Alors que la succession de Mohamed Abdel Aziz, auto-succession ou par défaut, continue de s’entourer d’un lourd mystère, la majorité prépare une sale mayonnaise, sous couvert de restructuration du parti Union Pour la République (UPR) avec un grand marché à ciel ouvert de vente et d’achat de conscience, tandis que timidement, l’opposition tente de se réorganiser.
Le cas Mohamed Abdel Aziz n’est pas encore totalement soldé. Partira, partira pas ? La question reste d’actualité, malgré les nombreuses sorties de l’intéressé, déclarant à tout vent qu’il ne briguera pas un troisième mandat.
Pour nombre d’observateurs, cette profession de foi de Mohamed Abdel Aziz ne peut convaincre que les crédules, tellement elle sent à plein nez le venin du cobra, destiné à endormir la postérité pour frapper au dernier moment. A ce propos, les analyses et suppositions vont bon train.
1er scénario : Aziz ne partira pas en 2019
Alors qu’une nouvelle structure dénommée « Awviya Al Watan » ou littéralement « Les Loyaux de la Nation » formé par les partisans de Mohamed Abdel Aziz qui œuvrent pour un 3ème mandat s’implante peu à peu dans les régions du pays, l’idée d’une alternance en 2019 semble de plus en plus improbable.
Beaucoup d’analystes pensent ainsi que Mohamed Abdel Aziz ne quittera pas le pouvoir. A voir les actes qu’il pose à tout bout de champ chaque jour, à travers notamment cette perfide émergence d’une pseudo « Nouvelle Mauritanie », hymne nouveau, drapeau nouveau, monnaie nouvelle, hommes d’affaires et hommes politiques nouveaux, la question se pose sur son départ, pensent-ils en substance. « On ne pose pas une telle architecture pour rien » avancent ses plus virulents détracteurs.
Jusque-là, c’était la peur d’un Occident pourvoyeur d’aides et banques à ciel ouvert des finances, mais aussi traqueur des présidences africaines à vie qui poussait insidieusement certains candidats-dictateurs à céder le fauteuil à contrecœur, selon leurs arguments. Et de soutenir qu’aujourd’hui que ce même Occident semble avoir baissé les bras et fermé les yeux devant la dérive autoritaire de certains présidents africains et leur forcing anticonstitutionnel, citant à ce titre Sassou Nguessou du Congo, Nkurunziza du Burundi, Kagamé du Rwanda ou un Faure du Togo, ils croient qu’un Ould Abdel Aziz peut bien brûler lui-aussi les verrous constitutionnels des deux mandats. Ainsi, beaucoup de Mauritaniens trouvent incongru que le double tombeur de Taya et de Sidioca, puisse se faire bâtir un empire économique et politique sur un terrain conquis, puis laisser les fruits de ces deux décennies d’efforts à son effigie s’effriter, alors qu’en face, nulle résistance ne se dresse.
La refondation de l’UPR, suite à une restructuration menée ces derniers temps, est suivi ces jours-ci par une réimplantation du parti sous fond de fraude à ciel ouvert, avec un marché des cartes d’identité qui en dit long sur le respect des règles démocratiques et de la morale tout court. Cela avec la complicité d’une partie des ténors de l’UPR et d’une administration domestiquée. Un de ces trafiquants arrêté à Rosso par la gendarmerie, avec en sa possession plusieurs centaines de cartes d’identité appartenant à des Mauritaniens résidant en Guinée Bissau, a été tout simplement relâché sur intervention, alors que l’acte qui lui est reproché est pénalement réprimé par la loi.
Ce toilettage du parti-Etat, accompagné d’un vil commerce des consciences, sous l’appât du gain, de pressions tribales ou de chantage économique sur les plus pauvres, annonce déjà les couleurs d’une triple consultation électorale en vue, courant 2018-2019, notamment les municipales, les législatives et les conseils régionaux. Qui se dressera devant cet empire du milieu, si l’on sait que l’administration civile et militaire, chargée de réguler le jeu démocratique et de veiller à la transparence des scrutins à venir, est toute acquise à l’UPR.
