Le test du Chamallow de l'économie mondiale | Mauriweb

Le test du Chamallow de l'économie mondiale

jeu, 28/01/2016 - 15:51

L'économie mondiale est en train de donner des prémisses tumultueuses à l'année 2016. Les marchés boursiers sont en chute libre, les économies émergentes sont ébranlées par la forte baisse des prix des matières premières, les afflux de réfugiés continuent de déstabiliser l'Europe, la croissance de la Chine a nettement ralenti en réponse à une inversion des flux de capitaux et à une monnaie surévaluée et les États-Unis connaissent la paralysie politique. Quelques directeurs de banques centrales se battent pour maintenir l'économie mondiale.
Par Jeffrey D. Sachs

Pour échapper à ce chaos, quatre principes doivent nous guider. Premièrement, le progrès économique mondial dépend d'un haut niveau épargne mondial et de forts investissements. Deuxièmement, il faut considérer les flux d'épargne et d'investissements d'un point de vue mondial et non plus national. Troisièmement, le plein emploi dépend de taux d'investissements élevés, qui correspondent à des taux d'épargne élevés. Quatrièmement, d'importants investissements privés de la part des entreprises dépendent d'importants investissements publics dans les infrastructures et dans le capital humain. Passons en revue chacun de ces points.

Tout d'abord, notre objectif mondial doit être le progrès économique, ce qui signifie de meilleures conditions de vie dans le monde entier. En effet, cet objectif a été inscrit dans les nouveaux Objectifs de Développement Durable adoptés septembre dernier par les 193 membres de l'Organisation des Nations Unies. Les progrès dépendent d'un taux élevé d'investissements mondiaux dans le renforcement des compétences, de la technologie et du stock de capital physique pour tirer vers le haut les niveaux de vie. En matière de développement économique, comme dans la vie, on n'a jamais rien sans rien : sans des niveaux élevés d'investissements dans le savoir-faire, les compétences, les machines et l'infrastructure durable, la productivité a tendance à baisser (principalement du fait de la dévalorisation), ce qui fait chuter les niveaux de vie.

Les taux élevés d'investissements dépendent à leur tour de taux d'épargne élevés. Une célèbre expérience de psychologie a montré que de jeunes enfants capables de résister à la tentation immédiate de manger un Chamallow pour en gagner deux autres à l'avenir, étaient plus susceptibles de prospérer en tant qu'adultes, comparés à ceux qui ne pouvaient pas résister. De même, les sociétés qui retardent la consommation instantanée afin d'épargner et d'investir pour l'avenir auront des revenus futurs plus élevés et une plus grande sécurité pour leur système de retraite. (Quand les économistes américains conseillent à la Chine de stimuler la consommation et de réduire l'épargne, ils ne font que colporter les mauvaises habitudes de la culture américaine, qui économise et investit beaucoup trop peu pour l'avenir de l'Amérique.)

Deuxièmement, les flux d'épargne et d'investissements sont mondiaux. Un pays comme la Chine, avec un taux d'épargne élevé qui dépasse les besoins d'investissements locaux, peut soutenir les investissements dans d'autres régions du monde qui épargnent moins, notamment dans les pays à faibles revenus d'Afrique et d'Asie. La population chinoise vieillit rapidement et les ménages chinois épargnent pour leur retraite. Les Chinois savent que le patrimoine financier de leurs ménages, plutôt que de nombreux enfants ou la sécurité sociale du gouvernement, seront la principale source de leur sécurité financière. D'autre part, l'Afrique et l'Asie, à faibles niveaux de revenus, sont des continents pauvres en capitaux et très jeunes. Ils peuvent emprunter aux forts épargnants de la Chine pour financer une accumulation massive et rapide d'éducation, de compétences et d'infrastructure pour soutenir leur propre prospérité économique future.

Troisièmement, un taux d'épargne mondial élevé ne se traduit pas automatiquement par un taux d'investissements élevés : à moins qu'il ne soit bien géré, il peut entraîner une sous-utilisation du budget, voire même du chômage. L'argent placé dans les banques et dans d'autres autres intermédiaires financiers (comme les fonds de pension et d'assurance) peut financer des activités productives ou la spéculation à court terme (par exemple, les prêts à la consommation et l'immobilier). De grands banquiers dans l'histoire, comme JP Morgan, ont bâti des industries comme celles du rail et de l'acier. Les gestionnaires de fonds actuels, en revanche, ont tendance à ressembler à des parieurs ou même des fraudeurs comme Charles Ponzi.

