WASHINGTON, DC – Le monde arabe jouit d’une longue tradition de commerce et d’entreprise. Or, après l’obtention de leur indépendance, de nombreux pays arabes ont adopté un modèle de développement conduit par le gouvernement, ce qui rend leur économie excessivement dépendante de l’État. Cette situation n’est pas viable.
Si le modèle économique du monde arabe a survécu aux revers majeurs des années 1990, c’est principalement parce que l’État emploie une large proportion de travailleurs, et verse des aides universelles. Ceci neutralise les risques dans l’existence économique des citoyens, solidifiant ainsi leur dépendance à l’État, tout en étouffant l’entreprenariat et l’innovation. Est également mise à mal la prestation des services publics, ce qui alimente une méfiance à l’égard du gouvernement, dont les populations dépendent si massivement.
Mais aujourd’hui, le modèle étatique de développement du monde arabe pourrait bien approcher d’un point de rupture, plusieurs millions de jeunes s’apprêtant à entrer sur les marchés du travail dans les prochaines décennies. Étant peu probable que le secteur public parvienne à absorber ces nouveaux travailleurs, intervient la nécessité urgente de créer une dynamique du secteur privé, qui devra non seulement adopter mais également générer des innovations technologiques favorables aux travailleurs ainsi qu’à une croissance durable et inclusive.
Cette approche s’inscrit en phase avec ce que prévoient les Objectifs de développement durable, qui ont été adoptés en 2015 par l’ensemble des États membres des Nations Unies, y compris tous les pays arabes. L’accomplissement des ODD – de l’éradication de la faim et de la pauvreté à la protection de l’environnement – exigera l’implication de secteurs privés dynamiques, capables de produire des solutions technologiques, et disposés à apporter des financements indispensables.
Les financements du secteur privé – par exemple des projets d’infrastructure prévus par l’ODD9 – sont particulièrement nécessaires dans le monde arabe, où la dette pèse d’ores et déjà sur de nombreux États. Pour contribuer à mobiliser ces financements, le Groupe de la Banque mondiale a lancé le programme baptisé Maximiser les financements pour le développement (MFD).
Bien entendu, il incombe également aux gouvernements de maximiser leurs propres ressources. Par le passé, d’abondantes recettes d’investissement et d’énergies ont limité la tendance à mobiliser des recettes fiscales. Mais à l’heure où les caisses publiques s’épuisent, une pression croissante pèse sur les pays arabes – percepteurs d’impôt parmi les moins efficaces au monde – en direction de la poursuite de réformes importantes.
Il appartient également aux États arabes d’améliorer l’efficience de leurs dépenses. À l’heure actuelle, bien que la plupart des pays arabes dépensent des montants significatifs par rapport à leur niveau de revenu, ils n’enregistrent que des résultats relativement mauvais, notamment en matière de santé et d’éducation.
Pour améliorer le fonctionnement de l’État et regagner la confiance des citoyens – évolutions qui pourraient faciliter la perception d’impôts – les gouvernements arabes doivent appliquer à l’administration publique le concept de « rapport qualité-prix ». Un tel cadre d’évaluation de la rentabilité des activités du secteur public exige que des données relatives à ces activités soient recueillies, examinées et communiquées en toute transparence. Des mécanismes de type retours d’informations permettraient aux autorités d’identifier les problématiques qualitatives, et de procéder rapidement à des améliorations.
Ici encore, le Groupe de la Banque mondiale apporte sa contribution en prenant des mesures. L’investissement dans le capital humain constituant la démarche à long terme la plus importante qu’un gouvernement puisse adopter, le Projet sur le capital humain se concentre sur l’identification des facteurs qui affectent l’efficience des investissements dans ce domaine.
Avant même que soient disponibles des données complètes, certaines approches d’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques et de l’administration se dégagent. Les pays arabes pourraient en particulier placer l’accent sur la localisation du développement. En améliorant la capacité des gouvernements locaux à planifier, financer et assurer des services clés tels que la santé et l’éducation, les États pourraient optimiser le rapport qualité-prix, bâtir la confiance parmi les citoyens, et accomplir d’importantes avancées sur la voie des ODD.
Les réglementations constituent un dernier domaine dans lequel la réforme est impérative. Au sein des pays arabes, les entreprises publiques et privées bien établies – notamment dans des secteurs critiques tels que les services financiers, les télécommunications et l’énergie – bénéficient d’avantages significatifs, parmi lesquels une protection assumée, des réglementations coûteuses qui dissuadent l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, ou encore d’insuffisantes limites relatives aux monopoles naturels. Cette situation entrave la concurrence et la contestabilité, complique la propagation de technologies d’intérêt général, tout en faisant obstacle à cette forme d’adaptation et d’évolution qu’exige un secteur privé dynamique.
Plutôt que de contrôler purement et simplement l’économie, les gouvernements arabes devraient favoriser l’émergence de régulateurs à la fois indépendants et responsables, susceptibles de contribuer à de meilleurs résultats économiques. Bien entendu, au vu de l’expérience historique, ce passage d’un État dirigiste à un État régulateur ne sera pas chose facile. Mais l’expérience passé offre des enseignements utiles à ce processus. En tout état de cause, le statu quo réglementaire – qui ne peut que condamner la jeunesse arabe au chômage et au désenchantement – ne saurait être une option.
C’est d’autant plus vrai à l’heure où les géants technologiques tels que Facebook, Amazon, Tencent et Alibaba – aux modèles d’entreprise basés sur les jumelages et boostés par les technologies numériques – propulsent le changement en direction d’une « ultra-concentration ». Dans ce contexte, la construction d’un secteur privé dynamique, capable d’offrir des opportunités au jeunes travailleurs du monde arabe, exigera la présence de régulateurs plus vigilants et efficaces, opérant dans un cadre qui appréhende les problématiques de collecte et d’utilisation des données.
L’innovation fondée sur le secteur privé est souvent décrite comme la clé permettant aux pays en voie de développement de faire un bon vers l’avenir. Ce discours ne doit cependant pas éclipser la nécessité cruciale de réglementations judicieuses et innovantes en appui de cette avancée. Le rôle de l’État dans les économies arabes ne doit pas diminuer, il doit s’améliorer.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Mahmoud Mohieldin est vice-président principal du Groupe de la Banque mondiale en charge de l’Agenda 2030 pour le développement, des relations avec les Nations Unies, et des partenariats. Rabah Arezki est économiste en chef pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord au sein de la Banque mondiale.
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