"...Un sens du mystère m'a toujours paru constituer la racine même de tout grand art qu'il s'agisse de Rembrandt ou de Beethoven, de Shakespeare ou de Léonard. Et quand je pense à mes propres ouvrages, à un beaucoup plus humble niveau, ils me semblent tous enveloppés d'une irisation ambiguë. Dans "Voix dans la nuit", mes mémoires, je me suis efforcé de saisir la vérité de mes diverses victimes, tout comme j'ai tenté de saisir la fugace irisation de mes papillons...Pour être véridique on doit toujours mentir un peu, tout comme pour mentir être un peu véridique."
Fréderic Prokosch
Cet écrivain américain est à la fois romancier, poète et lépidoptériste (spécialiste des papillons). Gore Vidal avait écrit à son propos: " Garcia Marquez n'écrirait pas comme il le fait si Prokosch n'avait pas écrit comme il écrit.". Avec "Les Asiatiques", il fut l'inventeur du "roman géographique" (Camus). Ses "victimes" dont il parle sont d'éminents écrivains, artistes et philosophes de son époque, qu'il avait rencontrés et connus comme Malraux, Thomas Mann, Hanna Arendt, Somerset Maugham, Gide, Moravia, Nabokov, etc. Et il en trace dans ses mémoires des portraits rapides, où il essaie d'en saisir une vérité approximative ou une parcelle de vérité sur des questions importantes, suite à des entretiens qu'ils avaient eu ensemble.
J'ai voulu par la citation en exergue, illustrer à travers lui et à travers d'autres, ce qu'est la culture durable à mon sens, et celle qui ne l'est pas.
Léonard de Vinci et Michel Ange étaient tout à la fois, peintres et ingénieurs.
Goethe inventeur du roman moderne et tenant d'une littérature universelle par delà les époques et les cultures, réunissait dans une même démarche art et nature, poésie et science. Car il avait développé aussi une théorie scientifique des couleurs.
Omar Al Khayam, poète persan connu surtout pour ses quatrains, était en même temps, un mathématicien.
Ibn Sina (Avicenne), le plus célèbre médecin de son époque, était également un philosophe de renom.
Jean d'Ormesson de formation philosophique, à la fois écrivain et journaliste, aimait à opposer les caractères divergents des deux activités: l'une faite pour durer et l'autre éminemment périssable. Et à ce sujet il cite la formule de Péguy: "Rien n'est plus vieux que le journal de ce matin et Homère est toujours jeune.".
Il faut dire que la presse écrite désormais menacée par l'instantanéité et l'ubiquité d'internet, occuperait un peu la place, à travers ce minimum de cohérence qu'elle préserve par rapport à la nouvelle "culture" fugace et évanescente de l'immédiateté, ce que le produit culturel fait pour durer et émouvoir, occupe par rapport à l'actualité sans cesse changeante.
Ce "fast food" culturel envahissant est parfois consternant. Dans un groupe sur facebook "Aimez-vous la langue de Molière?", on tombe sans cesse sur des phrases parfois de trois mots mais avec autant de fautes; des questions un peu débiles du genre "trouver un mot commençant par C, à vos claviers...",etc.
Cette culture de l'image et de l'instantané lamine les possibilités d'acquisition d'une véritable culture, surtout quand il n'y a pas un background préalable suffisant, de nature à faciliter la recherche et faisant profiter des possibilités d'amélioration des connaissances dans un domaine donné. Mais quand on observe que ceux qui fréquentent les "cyber café" ou manipulent les smartphones et autres tablettes sont souvent très jeunes, on doit réaliser qu'il y a de quoi s'inquiéter.
Il est certain que les hommes universels n'existent plus et les savoirs et connaissances se sont démultipliés et ramifiés en une multitude de spécialités et de spécialités dans les spécialités sur un aspect particulier. Mais le grand problème c'est qu'avec le flot infini d'informations et données de qualité et de fiabilité très variables, les gens et notamment les jeunes censés assurer la relève, risquent de perdre pied et s'y noyer. L'héritage culturel et scientifique même des siècles les plus proches, risque de se perdre et de ne plus trouver qui pour le déchiffrer ou le comprendre.
La jeunesse d'aujourd'hui, n'a d'autre passion que pour le football que la force de l'image et son industrie lucrative imposent sur tous les écrans ou pour ces gadgets de l'époque moderne et accessoirement les voies d'acquisition de l'argent facile. On peut imaginer dès lors la place laissée à l'acquisition des connaissances et savoirs. Et particulièrement dans les milieux qui ne créent pas le climat favorable à l'épanouissement des dons et des talents.
Or ces réseaux sociaux certes commodes incontestablement et d'accès facile, ont développé à côté de leurs avantages au niveau des échanges scientifiques et commerciaux, de graves problèmes quand s'en sont saisi les extrémistes de tout bord, pour propager leurs idéologies mortifères, ainsi que des réseaux criminels divers et de plateformes pornographiques, etc.
Ces réseaux smart et cool dont l'un des plus emblématiques est facebook qui est né sur une idée généreuse d'un jeune homme de vouloir relier les étudiants d'une université dans un même réseau et s'est vite transformé en une entreprise gigantesque reliant une proportion significative de l'humanité. Ces instruments se sont révélés dans leur montée en puissance, un puissant instrument de "Big Brother" pour surveiller et parfois manipuler les données personnelles de leurs adhérents à des fins particulières, pas toujours innocentes. L'actualité bruisse de ces scandales. Les libertés individuelle et collective s'en trouvent désormais menacées. Une régulation devient nécessaire et pas seulement au niveau des grands pays bien outillés. Ces outils à partir du moment où des groupuscules criminels et dangereux les ont investis, n'aurait-il pas été plus sain de leur fermer l'accès pour éviter l'extension de leur propagande destructrice? Au lieu de l'attitude consistant à vouloir les identifier au moment où on contribue à élargir leur champ d'action et de propagande, de nature à recruter toujours davantage de nouveaux extrémistes.
"Big Brother a fait depuis des petits, des little brothers qui exploitent ces instruments à des fins contraires aux droits individuels et collectifs. Ainsi, des lois liberticides d'écoute et de surveillance, avaient été adoptées par notre parlement, il y a quelques années. D'autres pays limitent ou ferment l'accès à ces instruments selon leur bon vouloir. Et les menaces sur les libertés amènent toujours les totalitarismes rugueux ou soft, locaux ou planétaires.
Mohamed Mahmoud ould Sidiba Nouakchott le 20 avril 2018