Quatrièmement, les investissements actuels, avec un fort rendement social (comme par exemple l'énergie à faible émission de carbone, les réseaux électriques intelligents pour les villes et les systèmes de santé fondés sur l'information), dépendent de partenariats entre secteurs public et privé, où les investissements publics et les politiques publiques contribuent à stimuler les investissements privés. Cette situation existe depuis longtemps : les réseaux de chemins de fer, l'aviation, l'automobile, les semi-conducteurs, les satellites, le GPS, la fracturation hydraulique, l'énergie nucléaire, la génomique et Internet n'existeraient pas sans des partenariats de ce genre (qui la plupart du temps, mais pas toujours, commencent par être des projets militaires).

Notre problème mondial à l'heure actuelle, c'est que les intermédiaires financiers du monde n'allouent pas correctement l'épargne à long terme vers des investissements à long terme. Le problème empire par le fait que la plupart des gouvernements (les États-Unis en sont un cas frappant), sous-investissent de manière chronique dans l'éducation, la formation professionnelle et l'infrastructure à long terme. Les investissements privés ne sont pas à la hauteur, principalement en raison de l'insuffisance des investissements publics complémentaires. Certains macroéconomistes dépourvus de vision à long terme disent que le monde connaît une période de sous-consommation. En fait, il s'agit plutôt d'une période de sous-investissement.

Le résultat est une demande mondiale insuffisante (des investissements mondiaux pas à la hauteur de l'épargne mondiale pour le plein emploi) et des flux de capitaux très instables à court terme pour financer la consommation et l'immobilier. Ces flux à court terme sont soumis à de brusques revirements de taille et de sens. La crise financière asiatique de 1997 a fait suite à un arrêt soudain des entrées de capitaux vers l'Asie et les prêts mondiaux à court terme se sont taris subitement après faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, ce qui a provoqué la Grande Récession. La Chine est confrontée à présent au même problème, où les entrées de capitaux ont brusquement cédé la priorité aux sorties de capitaux.

Le conseil macroéconomique le plus courant donné à la Chine (stimuler la consommation intérieure et surévaluer le renminbi pour réduire les exportations), ne réussit pas le test du Chamallow. Il encourage la surconsommation, le sous-investissement et la hausse du chômage dans une société qui vieillit rapidement, dans un monde qui peut faire un usage considérable de l'épargne et de l'importante capacité industrielle de la Chine.

La bonne politique consiste à canaliser l'épargne élevée de la Chine vers l'augmentation des investissements dans les infrastructures et les compétences des pays à faibles revenus d'Afrique et d'Asie. La nouvelle banque chinoise, l'Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) et son projet Une ceinture, une route, qui vise à établir des réseaux de transports et de communication modernes dans toute la région, sont dans la bonne voie. Ces programmes vont continuer à faire fonctionner les usines chinoises à haut régime pour produire les biens d'investissements nécessaires à une croissance rapide dans les pays à faibles revenus actuels. Il faut autoriser la dépréciation de la monnaie chinoise, de sorte que les exportations chinoises de biens d'équipement vers l'Afrique et l'Asie soient plus abordables.

Plus généralement, les gouvernements doivent accroître le rôle des banques nationales et multilatérales de développement (y compris les banques régionales de développement pour l'Asie, l'Afrique, les Amériques et les pays islamiques) pour canaliser l'épargne à long terme des fonds de pension, des fonds d'assurance et des banques commerciales, vers des investissements publics et privés à long terme dans les industries et les infrastructures du XXIème siècle. Les banques centrales et les fonds spéculatifs ne peuvent pas produire la croissance économique ni la stabilité financière à long terme. Seuls des investissements publics et privés à long terme peuvent tirer l'économie mondiale de son instabilité et de sa croissance lente.

Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable, professeur de politique sanitaire et directeur de l'Institut de la Terre à Columbia University. Il est également Conseiller spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Copyright: Project Syndicate, 2016.
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