Le président sortant a récolté plus de 72 % des suffrages, loin devant le candidat de l’opposition Agbéyomé Kodjo, qui dénonce des fraudes et revendique la victoire.
Aucun suspense n’était prévu, il n’y en a pas eu. Faure Gnassingbé a été réélu pour un quatrième mandat à la tête du Togo, lundi 24 février, au lendemain d’un scrutin qui s’était déroulé sans incident majeur. Vers deux heures du matin, la Commission électorale nationale et indépendante (CENI) a annoncé que le candidat du parti Union pour la République (UNIR), qui dirige le Togo depuis quinze ans, avait obtenu la majorité absolue (72,3 %) devant l’opposant Agboyémé Kodjo (18,3 %), qui a dénoncé des « irrégularités » et s’est présenté comme « le président démocratiquement élu ».
Il s’agit pour Faure Gnassingbé d’une victoire dès le premier tour avec un score soviétique. Lomé, capitale du Togo, s’est réveillée un peu abasourdie. Dans les quartiers traditionnels de l’opposition tels que Bè, Kodjoviakopé ou Nukafu, la situation était calme lundi matin. Les résultats ont été transmis au cœur de la nuit et la télévision togolaise – chaîne d’Etat du pays unique – a connu quelques déboires : après avoir diffusé un écran noir à l’heure fatidique puis un clip à la gloire du patriotisme, un son inaudible a prolongé l’attente encore de longues minutes jusqu’à l’annonce du dénouement que tout le monde attendait.
« Une forme de lassitude »
La seule surprise vient de l’alternance à la tête de l’opposition. Agboyémé Kodjo, du Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD), termine devant l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre, l’opposant historique qui se présentait pour la troisième fois face à Faure Gnassingbé. « Il y a eu chez les électeurs une forme de lassitude avec le candidat Fabre, note un observateur de la scène politique. Elle pourrait conduire à un changement de génération à la tête de l’ANC. »
Fin 2019, Philippe Kpodzro, archevêque émérite de Lomé, avait réuni les cadres de l’opposition pour leur proposer de faire front commun contre le régime. A l’issue de ces discussions, il avait porté son choix sur Agboyémé Kodjo et même battu campagne pour lui au cours de ses homélies. Samedi, après le vote, le domicile des deux hommes a été encerclé pendant quelques heures par les forces de l’ordre qui ont affirmé vouloir « garantir leur sécurité ».
Le taux de participation (76,63 %) est largement supérieur à celui de 2015 (61 %). Outre la mainmise du régime – la famille de Faure Gnassingbé monopolise le pouvoir au Togo depuis cinquante-trois ans –, l’ampleur du score du président peut s’expliquer par une fracture au sein de l’opposition, mais aussi un élargissement de sa base électorale composée traditionnellement de l’ethnie Kabiye, issue de la région de Kara, à environ 450 km au nord de Lomé. « C’est un plébiscite », a déclaré Gilbert Barawa, ministre de la fonction publique. Pourtant ces résultats suscitent déjà la controverse. La société civile a recensé des bourrages d’urnes et des inversions de résultats.
Faure Gnassingbé va donc gouverner le Togo cinq années de plus si les résultats provisoires sont confirmés par le Conseil constitutionnel. En 2017 et 2018, une grave crise politique avait jeté dans les rues des dizaines de milliers de manifestants réclamant la démission du chef de l’Etat. A la suite de ce mouvement de contestation, une modification de la Constitution avait été approuvée, limitant à deux le nombre de mandats présidentiels, mais sans rétroactivité. Ce qui permettra à Faure de se représenter une seconde fois en 2025. Et après ? « Je respecterai toujours la Constitution de mon pays », a répondu le chef de l’Etat lors d’un entretien accordé au Monde et à l’Agence France Presse (AFP) deux jours avant le scrutin.
« Garde le pouvoir sinon tu le perdras pour toujours », lui aurait confié son père, Eyadéma, qui a dirigé le pays d’une main de fer durant trente-huit ans, jusqu’à sa mort, survenue brutalement en 2005. Faure Gnassingbé, alors âgé de 37 ans, est ministre des travaux publics et des mines. Alors que le président de l’Assemblée nationale, en déplacement, doit assurer la vacance du pouvoir, « Bébé Gnass », comme tout le monde l’appelle alors, démissionne de son ministère, se fait élire député, puis président de l’Assemblée nationale et de la République. Le tout en moins de vingt-quatre heures.
« On ne baissera pas les bras »
Il faudra la pression de la communauté internationale pour qu’il démissionne et organise en deux mois des élections qu’il remportera après des violences électorales qui feront entre 200 et 500 morts, selon l’ONU. « Mon père ne m’a jamais dit clairement que j’allais lui succéder, affirme aujourd’hui Faure Gnassingbé. Les conditions dans lesquelles je suis arrivé sont celles du péché originel, puisque c’est l’armée qui a pris cette décision en l’absence du président de l’Assemblée. Puis je me suis retiré et j’ai organisé les élections dans des conditions difficiles. Je ne me sens pas l’âme d’un dictateur. »
Une commission vérité, justice et réconciliation a ensuite été créée, chargée de « faire la lumière sur les violences politiques entre 1958 et 2005 ». Mais les recommandations préconisées n’ont été appliquées que partiellement. En 2010 et 2015, Faure Gnassingbé a été réélu avec près de 60 % des suffrages. Sa famille dirige le Togo depuis plus d’un demi-siècle, un record mondial après la Corée du Nord.
« Les résultats proclamés par la CENI ne sont évidemment pas une surprise, déplore David Dosseh, porte-parole du Front citoyen Togo Debout. On espère pouvoir récupérer les procès-verbaux pour éventuellement débuter une procédure de recours, mais il ne faut pas se leurrer. La lutte doit continuer, mais elle doit être repensée. Nous sommes en train de fermer la porte à l’espoir d’un changement par les urnes, alors il n’est pas exclu que l’option de la rue soit la prochaine. On ne baissera pas les bras. »