Dans le cadre des activités célébrant la Semaine de la Langue française et de la Francophonie, Son Excellence M. Joël Meyer, Ambassadeur de France en Mauritanie a procédé, jeudi 23 mars dernier, à la remise des insignes de Chevalier de l’Ordre de Palmes académiques françaises à M. Mohamed Ould Bouleiba Ould Ghrab.
Prenant la parole au cours de la cérémonie organisée pour l’occasion à l’Institut Français de Mauritanie, l’Ambassadeur a rendu hommage au récipiendaire de la distinction culturelle et scientifique, qu’il a qualifié de « personnalité mauritanienne qui illustre parfaitement (la) Francophonie plurielle que nous aimons tant. »
M. Meyer a ensuite énuméré les qualités et réalisations de M. Ould Bouleiba, mettant l’accent sur son « amour des langues, de la littérature et de sa critique, et notamment de la langue française » et résumant le parcours du professeur « universitaire de grande qualité » et du « militant dans le domaine des lettres et de l’écriture ».
Ensuite, il a souligné que les liens anciens du récipiendaire avec la France, où M. Ould Bouleiba a fait des études doctorales à la Sorbonne, après avoir « baigné dans cette double culture qui caractérise la Mauritanie contemporaine, une culture arabo-berbère et une culture francophone et francophile. »
Et SEM. Joël Meyer de poursuivre, s’adressant à M. Ould Bouleiba : « Vous êtes ainsi le symbole des rapports ténus qui existent entre votre lignage, vous êtes issu d’une tribu guerrière, et votre famille d’adoption, plus maraboutique celle-ci, celle de l’enseignement et de la transmission. Parfaitement bilingue français/arabe, vous avez rédigé votre thèse de doctorat, en français, sur les influences étrangères (notamment françaises) sur la nouvelle critique arabe… »
Parlant au public nombreux qui a assisté à la cérémonie, l’Ambassadeur de France en Mauritanie a rappelé que le Professeur Ould Bouleïba « est un homme de Lettres et de Savoirs complet. Il s’est toujours intéressé, plus largement, aux différents aspects du patrimoine mauritanien et de sa richesse (ce qui fait) de lui, un expert reconnu et un passeur. »
Et parlant de son dynamisme, "Le Pr Bouleïba est, vous l’avez compris, un intellectuel militant pour la diffusion de la littérature et des Savoirs au sens large. A cet égard, il est membre fondateur de diverses associations, telle que l’Association des écrivains mauritaniens d’expression française qu’il préside depuis janvier 2016 ou encore de l’Association mauritanienne pour la critique littéraire avec pour objectif principal la valorisation des Lettres et de la pensée humaine. Il est également membre de l’Association des écrivains mauritaniens depuis plus longtemps."
Il a cité quelques unes des nombreuses œuvres du professeur-chercheur et du fondateur de la maison d’édition Joussour/Ponts et particulièrement les traductions en langue arabe « d’ouvrages français consacrés à la Mauritanie et relevant des sciences humaines », saluant en lui le « francophone et (…) francophile averti, non feint, qui a consacré une partie de sa vie à notre langue et à nos idées, à leur enseignement, à leur dissémination et à leur rayonnement en Mauritanie sans jamais rien attendre en retour mais sans jamais renier la langue arabe non plus. » Et son Excellence a rappelé en disant : « c’est pour ces raisons et bien d’autres encore que je n’ai pu évoquer ce soir, que la République française a souhaité vous témoigner solennellement sa reconnaissance et son admiration ».
A la fin de la cérémonie, SEM Joël Meyer a remis ses insignes au professeur Mohamed Ould Bouleïba Ould Ghrab, au nom de la Ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de la République Française et sous les applaudissements nourris de l’Assistance.
Discours du Professeur Ould Bouleiba à cette occasion. Monsieur l’Ambassadeur, Messieurs les membres de l’Association des Ecrivains Mauritaniens d’Expression française, Mesdames, Messieurs, chers invités.
Permettez-moi de remercier Madame la Ministre de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de la République française, Madame Najat Vallaud-Belkacem qui m’a élevé au rang de Chevalier dans l’ordre des palmes académiques.
Je remercie aussi tous ceux qui sont venus aujourd’hui pour partager avec moi ce grand moment de bonheur, qui n’a d’égal pour moi que ma joie lorsque j’ai soutenu, il y a environ trente ans, une thèse de doctorat à la Sorbonne devant un jury composé d’éminents professeurs de cette prestigieuse université et du collège de France dont Daniel Reig, l’auteur du célèbre dictionnaire bilingue Arabe/Français et français/arabe(édité par Larousse) ; Daniel Reig, ce grand savant qui m’avait appris à traduire, et André Miquel le plus grand orientaliste de tous les temps qui a ouvert devant moi plusieurs pistes de recherche. Il y avait aussi mes professeurs Jean Gillet et Daniel-Henry Pageaux, les grands spécialistes des rapports littéraires internationaux, un domaine riche et un lieu de rencontres et de contacts entre les peuples et les civilisations.
Monsieur l’Ambassadeur, Mesdames, Messieurs.
Ma spécialité de comparatiste des littératures et des langages m’amène à établir des contacts entre les langues et les cultures. Ce programme, me semble-t-il, est dans le droit fil des grands principes de la Francophonie, mais aussi des institutions arabes comme l’Alecso, et du nécessaire dialogue entre les aires linguistiques et culturelles au service de la paix, de la connaissance et du développement. Et c’est à mon avis quelque chose de merveilleux et de nécessaire.
