Entretien avec Sidi Ould El Kory, secrétaire général de l’Union Pour l’Alternance Démocratique (UNAD) | Mauriweb

Entretien avec Sidi Ould El Kory, secrétaire général de l’Union Pour l’Alternance Démocratique (UNAD)

jeu, 24/03/2022 - 20:41

Le Calame - On ne parle presque plus du dialogue politique en Mauritanie alors qu’on l’annonçait pour imminent, il y a quelque temps. La majorité vous reproche de ne pas être prêts. Qu’en pensez-vous ?

Sidi Ould El Kory : Répondre à cette question appelle à revenir sur le processus que le dialogue ou la concertation a emprunté, de son début à aujourd’hui. Nous, au sein de l’opposition, avons demandé, après l'arrivée au pouvoir du président Ould Ghazwani, l'organisation d'un dialogue national inclusif supervisé par le pouvoir exécutif, où toutes les grandes questions nationales seraient abordées.

Au premier rang desquelles l'unité nationale, l'esclavage et ses séquelles, le passif humanitaire, le processus électoral, la bonne gouvernance, le dossier de la gabegie et les réformes constitutionnelles. Soient des sujets qui contribuent efficacement à l'instauration d'un État de Droit garant de la justice, de la liberté et de la démocratie.

Une fois donné l’aval du Président d’organiser les concertations nationales, la coordination des partis représentés au Parlement – elle comprend les partis de la majorité et de l'opposition – approuva en 2020 une feuille de route déterminant les étapes des pourparlers et les thèmes à débattre.

La première phase portant sur les préparatifs du dialogue devait logiquement se terminer en trois semaines. Mais nous sommes entrés dans une période de tergiversations qui s’est poursuivie plus d’un an, pour ne prendre fin qu’en Août 2021, lorsque le Président reçut la Coordination des partis en lui affirmant l'engagement du gouvernement à superviser le dialogue ainsi qu’à mettre en œuvre ses conclusions.

Et nous sommes entrés à nouveau dans une phase d’atermoiements dont la responsabilité revient au pouvoir et à la majorité, qui s’est poursuivie jusqu’en Octobre de la même année.

Puis une réunion regroupant, aux côtés des partis nationaux, quatre anciens candidats à l’élection présidentielle se tint et fut sanctionnée par un accord portant sur la fondation d’une commission paritaire entre la majorité et l'opposition chargée de préparer le dialogue, dont le président sera nommé par le président de la République, en tant que superviseur des concertations et garant de l’exécution de ses résultats.

Nous attendons toujours et jusqu'à cet instant cette nomination. L'opposition ne peut donc pas assumer la responsabilité du blocage du dialogue. La balle est désormais dans le camp du pouvoir et de la majorité.

- Il y a quelques semaines, les principaux partis de l’opposition ont sorti un communiqué de presse considéré comme très virulent à l’égard du pouvoir en place, alors qu’elle était considérée comme muette, voire complaisante, envers le régime de Ghazwani. L’opposition serait-elle déçue de la manière dont le pays est gouverné depuis bientôt trois ans ?

- Nous n'avons fait que rappeler la conjoncture internationale, régionale et nationale et les grands dangers qu'elle fait peser sur l'unité, la sécurité et la stabilité de notre pays. Au niveau international, la guerre russe contre l'Ukraine jette son ombre sur la région, avec ses complications économiques et sécuritaires.

La situation régionale est caractérisée par l'instabilité dans la région du Sahel, en plus de l'augmentation de la violence et de la criminalité à nos frontières avec le Mali qui s'est transformé en État défaillant.

Sur le plan interne, la situation sociale n'est plus supportable, en raison de la hausse fulgurante des prix des matières premières, du chômage généralisé des jeunes, de la corruption endémique dans les administrations de l'État et de la faiblesse des services publics, Ces situations préoccupantes obligent chacun à privilégier l'intérêt suprême du pays aux intérêts étroits et à œuvrer au renforcement du front intérieur face à ces menaces qui pèsent sur nous tous.

Une utopie, si l’on ne passe pas par un dialogue national inclusif jetant les fondements de la paix sociale et de la stabilité politique.