En effet, les administrateurs, les magistrats et les corps constitués confondent Etat et Parti-Etat, leur promotion étant tributaire de leur dévouement à ce dernier. C’est donc l’UPR, sous sa forme englobant le parti et l’administration publique, qui fera face à une opposition fragilisée par cet accaparement des instruments de l’Etat par son principal adversaire.
Elle aura en face d’elle une entité politique qui sera à la fois juge et parti, sans compter cette Commission électorale nationale indépendante (CENI) déjà fin prête sans que l’opposition ait eu son mot à dire sur sa composition et son fonctionnement. En Côte d’Ivoire, l’opposition démocratique s’est dressée contre une CENI montée selon le même modus vivendi, dans un marché africain de la duperie électorale, où les règles de la démocratie ont partout épousé les contours de la dictature.
Une fois que l’UPR aura achevé sa mainmise sur le corps électoral, d’une manière virtuelle plus que réelle, les scénarios pour la pérennité du pouvoir actuel s’ouvriront. La machine sera assez puissante pour devenir soit un tremplin pour la réélection de Mohamed Abdel Aziz ou un cheval de Troie qui lui permettra de contrôler l’exercice du pouvoir à travers un dauphin qu’il se sera lui-même choisi.
2ème scénario : Aziz hors du pouvoir
Si malgré tout, Mohamed Abdel Aziz, respectant sa parole donnée, décide de quitter le pouvoir en 2019, plusieurs scénarios s’offrent, celui d’un Ould Abdel Azizgouvernant par procuration à travers un dauphin, ou Abdel Aziz chef du gouvernement après révision de la Constitution qui lui donnerait les pleins pouvoirs d’un Premier ministre dans un régime parlementaire, ou un Abdel Azizdéfinitivement éjecté hors du pouvoir.
Aziz a répété à plusieurs reprises qu’il ne briguera pas un troisième mandat, mais qu’il restera dans les rouages du jeu politique, allant jusqu’à affirmer qu’il soutiendra le candidat qui lui succédera. L’expérience de Sidi Ould Cheikh Abdallahi qu’il avait soutenu en 2007 et qu’il renversera quelques mois plus tard est encore présente dans les esprits.
Tout le monde sait qu’au cours de la présidence de Sidi, les bureaux de Mohamed Abdel Aziz étaient contigus aux siens, qu’il contrôlait ses moindres gestes, ses courriers, ses visiteurs et avait même installé un système d’écoute qui lui permettait de suivre les audiences du président de la République. Cela donne un aperçu de ce que sera le calvaire du dauphin que Mohamed Abdel Aziz décidera de choisir au cas où il se prêtera au jeu de l’alternance politique en 2019. Un président entièrement sous contrôle et qui viendra certainement prendre ses consignes auprès de lui.
Il faut se rappeler que le BASEP reste un butin de guerre qui lui est entièrement dévoué et qui lui permettra en cas de coups foirés, de s’en servir pour reconquérir le pouvoir sous prétexte d’un complot qui vise la pérennité de l’Etat, Ould Abdel Aziz ayant fait depuis longtemps de sa personne, l’incarnation personnifiée de l’Etat et du peuple mauritanien.
Sur le choix de ce dauphin, certains avancent le nom du maire de Zouerate, cet ancien colonel de l’armée qui s’est illustré par la vidéo où il affirme gagner chaque année des milliards d’ouguiyas sur le dos de la direction de pêche qu’il contrôlait et qu’il contrôle toujours malgré sa mise à la retraite, avec en prime sa mission informelle de ministre de la Pêche et négociateur en chef des accords de pêche de la Mauritanie. C’est aussi l’un des complices attitrés de Mohamed Abdel Aziz, son confident et l’ami auprès de qui, il passe ses vacances dans ce vaste Bir-Moghreïnoù les deux hommes, dit-on, possèderaient de vastes champs d’or, gardés par l’armée. Un Ould Baya à la présidence, ce sera comme si lui-même y était toujours.
