
Lundi 15 novembre. Le port artisanal de Nouadhibou est une véritable fourmilière. Des centaines de pirogues jonchent encore la surface de l’eau. La cacophonie est seule maitresse des lieux. Des bruits, des hommes et des véhicules circulent dans tous les sens. L’ambiance et la mine joviales sur le quai sont sans doute liées à la reprise des activités de pêche après le sevrage imposé par le dernier arrêt biologique.
Créé en 1996, l’établissement du Port de la Baie du Repos (EPBR), connu encore sous le label de Port Artisanale de Nouadhibou, est le véritablement poumon de notre capitale économique. Chaque jour, ils sont entre 30.000 et 40.000 pêcheurs artisans -ou travaillant dans les activités en annexe à ce sous-secteur- à y déambuler. Ils sont des pêcheurs, des mareyeurs, prestataires…L’EPBR abrite aussi un parc de 5000 pirogues et plusieurs centaines de bateaux côtiers. Seize pontons de 96 mètres chacun, en plus d’un quai de 200 mètres, offre un espace de prédilection à l’activité artisanale. Les différentes activités de débarquement/embarquement, d’avitaillement, de réparation navale expliquent l’engouement de ses usagers. Les 680 magasins pour marin sont bondés d’occupants. A y regarder de plus près l’EPBR est indéniablement le premier levier économique et social dans cette ville. Les hommes et femmes qui s’y côtoient sont issus du même sérail ; pour la plupart des milieux déshérités. Ils trouvent dans la pêche artisanale les moyens de leur survie et même de leur émancipation.
Quelques difficultés au départ
Dans la nuit du 15 au 16 novembre 2021, 2000 pirogues sont prêtes à lever l’encre et fendre allègrement les vagues en direction de leur zone de pêche. L’objectif pour ces pirogues est de profiter de la longueur d’avance de 15 jours de possibilité de pêche avant l’entrée en activité des bateaux industriels. Pourtant, ce chiffre-là laisse pantois. D’habitude, elles ne sont pas moins de 5000 à partir à la réouverture des activités de pêche. Selon les professionnels, parmi les raisons à cette baisse en nombre des pirogues, il y a le déficit en main d’œuvre. Beaucoup de marins se seraient, en effet, reconvertis dans la recherche aurifère en vogue dans le pays. Mais il y a également, de même source, les aléas d’une activité spéculative sur les hydrocarbures depuis que l’Etat a décidé d’en contourner le trafic par un soutien financier direct aux artisans.
Aux 2000 pirogues dans les starting-blocks il faut aussi ajouter près de 400 petits navires pontés (bateaux côtiers) qui, exceptionnellement, et pour éviter l’encombrement et les accidents dans de telles circonstances, sont dans la rade en attendant le départ. Les conditions de travail sur ces bateaux sont plus favorables et le rendement meilleur que sur les petites pirogues.
Au milieu de cette cacophonie l’œil alerte, le DG de l’EPBR, Mohamed Vall Ould Youssouf (Photo), est debout dans la foule scrutant le moindre fait. Son objectif est de rappeler, par sa présence physique sur le quai, l’intérêt que son établissement et à travers l’EPBR, l’Etat accorde à la bonne marche de la reprise de l’activité de pêche en général et présentement celle artisanale à la faveur de la fin de l’arrêt biologique. De par son statut, sa mission et son action, l’EPBR est de fait l’institution dorsale dans le secteur des pêches. Et pour cause, l’EPBR brasse 25000 tonnes de poulpe/an, 20000 tonnes de demersaux/an et 220.000 tonnes de pélagique/an (hors production pour farine de poisson).
Le DG veille personnellement au grain depuis le dernier état des lieux de la structure, mené en juin 2020. «On m’en veut parfois parce que je suis obligé, pour la bonne marche de l’institution, de marcher sur des œufs» confie amèrement Mohamed Vall Ould Youssouf. Pour renforcer son extension et moderniser encore l’EPBR, outre le soutien de l’Etat dans le cadre de l’appui institutionnel, les responsables continuent de miser et de nouer des partenariats et des programmes fructueux et diversifiés avec nombre d’institutions et organismes internationaux.
C’est quand les dernières pirogues s’apprêtent à partir donc que le DG de l’EPBR retourne dans ses bureaux. La capitainerie du port aurait fait du « bon boulot ». Aucun accident, ni heurt entre pirogues n’est à déplorer. Comme il était venu, le DG de l’EPBR se retire discrètement. Une journée de labeur est terminée. Un sentiment de satisfaction pour le travail acharné et les actions menées. Tout d’un coup la ruche cesse de bourdonner. Le brouhaha de l’activité dans la ruche portuaire cède le pas au calme.
Premiers débarquements
Et à propos de bonne marche, les échos provenant de l’océan sont plutôt favorables. Les premiers débarquements attestent que les artisans ont mis les bouchées doubles. Cent cinquante et une tonnes de poulpe c’est la production affichée par les pirogues artisanale le lendemain de la reprise des activités de pêche ; le 16 novembre. La halle bâtie de 300 m2 reprend son lustre d’avant arrêt biologique. La production de 24 à 36 heures est qualifiée par les acteurs d’encourageante. Elle est déjà meilleure avec cette reprise des activités que celle réalisée lors de l’avant-dernier arrêt biologique sur nos côtes. Mais à cette production des pirogues artisanales, les infos qui parviennent de la pêche des navires côtiers en haute mer sont également rassurantes. Les navires côtiers pêcheraient entre 300 à 400 kg de poulpe par jour. Une excellente production selon les acteurs si le rythme se maintient les 5 à 6 jours de marée. Les quantités alléchantes lors de ces premières sorties en mer vont, de l’avis des professionnels, ouvrir la porte à plus de pirogues, les prochains jours, dans cette ruée vers le poulpe. . Le potentiel exploitable de céphalopodes en Mauritanie est estimé à 42.700 tonnes/an, selon les analyses du groupe de travail de l’IMROP (2019). Un potentiel que se disputent les secteurs industriel et artisanal.
JD