Le Calame - La justice mauritanienne a annoncé que l’ex-président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz et plusieurs de ses anciens collaborateurs seront jugés pour faits de corruption et abus de deniers publics. Les lenteurs observées dans la gestion du dossier avaient fini par installer comme une espèce de doute chez les Mauritaniens.
Pour beaucoup, la vérité ne serait jamais dite sur des milliards détournés, les ressources nationales pillées, etc. C’était semble-t-il sans compter sur la justice. Ould Abdel Aziz sera bel et bien jugé. Un moment également très attendu par les partenaires techniques et financiers de notre nation.
Ould Abdel Aziz, qui avait annoncé à tous que la bonne gouvernance et la lutte contre les prévaricateurs seront son crédo, est accusé d’être le principal fossoyeur du pays. Depuis son départ du pouvoir, les Mauritaniens ont appris, grâce aux enquêtes d’une commission parlementaire et de la Justice, des choses inimaginables.
Les récentes révélations par Al Akhbar sur les auditions des présumés coupables sont venues corroborer les accusations de la CEP qui dénonçait un véritable pillage à ciel ouvert des ressources nationales.
Mais aucune des personnes entendues n’a assumé ses responsabilités, toutes rejetées sur l’ex-Président. Pourtant aucun de ces « responsables » n’avait osé lever le moindre doigt pour dénoncer les malversations dont il était témoin, pour ne pas dire complice. Personne n’avait eu le courage de démissionner.
Ould Abdel Aziz est certes le premier responsable de ce qui est arrivé. Cela absout-il tous ceux qui ont contribué à ce « scandale de la décennie » ? Économiste de son état et consultant international, le politicien Moussa Fall eut, lui, le courage de documenter la gabegie sous le règne même de l’ex-Président.
Dans un pamphlet intitulé « Une décennie perdue », il avait attiré l’attention de l’opinion nationale et internationale sur la gestion gabegique du régime d’Ould Abdel Aziz. Comme une prémonition.
Doublée du retrait de deux des principaux accusés, l’annonce du procès suscite cependant une interrogation chez les Mauritaniens qui ont du mal à comprendre cette faveur. L’opinion publique cherche les explications. On le saura peut-être au procès, si l’ex-Président Aziz accepte, bien sûr, de se livrer lors des confrontations. L’homme et ses conseils estiment illégale la décision des juges. En cas de refus de répondre au tribunal, la justice usera-t-elle de la force publique pour l’y conduire ?
Comment en est-on arrivé là ?
Si ce procès se tient, il restera dans les annales de la justice et de la politique mauritanienne. Un ancien Président très puissant et adoré en son temps tombe des nues sous la poussée de son successeur et alter ego. Qui l’eût cru ? Personne.
Tellement l’homme était puissant, voire assuré qu’un tel sort ne puisse lui être réservé par un « ami de quarante ans », un homme qui lui était resté loyal durant les dix années de son règne et qu’il avait choisi, pour ne pas dire imposé, aux Mauritaniens en candidat à sa succession. Question, disaient certains, d’assurer ses arrières...
On se souvient encore des images du passage de témoin au Palais des congrès, en présence de chefs d’État africains, arabes et autres étrangers. Le nouveau président Ghazwani se retrouvait ainsi adoubé par son ancien chef et ami.
Ould Abdel Aziz se donnait de surcroît une allure de vrai démocrate, en ne cédant pas à la tentation du troisième mandat. Ils avaient été pourtant très nombreux, les laudateurs de tout acabit qui l’y incitaient et même l’époque l’y encourageait : les modifications faisant sauter les verrous constitutionnels de limitation de mandats étaient alors l’ordinaire des chefs d’État africains.
Repassant la bobine du film, Aziz Ould Abdel Aziz doit reconnaître s’être lourdement trompé sur son successeur et qu’il ne se prendrait pas à deux fois, si c’était à refaire. Un adage pulaar dit qu’on ne prête pas le pouvoir.
Le premier et ancien président camerounais Ahidjo l’apprit à ses dépens. De fait, aucun chef d’État, élu ou non, n’accepte le bicéphalisme. Une tentation qui effleura semble-t-il l’esprit d’Ould Abdel Aziz puisqu’il se permit de convoquer les instances du parti qu’il avait lui-même fondé sans l’avis de son successeur. Un congrès dit de « référence » se tint fin Décembre 2019 et consacra la « dévotion » de l’UPR au nouveau maître Ould Ghazwani.
Second coup de grisou dans les rapports entre les amis de quarante ans, entre le nouveau et l’ancien président, ce dernier n’ayant plus à constater, de jour en jour, que le vide grandissant autour de lui. « Bande d’ingrats ! », devait-il soupirer.
C’est dans ce contexte qu’intervint, fin Janvier 2020, la fondation de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de l’ex-Président. Les députés et leurs experts passèrent au peigne fin sa décennie de pouvoir. Et le ratissage révéla le pot aux roses. Un véritable scandale. Puis le dossier fut confié à la police des délits économiques qui le passa, à son tour, à la justice.
L’épilogue est donc le déferrement des présumés devant un tribunal habilité pour les juger. Ils ont déjà reçu leurs notifications. Voici les conseils de l’ex-Président vent debout contre le jugement de leur client. On en n’espère pas moins que justice soit dite dans toute son impartialité et sa rigueur…
Dalay Lam