A côté de Ould Baya, le nom qui revient souvent est celui du général Ould Ghazwani, un fidèle ami de Mohamed Abdel Aziz, celui qui risque le moins de le trahir un jour. N’a-t-il pas conservé intact et pendant trois mois de convalescences, le fauteuil présidentiel alors que Mohamed Abdel Aziz était en France entre le vie et la mort suite à la fameuse balle de « Twela » ? Ould Ghazwani n’a-t-il pas été sollicité pendant cette période de vacuité du pouvoir par certaines puissances pour la succession de Mohamed Abdel Aziz et qu’il a fermement refusé de telles propositions, refusant de trahir un ami ?
Dans les rangs des civils, certains ont cité Mohamed Ould Laghdaf, l’ancien Premier ministre tombé un moment en disgrâce mais repêché par la suite pour redevenir un des confidents de Mohamed Abdel Aziz. A part lui, les civils semblent peu probablement visés par les militaires qui semblent vouloir encore garder la main sur le pouvoir politique en Mauritanie.
Cette persistance des analystes à fixer le choix du futur président de la Mauritanie au sein du corps de l’armée en dit ainsi long sur la mainmise de la Grande Muette sur les rouages de la politique. Depuis qu’elle s’est emparée du pouvoir en 1978, l’armée mauritanienne ne compte pas ainsi lâcher les rênes de la gouvernance aux civils, d’autant qu’à l’heure de la lutte antiterroriste au Sahel, les grandes puissances y semblent entièrement favorables.
Ce qui laisse peu de chance à l’accession d’un civil au pouvoir en 2019 dans un contexte international marqué par la chute des valeurs qui ont fondé le mythe de la légalité et du droit, sous le coup de boutoir de ces plus grands défenseurs, les grandes démocraties occidentales.
Et le FNDU dans tout ça ?
En effet, l’opposition au pouvoir de Mohamed Abdel Aziz, symbolisé par un conglomérat de partis politiques réunis au sein d’un Front national pour la démocratie et l’Unité (FNDU), boycottiste à l’envie et peu combative sur le terrain des revendications, semble constituer un faible rempart face à l’ambition démesurée d’un régime qui compte encore bien perdurer au pouvoir.
Ainsi, l’implantation en cours de l’UPR, après une restructuration qui rappelle celle de son ancêtre, le PRDS de Ould Taya qui lui a légué toutes ses têtes pensantes, supplante par son ampleur, les moyens limités du FNDU.
Jusque-là confinés dans des manifestations annuelles, entrecoupés de communiqués d’indignation par moment, le FNDU semble vouloir cependant récupérer la grogne sociale de plus en plus importante qui se lève contre le pouvoir actuel. En effet, jamais la masse de colère populaire n’a été aussi grande face au désastre social, à l’injustice, à la corruption généralisée, au népotisme, au racisme et à la discrimination raciale, à la spoliation des biens publics et aux détournements tous azimuts des bien sociaux, ajoutés à la paupérisation galopante, à la misère grandissante. Ce capital de mécontentement qui ferait baver toute opposition à travers le monde, est cependant peu exploité par le FNDU qui a débuté ces derniers jours une tournée régionale pour faire entendre son discours.
Mais il faudrait encore plus, selon plusieurs observateurs, pour que le FNDU parvienne à contrer la grosse machine du pouvoir. Parmi ces choix techniques, la possibilité d’une double ou triple candidature qui pourrait donner une chance à un second tour et une coalition contre le candidat du pouvoir. Le combat s’annonce déjà rude et tout pourrait se joueur dès les élections partielles qui se dérouleront probablement au courant de 2018.
Cheikh Aidara (L'Authentique)