Nous, au sein de l'opposition, restons constamment armés de la même volonté de participer à ce dialogue et d’œuvrer pour son succès. Mais nous ne pouvons pas attendre indéfiniment. Les élections législatives et municipales approchent et nous avons de nombreux enjeux liés à la réforme du système électoral dont, en premier, la recomposition de la Commission électorale indépendante de manière consensuelle, l’éloignement de la mainmise du sérail et de son influence sur l’opération électorale, le respect de l’incompatibilité du droit et la formation du Conseil constitutionnel.

- Comment appréciez-vous la gestion par le gouvernement du dossier dit de la Décennie et la lutte contre la gabegie ?

- La dernière décennie a été caractérisée par la mauvaise gouvernance politique et économique du pays. L'ancien Président a fait de la richesse nationale une propriété privée. Toutes les ressources du pays, y compris l'or, le cuivre, le fer, le gaz, le pétrole et la richesse halieutique, ont été pillées. Des deals ont été conclus en dehors du cadre de la loi et de grandes institutions nationales ont été mises en faillite, en plus de l’anarchie qui a marqué l’attribution des marchés publics.

Ces fonds publics gigantesques ont été transférés au secteur privé par le biais de prêts fictifs, appuis apportés à de nouvelles banques, constructions de biens immobiliers, dépôts en nature et autres formes diverses de corruption mises à nues par les enquêtes en cours.

Nous, au sein de l'opposition, réaffirmons régulièrement que la restitution de l’argent public et la punition des responsables prévaricateurs est l’unique moyen qui sauvera le pays et déterminera son avenir. Nous considérons donc l'ouverture d'une enquête sur les dossiers de la Décennie et la poursuite des personnes impliquées, comme une étape allant dans la bonne direction visant à dissuader tout celui qui se permet d’abuser des biens publics.

Mais, il reste des insuffisances dans ledit dossier et également en matière de lutte contre la corruption. Il faut travailler. Premièrement : tout l'argent récupéré à ce jour se trouvait à l'intérieur du pays et les montants annoncés sont très dérisoires par rapport aux fonds disparus. Existe-il des fonds détournés à l’étranger et quel est leur sort? Telle est la question en attente de réponse. L'opinion publique nationale doit être informée des détails de la récupération des fonds pillés au cours de la dernière décennie.

Deuxièmement : dans le domaine de la lutte contre la gabegie, le pouvoir est aujourd'hui appelé à débarrasser l'appareil administratif de tout fonctionnaire ou cadre sur lesquels pèsent des soupçons de corruption et à d’ouvrir la voie à de nouvelles compétences. On ne peut parler réellement de lutte contre la corruption au moment où certains visages empêtrés dans la décennie se trouvent encore aux premières loges de la scène politique.

- La tension est montée entre Nouakchott et Bamako, suite à la disparition et au massacre de nos concitoyens en territoire malien. Pensez-vous que la récente visite d’une délégation malienne de haut niveau à Nouakchott a réussi à désamorcer la crise ?

- Tout d'abord, j'adresse mes sincères condoléances à toutes les familles des victimes que nous avons perdues au cours du récent massacre. Je prie Allah le Tout Puissant de les accueillir en Son Saint Paradis. Amine. Quant à votre question, je ne peux pas y répondre clairement. Le dossier est jusqu'à présent entouré de beaucoup de mystère, et nous, au sein de l'opposition, sommes toujours consternés par le silence officiel et le refus d’éclairer l'opinion publique sur le déroulement de l'horrible et tragique drame.

Nous sommes en même temps conscients des conditions difficiles que traverse actuellement le Mali voisin. Elles nous interpellent à être à ses côtés. Nous partageons en commun avec ce pays plus de deux mille cinq cents kilomètres de frontières et toute tension sécuritaire sur cette bande frontalière complexe ne sera pas dans notre intérêt, d’autant plus que nos wilayas de l’Est dépendent fortement des pâturages au Mali.

Il semble qu'il y ait des parties dans la région qui tentent de saper la sécurité aux frontières et déclencher une crise entre les deux États. Ce qui appelle à traiter la question avec sagesse et prévoyance. Le Mali doit pour sa part ouvrir une enquête urgente et indépendante sur la tuerie, identifier ses auteurs et les traduite en justice. Les habitants des wilayas de l’Est doivent de leurs côtés éviter les zones dangereuses aux frontières.

Propos recueillis par Dalay Lam