Très tôt assailli par une forte demande populaire de changement, le président Ghazouani veut y répondre mais à sa manière et à son rythme.
Les populations sont pressées et elles ont raison. Elles espéraient une rupture avec les symboles du passé. Elles ont raison. Elles continuent, stoiques, de scruter l’horion pour voir ce changement de cap. Tout s’est vite précipité pour le président Ghaouani dès son accession aux commandes en août 2018. Les relations exécrables avec son prédécesseur et ancien ami Mohamed Ould Abdelaziz, au sujet du parti, ont sans doute marqué d’une pierre noire le début du règne de Ghazouani qui, paradoxalement, a connu un répit inattendu du côté de l’Opposition traditionnelle.
Un lourd héritage
En accédant au pouvoir, le nouveau locataire du palais ocre, ne se doutait sans doute pas de l’ampleur de la ruine de l’Etat. Une situation pointée du doigt par son ex-premier Ministre, Ould Cheikh Sidiya, devant le Parlement. Rien que 80 milliards dans le trésor public et un endettement extérieur de près de 100%. Personne n’en croyait ses oreilles tant la gabegie avait gangrené et hypothéqué la vie du pays. Une réalité vite mise en exergue par les investigations de la commission d’enquête parlementaire en 2020, à l’origine de la démission de certains ministres noyés jusqu’au cou par la dernière décennie dont ils étaient acteurs déterminants et qui focalisent encore aujourd’hui l’ire des populations.
Un cadeau empoisonné
C’est dans ce décor économique kafkaïen que le président avait inauguré son premier mandat doublé, dès mars 2020, par l’irruption de la première vague de la Covi-19 dans le pays. Le report d’exploitation par BP du projet gazier Ahmeyim (avec le Sénégal) toujours en souffrance et les inondations estivales ont encore réduit les marges de manœuvres du nouveau gouvernement. Malgré ces déconvenues –et les attaques personnifiées contre lui- Ghazouani n’a pas voulu corroborer cette banqueroute dont il a héritée. Il faut le reconnaitre –contrairement à la seconde vague- l’Etat s’est voulu proactif pour contenir les impacts pervers de la pandémie sur la santé et l’économie du pays. Mais la facture s’est révélée lourde. Quatre milliards deux cent millions MRO ont ainsi alloués à 186.293 familles au niveau de 8119 localités. Le défi de la pandémie sera un leitmotiv dans les différents discours du président invitant les citoyens à plus de solidarité et de précautions. Mais le président n’a pas perdu de vue la dimension «externe » au défi invitant les donateurs à « une annulation intégrale et immédiate de la dette des pays africains, pour leur permettre de faire face aux conséquences désastreuses de cette crise et contribuer au financement des Objectifs de Développement Durable (ODD) dont la réalisation est aujourd'hui, plus que jamais, compromise ».
C’est donc un président sur tous les fronts qui semble, au plan intérieur, «joué » avec les nerfs de l’Opinion avec le retour à la gestion des affaires publiques de personnalités soupçonnées avoir pris part au dépeçage du pays pendant les 10 dernières années.
Paradoxalement, cet héritage du «personnel » de l'ancien régime est encore plus encombrant pour l’opinion dont une frange désespère au rythme des nominations de ces «damnés » politiques.
Mais en jouant avec les nerfs de ses soutiens de première heure, le président Ghazouani joue avec le feu. Il est vrai que l’homme, en si peu de temps, face à l’adversité, a bien fait ses preuves d’homme d’Etat. Sa stratégie faite de fins calculs politiques et de discrétion qu’il a toujours su cultiver autour de ses motivations personnelles, paient en attendant d’avoir les coudées assez franches pour donner écho à la demande populaire et ainsi finir avec l’impression donnée de vouloir « faire du nouveau avec de l’ancien». Le président est, sur ce registre, toujours attendu pour conjurer la déception.
Jedna DEIDA