Senalioune - La police a arrêté arbitrairement plusieurs jeunes à Bababé, au sud de la Mauritanie. Ces arrestations sont une anticipation d’une manifestation que ces jeunes organisent chaque année pour commémorer à leur insu le 28 novembre.
L’année dernière ces jeunes avaient été battus et maltraités pour avoir manifesté. L’un d’entre eux avait perdu une denture. En Mauritanie le 28 novembre, fête d’indépendance, n’est plus célébré par la majorité des negro-mauritaniens.
Le 28 novembre 1990, 28 militaires mauritaniens de la base d’Inal, dans la région de Nouadhibou précisément, sont pendus pour célébrer de façon macabre le trentième anniversaire de l’indépendance.
Depuis ce jour des victimes et orphelins rappellent à toute une communauté du pays un moment de son histoire, où le système d’état à sa tête a tenté, littéralement d’oblitérer les forces vives, militaires et intellectuelles noires mauritaniennes.
La pendaison des 28 d’Inal a été minutieusement orchestrée et préparée. La veille, les prisonniers sont sélectionnés parmi tous ceux qui ont été arrêtés les semaines précédentes, et marqués d’une croix et d’un numéro allant de un à 28, comme de vulgaires sauvages. A minuit, les hommes sont conduits devant un hangar. La suite est odieuse : pendus un à un comme s’il s’agissait d’une formalité.
Dans son livre, L’enfer d’Inal, l’un des rescapés, Mahamadou Sy, décrit un caporal, qui « prend le temps de siroter un verre de thé assis sur un cadavre, en attendant de pendre le suivant. Ceux qui tardent à mourir sont frappés d’une barre de fer. La pendaison dure une heure.
Quelques minutes après, les corps sont enterrées sur un terrain derrière la base d’Inal. Les rescapés sont libérés quelques mois plus tard ». Mahamadou Sy raconte qu’on lui a demandé d’oublier ce qui s’est passé, et de mettre cela sur le compte de la fatalité. Certains militaires sont radiés, les autres mis à la retraite.
Le refus de mémoire, donc le refus de cautériser une plaie, parmi d’autres qui tâchent le contrat social entre concitoyens pose la redoutable et lancinante question de la cohabitation, qui n’est qu’une question, au final, politisée par une minorité d’un système.
Mais c’était révélateur d’un malaise social : comment admettre, honnêtement, justement, sans aucun parti pris, que l’horreur a déferlé sur les consciences lors de cet événement. La déshumanisation d’un groupe ethnique, social ou culturel, sur la base d’une «infériorité» supposée, pour mieux la liquider fut la règle.
Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte, barbare et anti progressiste.
Cet événement doit être rappelé à tous les mauritaniens, pour leur montrer que malgré cette horreur, les choses peuvent être dépassées mais pas, jamais, sans justice. Est il besoin de rappeler à la conscience individuelle et collective que sans un devoir de mémoire, de justice et de vérité aucune forme de réconciliation n’est possible dans ce pays lourdement divisé par des faits que l‘histoire retient et qui attise la difficile cohabitation entre les différentes communautés.