Le général Hanena Ould Sidi, chef d'état-major adjoint de l'armée mauritanienne, vient d'être nommé commandant de la force conjointe du G5 Sahel. Il s'est confié au Point Afrique.
Le général Hanena Ould Sidi vient de succéder au général malien Didier Dacko dans le contexte de l'attentat du 29 juin dernier contre le quartier général de la force conjointe à Sévaré, dans le centre du Mali, trois jours avant le tenue à Nouakchott d'un sommet du G5 Sahel, organisation régionale regroupant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, en marge du sommet de l'Union africaine (UA) et en présence du président français Emmanuel Macron.
Hanena Ould Sidi aura pour adjoint le général tchadien Oumar Bikimo, lequel remplace son adjoint burkinabè, le colonel-major Yaya Séré. Cette nomination indique évidemment la lutte souterraine pour le leadership de cette « task force »créée sous l'égide de la France et censée pacifier l'immense zone sahélienne en proie à divers trafics, armes et hommes, mais aussi point névralgique de groupes terroristes indéfinis parfois, mais à la capacité de déstabilisation certaine.
Des cinq pays qui composent la force conjointe, deux pays font figure d' « hommes forts » : le Tchad et la Mauritanie. Un pays figure « l'homme malade » du Sahel, le Mali, pays en fragile rémission institutionnelle et en proie à des rébellions intérieures, touarègue au nord, peul au centre. C'est pourtant au Mali que se trouve le PC de la force conjointe. Ce nouveau ticket militaire mauritano-tchadien à la tête du G5 Sahel sonne donc comme un désaveu du commandement malien originel mais également comme un positionnement à l'avant-garde de la Mauritanie qui compte bien mettre en avant son savoir-faire en matière de lutte contre le terrorisme. La Mauritanie disposait déjà de deux postes de direction au PC de Sévaré : entraînements et opérations et l'action civilo-militaire. Reste à savoir comment se coordonneront les opérations entre cette force conjointe, les forces de Barkhane qu'elle est appelée à remplacer et la task force Sabre, l'unité des forces spéciales françaises déployées depuis 2009 au Sahel.
La parole méticuleusement choisie, le mot volontairement indéfini, parfois lapidaire, souvent murmuré dans un sourire courtois qui fermait le propos, celui qui a aussi dirigé les renseignements militaires de son pays s'est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : comment la Mauritanie aborde-t-elle la problématique du terrorisme, qui est la raison de la création de la force G5 Sahel ?
Hanena Ould Sidi : nous avons été confrontés plusieurs fois au terrorisme, notamment le 5 juin 2005 à Lemgheiti (L'attaque du petit fortin de Lemgheity, le 5 juin 2005, a occasionné 17 décès chez les militaires mauritaniens. Elle a été revendiquée par le GSCP algérien ndlr]. Toute une succession d'actions terroristes ont poussé la Mauritanie à réfléchir dès 2009 à ce problème de terrorisme et à imaginer des solutions efficaces face à cette menace. Il fallait commencer par des actions militaires, dont restructurer l'armée d'abord. Mais il a fallu également renforcer l'appareil judiciaire. Le ministère de l'Enseignement islamique a été activé afin de diffuser le bon enseignement de l'Islam. Le volet « Développement » n'a pas été négligé. Tout cela constitue un ensemble cohérent, dans une stratégie multidimensionnelle. Ces actions conjuguées ont commencé à donner leur résultat dès 2011. Depuis cette date, aucun attentat n'est survenu dans le pays. Les terroristes ont compris le message qui leur était ainsi adressé. Il fallait créer la peur chez eux, notamment dans les endroits où ils pouvaient se réfugier. C'est pourquoi les troupes mauritaniennes, avec l'accord des autorités maliennes, sont intervenues au Mali, à Tombouctou notamment. En créant la peur et l'insécurité chez les terroristes dans les endroits qu'ils considèrent comme les plus sûrs, la peur a changé de camp. La Mauritanie avait repris l'initiative et avait envoyé un message fort.
Quelles incidences ont eu ces attaques sur la doctrine militaire mauritanienne ?