Le dialogue par la traduction que nous menons avec d’autres universitaires arabes et français s’inscrit dans une longue tradition qu’a connue le monde arabe et occidental, et la France en particulier. Ainsi Ousman Jelal avait traduit, au XIXe siècle, Les fables de La Fontaine et les romans de Bernardin De Saint-Pierre. Ce même siècle a connu la traduction de Racine et de Corneille ; Molière, lui, a été traduit même en langue vernaculaire. Ont aussi été traduits : Chateaubriand, Victor Hugo, Emile Zola, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas fils, Maurice Dekobra, Paul Bourget et bien d’autres, et les traductions se poursuivent encore au moment où je vous parle.
C’est par ce moyen de la traduction que les genres littéraires occidentaux ont été introduits dans le Monde Arabe: aussi bien des romans que des pièces de théâtre, aussi bien d’Allemagne que d’Angleterre ou de France. Et c’est après cette introduction que le Monde arabe a connu certains genres, comme le roman, souvent marqués par le modèle générique occidental.
Dans l’autre sens, nos ancêtres, les vôtres et les miens, Français et Arabes, ont développé, il y a fort longtemps, le contact entre nos deux civilisations par le même biais. Les grands savants occidentaux ont en mémoire le temps de la célèbre Ecole de Tolède où l’évêque don Raimondo, un Français, réunissait des traducteurs de l’Europe entière pour faire passer, vers le français, les écrits des Arabes trouvés sur place après la Reconquista : c’était au XIIe siècle.
Plus tard, au début du XVIIIe siècle, le savant français Antoine Galland (1646-1715) traduira en 1704 Les mille et une nuits, une œuvre qui marquera pendant trois siècles la production littéraire française et occidentale. Ainsi ont été traduits durant l’époque contemporaine 10 volumes de Tewfik al-Hakim les œuvres de Taha Housein et Nagib Mahfoudh de Gemal al-Ghitani et plusieurs autres.
Ces écrivains ont reçu un accueil favorable dans les milieux intellectuels français et occidentaux, par leur singularité. Et comme disait Philippe Cardinal à propos de ces traductions : « Si traduire consiste bien à tenter un rapprochement, à réduire les distances, il n’est pas étonnant, dès lors, que ces textes aient été les premiers à passer en français, quand ils avaient déjà – en eux-mêmes, leur forme- fait une partie du chemin ».
Sont apparus d’abord dans le monde arabe des romans où l’idée de l’intrigue, inspirée du monde occidental, est adaptée à la réalité de la société à laquelle appartient l’auteur. Dans un article intitulé « Les origines d’un roman célèbre de la littérature arabe moderne », l’orientaliste Henri Pérès se demande : “Où l’auteur du récit de Isa Ibn Hisam, (paru en 1907), a-t-il bien pu prendre l’idée de faire ressusciter un pacha, mort vers 1850 et enterré dans la nécropole de l’Imam al-Safii au Caire, pour lui faire juger ses contemporains de 1900?” .
Comme source de cette idée, Henri Pérès cite des exemples de littératures européennes en remontant jusqu’à l’Antiquité gréco-latine : « Le sommeil d’Epiménide de Gnosse - [...] La Belle au Bois Dormant de Charles Perrault, Le Diable Boiteux de Lesage (m. en 1747), Les Burgraves de Victor Hugo, Le Pantagruel de Rabelais, des Mélanges de Littérature et de Critique de Musset, L’Homme à l’Oreille Cassée d’Edmond About, l’Hamlet de Shakespeare, Le spectre de l’un des Noëls Fantastiques de Dickens ou plus simplement le Rip de la légende américaine racontée par Washington Irving » .
Les premiers romans arabes sont donc des genres hybrides, influencés aussi bien par la tradition arabe ancienne avec « les séances littéraires » al-maqamat, que par le genre romanesque occidental.
Je tiens à signaler ici que c’est grâce au brassage par la traduction entre les univers culturels et les langues que l’accès par le lecteur occidental et arabe à cette production littéraire n’a jamais posé de problèmes majeurs, et les influences réciproques sont bien perceptibles.
Mes traductions présentées ici ; celle de notre ami Pierre Bonte à qui je dois rendre ici un grand hommage, de Francis de Chassey et de Phillippe Marchesin, et bientôt Paul Marty s’inscrivent dans cet objectif de dialogue, mais aussi dans un programme de traduction en arabe d’ouvrages français qui illustrent les recherches contemporaines sur ce pays, dans la perspective d’enrichir les documents pédagogiques utiles aux étudiants et universitaires arabophones.
Je remercie en cette occasion tous ceux qui m’ont aidé dans ce projet et à leur tête les Services de la Coopération Française, et je les assure de mon ambition de poursuivre, autant que faire se pourra, sur la voie que je me suis tracée d’être, en toute humilité, un des artisans de la passerelle qui permet de voyager, par les mots, de ma culture arabo-africaine vers la culture française, devenue mienne, elle aussi, par la force de l’histoire et le génie des langues. Je vous remercie.
PERES (Henri) : “Les origines d’un roman célèbre de la littérature arabe moderne”, Bulletin d’études orientales, Institut Français de Damas, Beyrouth 1944, p. 115.
Le Quotidien de Nouakchott