Peut-on dire que l’heure est grave pour les forces du G5 Sahel ? La question mérite d’être posée au moment où la France réunit le G7 autour de plusieurs pays africains, dont le Burkina Faso, théâtre de nombreuses attaques.
À la mi-novembre, Maman Sidikou, le secrétaire permanent du G5 (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Tchad et Mali), et Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, n’ont pas mâché leurs mots devant le Conseil de sécurité de l’ONU, face à la dérobade des pays qui ne tiennent pas leurs promesses annoncées en février dernier à Bruxelles.
Pour Jean-Pierre Lacroix, sur le terrain, « la situation est extrêmement préoccupante ». « Plus que jamais, la force commune du G5 Sahel dépend de la communauté internationale, a-t-il prévenu. Malgré des progrès remarquables dans le domaine de la génération de troupes, la force n’a toujours pas atteint sa pleine capacité opérationnelle. Les pénuries majeures d’équipements, les capacités, l’insuffisance des infrastructures et le manque de bases opérationnelles sécurisées continuent de retarder sa pleine opérationnalisation. À ce jour, précise-t-il, près de 50 % des contributions annoncées n’ont pas été réservées, et encore moins décaissées », exhortant les donateurs à honorer leurs engagements et à fournir le soutien financier dont le G5 a besoin. Le responsable des opérations de l’ONU est inquiet. « Si des mesures fortes et coordonnées ne sont pas rapidement prises, la situation au Sahel risque de se détériorer davantage. Le fléau du terrorisme se répandra encore plus vite et plus loin, prédit-il, forçant le Conseil de sécurité à débattre dans quelque mois d’une réaction face à une crise sécuritaire et humanitaire autrement plus dramatique. »
Le danger pas écarté faute de moyens accrus mis en œuvre
Une mise en garde qui n’exclut pas pour les forces africaines d’être un jour confrontées à des offensives impossibles à contenir, dont les attaques d’aujourd’hui, en recrudescences un peu partout dans la bande sahélo-saharienne, ne sont que les prémices d’une situation sécuritaire qui se dégrade déjà un peu plus chaque jour. Un souci partagé par les 4 500 militaires de l’opération française Barkhane qui pourchassent les GAT, les groupes armés terroristes dans le jargon militaire, après chacune de leurs embuscades sur un territoire grand comme l’Europe. Une menace qui s’étend désormais vers le sud du continent, menaçant les pays voisins du Burkina Faso.
Si ces hauts diplomates sonnent le tocsin depuis le siège à New York, c’est que, trois jours avant, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a présenté un rapport très alarmant au Conseil de sécurité. Il y récapitule et analyse la situation préoccupante qui prévaut au Sahel. Le message est clair : sans sursaut et mesures concrètes, en particulier financières, des pays engagés dans la lutte contre le terrorisme pour pallier les manques de moyens de la Force, c’est la chronique d’une défaite annoncée qui est en train de s’écrire, en Afrique, mais aussi en dehors du continent. Pour pallier cette menace, le patron de l’ONU s’associe « aux appels lancés par les dirigeants de la région pour que la Force conjointe soit placée sous un mandat du chapitre VII », plus « offensif » en cas d’agression.
Beaucoup de défis à relever
Si l’Union européenne met la main à la poche, il manque « 199,49 millions d’euros, soit la moitié du total annoncé », précise le secrétaire général. La France, elle, soutient la force avec les moyens du dispositif Barkhane, accompagnant pendant les opérations, une demi-douzaine, les soldats du G5, qui savent qu’ils peuvent compter sur l’appui des hélicoptères et des avions Mirage basés à Niamey. Des fonds sont en fait nécessaires pour les investissements prioritaires, qui comprennent des protections individuelles et des transports de troupes blindées contre les mines posées par les terroristes, lesquelles sont devenues un problème majeur pour se déplacer. Mais aussi de la formation, des moyens de communication, de l’armement. Sans compter les 14 camps fortifiés pour un coût de 80 millions d’euros, disséminés dans chaque pays, en particulier au Mali, qui, avec le Niger et maintenant le Burkina Faso, constitue une zone à haut risque avec leurs trois frontières communes devenues la cible privilégiée des GAT.
La question du quartier général
Reste le quartier général qui, lui, reste à reconstruire depuis sa destruction le 29 juin 2018 à Sévaré, au centre du Mali, à la suite d’un attentat-suicide par un véhicule bélier piégé, perpétré par un kamikaze affilié à Al-Qaïda. Le bilan a été de trois morts et quatre blessés. Les bâtiments sont détruits, des documents sensibles et des archives sont endommagés. Les liaisons avec les QG des pays du G5 deviennent difficiles. Les opérations sont suspendues. Cette attaque est toutefois la preuve que les groupes terroristes craignent de voir la force se mettre sur pied avec des moyens, et contrôler les pistes qui traversent les frontières. Depuis, le QG du G5 doit être installé à Bamako, mais le lieu n’a pas encore été défini et les planifications pour les opérations futures sont au point mort.
Travailler ensemble
Un général mauritanien en a pris le commandement avec un adjoint tchadien. Ils sont issus de deux pays qui, certes, ne souffrent pas d’une menace terroriste aussi forte que le Mali, mais ont su anticiper pour contrer ce fléau. Du coup, Nouakchott abrite désormais le collège de défense des officiers du G5, une « école de guerre », soutenu depuis son départ par Paris pour environ un million d’euros avec un coopérant détaché, mais financé par les pays du Golfe, et qui accueille pendant neuf mois 37 officiers avec une vingtaine d’années d’expérience. Une initiative importante pour faire travailler ensemble selon les mêmes procédures des officiers de pays différents pour gérer des logistiques ou conduire des missions de combat contre un ennemi très mobile, qui connaît parfaitement le terrain.
Plus que jamais un engagement fort nécessaire
Si cette force antiterroriste du G5 peine à monter en puissance, c’est par manque de moyens, mais aussi d’encadrement, y compris d’effectifs, sollicités pour d’autres missions, d’abord de souveraineté nationale. Les efforts de chaque pays contributeur, tous en voie de développement, sont très importants et le pourcentage par rapport à leur PIB, dépasse la France, et même les États-Unis, au regard du nombre d’habitants du Mali ou du Tchad. Pour la France très impliquée dans cette lutte qui apparaît devoir durer très longtemps, la réussite du G5 Sahel est une priorité. Lors de son premier voyage au Mali pendant l’été 2017, Emmanuel Macron avait relevé que, pour sortir de ce qui pourrait devenir un enlisement français, il apparaissait naturel de passer la main à terme aux forces africaines, premières concernées par ce combat qui se déroule sur leur sol. En les soutenant, en fournissant un appui aérien : des drones d’observation capables de voler douze heures à 10 000 mètres d’altitude, et probablement des forces spéciales. Le renseignement pouvant être fourni par les États-Unis, comme aujourd’hui, qui disposent à partir du Niger de toutes sortes de capteurs. Pour la France, l’engagement au Sahel représente la moitié du budget consacré à ses opérations extérieures, qui sera créditée cette année au ministère des Armées. Une raison supplémentaire pour Paris d’afficher un soutien sans faille à une formation pérenne du G5 Sahel, en battant le rappel de ses autres partenaires dans l’espoir qu’ils financent cette force africaine, comme ils s’y sont engagés.