvaudée de la Mauritanie.
Source : Benou Saleh