Ah, les soucis de la presse réputée indépendante ! J’évoquais, dans un précédent édito, ceux de« Jeune Afrique »rampant à peshmerguer* pour le pouvoir nouakchottois. Voilà maintenant que la gangrène touche de plus prestigieux titres ! Ce n’est, en effet, pas moins que le « Journal du Dimanche » (JDD) qu’on vient de surprendre à fouiller les poubelles du Palais gris ! Triste.
Après avoir vu ses ventes baisser de près d’un quart, compressé son personnel et fusionné ses locaux avec ceux d’Europe 1, JDD complète, comme il peut, sa gamelle.
En s’avançant imprudemment à défendre une justice aux mains d’une dictature africaine, assimilée, localement, à une « régie des prisons ». Mais le peshmerguisme à la française est autrement plus fin – et sournois – dans ses méthodes, que son homologue africain… Petite analyse du texte publié, dimanche 28 Janvier 2018, dans les colonnes de l’édition-papier de JDD.
La complaisance envers Ould Abdel Aziz est signée de Pascal Ceaux, « enquêteur expert, spécialisé dans les affaires policières ». Elle débute par un astucieux message subliminal, avec une photo du président de la célèbre ONG Sherpa, maître William Bourdon, en sa tenue d’avocat, « au tribunal de grande instance de Paris », précise le journaliste ; photo suivie, immédiatement, de ce commentaire : « l’association de défense des droits de l’homme est mise en cause pour son rôle auprès de Mohamed Bouamatou ».
Tribunal, mise en cause… une affaire judiciaire, donc ? On en est, évidemment, à des années-lumière, mais le suggérer suffit à introduire « l’argumentation » de l’habile scribouillard.
Argumentation au demeurant faiblarde, pour ne pas dire étonnamment frivole, de la part d’un si réputé expert. S’étonner, par exemple, que Sherpa n’ait jamais mentionné Bouamatou, en une seule des quinze pages du rapport de Juillet 2017, consacré à la dégradation, depuis 2013, de la situation en Mauritanie, c’est, à tout le moins, ignorer le fait que le richissime cousin d’Ould Abdel Aziz s’était volontairement exilé de Mauritanie… dès 2010.
Preuve, s’il était nécessaire, que l’homme d’affaires était déjà très loin des « bénéficiaires » du pouvoir d’Ould Abdel Aziz qu’il avait, pourtant, très généreusement aidé, lors du putsch de 2008 et, encore sans compter, lors de la campagne électorale de 2009. Ignorance imputable à un manque de professionnalisme, défaut d’informations ou… sélectivité obligée de leurs sources ?
Quoiqu’il en soit, c’est surtout en voulant trop bien faire, au passage des « preuves » de la corruption présumée de Sherpa par Bouamatou, que l’enquêteur de JDD dévoile, sans ambiguïtés, ses accointances privilégiées avec le pouvoir mauritanien.
D’où tient-il, en effet, les « 11 308 emails » (sic !) dont il a extrait celui évoquant les aides financières du magnat à l’association ? Mais Pascal, je l’ai souligné tantôt, est habile. Il se contente d’en déduire une « familiarité » entre l’un et l’autre, laissant, à « l’entourage présidentiel », la matraque de l’accusation de « corruption ». Sans cesser, pour autant, de marquer de quel côté du bâton se trouve-t-il, lui, le grand expert réputé objectif.
Quel est, en effet, cet « on » qui « dresse portrait du multimillionnaire ? […] Un homme », écrit-il, « qui a profité de sa proximité avec les régimes précédents, tout en dirigeant le patronat local, et qui n’admet pas de ne plus être en cour auprès d’Abdel Aziz » ?
Le clou est pointé ; il ne reste plus qu’à l’enfoncer. Et c’est précisément là que Pascal Ceaux va, lamentablement, se le planter dans la main. Car affirmer que c’est « alors qu’il tente de quitter le pays » (sic !) qu’Ould Debagh « est interpellé par les douaniers […], parvient à s’enfuir à pied » (re-sic !), abandonnant voiture et matériel informatique dont les gendarmes extrairont les fameux emails et autres documents, c’est étaler, publiquement, son incompétence professionnelle ; probablement conjoncturelle, soyons indulgents, attribuable aux seules nécessités de son peshmerguiste et, on le lui souhaite, très exceptionnel emploi.
Manifestement, l’impartial expert n’a pas pris la peine de recueillir la version d’Ould Debagh ou, à défaut, du moindre observateur mauritanien non corrompu par le pouvoir azizien.
Il eût ainsi appris que l’homme d’affaires était en mission, routinière, vers Dakar ; a passé, sans encombres, les contrôles de douane et de gendarmerie ; s’est vu détrousser, on ne peut plus illégalement, de ses outils de travail par la police et a dû se résigner à continuer sa route, avant d’apprendre leur exploitation outrancière et malhonnête qui l’obligera à rejoindre son ami Bouamatou en exil au Maroc.
Comble de sournoiserie, la parole donnée, pour finir l’article, à maître William Bourdon, rappelant combien « juste est la cause de Sherpa, dans son enquête sur la Mauritanie […] gravement minée par la corruption », n’a d’autre objet que de préparer ce que le piètre matador croit l’estocade : « À Nouakchott », écrit-il, « c’est enquêter sur Mohamed Bouamatou qui paraît légitime »
. Pourquoi lui, omet de s’étonner monsieur Ceaux ? Bouamatou, mécène qui soutient l’opposition démocratique de son pays, la société civile nationale et internationale pour l’égalité des chances en Afrique…
Aussi apparemment nuancée, hors contexte, la conclusion hâtive de l’expert policier, s’apparente, bel et bien, après un tel discours, à une facture de… prestations de service. JDD nous en révèlera-t-il le montant ? L’éclat de l’or aveugle bien des compétences.
Ahmed Ould Cheikh
* Du mot « peshmerga », expression célèbre détournée, en Mauritanie, pour évoquer ceux qui s’avancent en journalistes pour se vendre au plus offrant.
Ahmed Ould Cheikh (Le Calame)