La doctrine de l'armée datait de 1978 ; il y a eu par la suite des tentatives timides qui n'ont pas donné de résultats. Puis une révision de la doctrine a eu lieu en 2009. Une fois analysée la menace, la légèreté et la mobilité de l'adversaire, nous avons pris conscience que l'organisation classique des unités ne convenait pas à cette menace. D'où la création d'unités spéciales, les GSI ou groupements spéciaux d'intervention. Ces unités spéciales ont fait leurs preuves. Elles sont très mobiles, légères mais également disposent d'une grande autonomie en matière de ravitaillement par exemple et ont une logistique intégrée. Chaque GSI comprend environ 200 hommes. Ils peuvent opérer groupés ou de façon dispersée. Ce sont ces unités qui patrouillent à travers le territoire mauritanien. Une base militaire, la base de Lemreya avancée a été aussi créée dans le nord-est du pays, non loin de la frontière malienne.
Y a-t-il depuis des démantèlements de cellules terroristes depuis cette réflexion de fond ?
Sur la période qui court de 2009 à 2011, il y a eu effectivement un certain nombre de cellules démantelées. Grâce au travail du ministère des Affaires islamiques, des personnes, « repenties » sont désormais insérées sans problème dans la société.
Pourquoi avez-vous refusé de faire partie du dispositif Barkhane ? Est-ce un choix politique, stratégique ?
Ce dispositif suppose que les Français opèrent sur un certain nombre de territoires sur lesquels il y a des problèmes. En Mauritanie, ce n'est pas le cas. À la création de Barkhane, il n'y avait plus de terrorisme en Mauritanie.
Mais le fait que vous avez réussi à combattre ces groupes terroristes vous a donné une expertise qui aurait peut-être été utile au sein de Barkhane ?
Il y a évidemment des échanges avec Barkhane, surtout pour ce qui concerne notre expérience, notre méthode et vision des choses. Nous échangeons et communiquons, chacun profite de l'expérience de l'autre. L'armée mauritanienne est présente en RCA, au Mali, présente par des observateurs. Mais il reste difficile de transposer les expériences de chacun à 100 %.
Dans le cadre de la force G5, allez-vous mettre en place le fuseau qui vous est imparti ? Autre question, l'homogénéité entre les différentes armées est-elle assurée ?
Nous appartenons au fuseau Ouest. Dans ce fuseau au sein duquel la Mauritanie a le leadership, il y a deux bataillons : l'un est mauritanien, l'autre malien. Les bataillons dédiés à cette force sont d'abord constitués, préparés puis entraînés. À l'issue de cet entraînement, un contrôle des variations est effectué au PC de Sévaré, puis le bataillon est alors intégré à la force conjointe. Sur le plan de la préparation, un organe spécifique est dédié aux contrôles et évaluations. On échange avec tous les pays du G5 Sahel dans le cadre de la coopération de cette force conjointe. Nous échangeons aussi avec d'autres partenaires, comme la France ou les États-Unis.
Quelles sont vos priorités ? Sont-elles à la frontière avec le Mali ?
Nos priorités sont toutes les frontières de la Mauritanie. Nous agissons sur toutes ces frontières, aussi bien maritimes que terrestres. L'armée malienne évolue tout au long de la frontière et l'armée mauritanienne le fait aussi de son côté. On fait en sorte que les soldats avancent de façon simultanée. À la fin de l'opération, une rencontre se fait pour faire le point.
L'école de guerre du G5 Sahel a été à la base une initiative mauritanienne étendue ensuite à la formation des cadres de la force commune. Existe-t-il une volonté de votre pays d'exporter son expertise en matière de lutte contre le terrorisme ?
La Mauritanie avait effectivement décidé de créer cette école car le besoin s'en faisait sentir, notamment pour la formation des cadres supérieurs. Entre-temps, le G5 a vu le jour et la Mauritanie a décidé de mettre à la disposition de la force commune cette structure. La compatibilité entre les armées va ainsi s'améliorer. Sur le plan de la formation de ces futurs cadres militaires, des officiers mauritaniens feront partie du corps professoral.
Propos recueillis par Hassina Mechaï, à Nouakchott (Le Point Afrique via cridem)