KAMPALA – Chaque minute qui passe, 31 personnes en moyenne sont déplacées, contraintes de quitte leur emploi, leur maison et même parfois leur famille. Elles arrivent souvent dans un pays qu'elles ne connaissent pas après un voyage difficile, avec quelques maigres biens, mais souvent sans argent ni pièce d'identité. Mais loin de se retrouver à l'abri et de pouvoir envisager un avenir prospère, les réfugiés sont souvent marginalisés, exclus, parfois même diabolisés, et se voient refuser des possibilités d'intégration ou de contribution à l'économie du pays hôte. Or, l'un des moyens les plus simples de leur donner un minimum de contrôle sur leur vie serait de faciliter leur accès aux services financiers.
De longue date, en raison des difficultés d'identification et de leur perception des réfugiés comme un groupe à haut risque, les banques négligent cette population. Mais du fait des progrès technologiques de la dernière décennie, il est devenu plus facile, plus sûr et moins coûteux de leur donner accès aux services financiers.
Grâce aux technologies numériques et aux appareils mobiles, on accède désormais bien plus souvent aux services bancaires à partir de son téléphone portable où que l'on se trouve, plutôt qu'en se déplaçant dans une agence. C'est ce qui a facilité la diffusion des porte-monnaie électroniques qui permettent à leurs détenteurs de recevoir de l'argent, de le mettre sur leur compte ou de le dépenser à partir de leur téléphone. Depuis quelques années les banques en ligne se sont répandues à toute vitesse, notamment en Afrique sub-saharienne. Cela a complètement changé la vie de tous ceux, nombreux dans le monde (1,7 milliard de personnes), qui n'ont pas de compte en banque, mais dont les deux tiers disposent d'un téléphone mobile qui pourrait leur permettre d'accéder aux services financiers.
Il n'y a pas vraiment de raison de faire une distinction entre les réfugiés qui ne disposent pas d'un compte en banque et les autres personnes dans la même situation. Contrairement à ce que l'on croit trop souvent, les réfugiés ne présentent pas de risques supérieurs aux autres groupes : le rapport Kiva 2018 indique que les réfugiés remboursent leurs prêts au même titre que le reste de la population. Par ailleurs, grâce à la reconnaissance faciale et à l'intelligence artificielle, les banques peuvent vérifier instantanément l'identité des personnes qui s'adressent à elles, par exemple avec un scan rapide de l'iris.
L'absence de document d'identité des réfugiés, de garantie en cas de prêt et/ou d'adresse fixe ne pose plus véritablement un problème. Ce sera encore plus vrai avec l'introduction de l'initiative ID2020, un partenariat entre Microsoft, Accenture et l'ONU, destinée à développer un procédé d'identification des réfugiés reposant sur la technologie blockchain (qui facilite les transactions directes entre les parties et les enregistrent de manière permanente et immuable) et une base de données biométriques ouverte à toutes les parties prenantes, avec un degré de sécurité extrêmement élevé.
La blockchain est déjà utilisée au service des réfugiés. Ainsi dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie, la distribution de l'aide humanitaire est facilitée par l'utilisation de la blockchain et d'une cryptomonnaie. Chaque réfugié reçoit un porte-monnaie électronique dans lequel se trouve de l'argent pour la nourriture et d'autres fournitures, les transactions étant validées par reconnaissance faciale. Le résultat est largement positif : la distribution de l'aide est précise et équitable, le coût des transactions a diminué de 98% et il y a beaucoup moins de cas de fraudes.
En Finlande, une startup dans le secteur de la blockchain, MONI, et les services d'immigration finnois délivrent aux réfugiés une pièce d'identité électronique stockée dans la blockchain. Grâce à un compte MONI, les réfugiés peuvent toucher une allocation de l'Etat même s'ils ont perdu leur passeport. Ce type d'utilisation de la blockchain permet de moins s'appuyer sur un document délivré par l'Etat pour s'assurer de l'identité d'une personne, car elle incite à accepter d'autres moyens d'identification, telle une pièce d'identité électronique délivrée par l'ONU.
Il est de l'intérêt même des banques d'utiliser la technologie blockchain. Il est cependant exact que cette technologie pourrait leur nuire à long terme en mettant fin à leur monopole en tant qu'intermédiaire. Mais à court terme, son adoption par les banques pourrait réduire drastiquement les coûts et réduire les risques de fraude, ce qui permettrait entre autres aux réfugiés d'utiliser bien plus facilement leurs services. En ce sens, la blockchain pourrait révolutionner l'accès des réfugiés au crédit.
Offrir leurs services aux réfugiés présente néanmoins un avantage à long terme pour les banques. Elles pourraient collecter des données et en tirer des conclusions très utiles pour décider de leur stratégie à l'égard d'une clientèle de plus en plus mobile qui tend à abandonner les emplois à temps plein pour travailler à distance en indépendant dans le cadre de l'économie à la tâche mondialisée.
La solvabilité de ces indépendants (qui devraient constituer 43% de la main d'œuvre en 2020) est difficile à évaluer du fait de l'irrégularité et de l'imprévisibilité de leurs revenus. Ceux que l'on nomme les nomades numériques n'ont souvent pas d'adresse permanente, ce qui peut rendre plus difficile le recouvrement de leurs crédits. En ce qui concerne les services financiers traditionnels, ces travailleurs du futur soulèvent au moins en partie les mêmes problèmes que les réfugiés. Aussi, les méthodes d'évaluation de la solvabilité des réfugiés pourraient-elles être étendues demain à d'autres populations
Dans ce contexte, les banques devraient dès à présent offrir leurs services aux réfugiés. Elles pourraient suivre l'exemple de MyBucks, une fintech (entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies financières) qui a ouvert une agence dans le camp de réfugiés de Dzaleka au Malawi pour leur proposer des prêts, des services de banque en ligne et une formation à la gestion financière et à l'utilisation des services bancaires.
Certes, résoudre la crise des réfugiés et exploiter le potentiel économique de plus de 25 millions de réfugiés à travers le monde suppose d'autres changements, en commençant par le discours politique des pays de destination. Dans nombre d'entre eux, les politiciens et les médias présentent les réfugiés comme une menace pour la sécurité, la cohésion sociale et les ressources publiques.
L'ancienne secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a imputé sa défaite face à Donald Trump en 2016, et le vote en faveur du Brexit qui l'a précédée à la réaction de l'opinion publique face à l'immigration. Elle a déclaré récemment que l'Europe devrait accueillir moins de réfugiés pour limiter la montée du populisme. Gunter Nooke, le représentant spécial pour l'Afrique de la chancelière allemande, a fait une suggestion encore plus choquante en proposant que les pays africains concèdent l'administration de "zones économiques spéciales" à l'UE - autrement dit une forme de colonialisme volontaire.
Ce genre de proposition est non seulement contraire à l'éthique, mais elle ne mettrait pas fin à la crise. L'aide humanitaire seule ne suffit pas non plus, si ce n'est à titre de pis-aller. Pour préserver la stabilité et le dynamisme à long terme, les pays hôtes doivent ouvrir leur économie aux réfugiés. Connues pour leurs capacités innovatrices, les banques et les fintechs peuvent jouer un rôle clé dans ce processus.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jacqueline Musiitwa est avocate et spécialiste de la finance inclusive en Ouganda. Elle a reçu en 2014 une bourse de l'Institut Aspen dans le cadre du programme New Voices Fellowship conçu pour les spécialistes du développement originaires notamment d'Afrique.
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