Attaquer exclusivement Tawassoul en le ciblant, jour après jour, sans précaution, est un exercice d’opportunisme politique éculé. Cette tentative tous azimuts de diabolisation des islamistes n’est pas sans rappeler les errements des années sombres du règne du Colonel en exil. C’est une stratégie vouée à l’échec car, une fois à l’épreuve, elle produit des contre-effets en cascade. Il en fut ainsi naguère ; il en sera de même demain. Ce d’autant plus que l’angle d’attaque choisi pour dénigrer, à outrance, la mouvance islamiste pèche trop par son manque de pertinence, sa tendance au réductionnisme, son exagération sans limite, et sa légèreté inqualifiable.
Les attaques, sans relâche, contre des personnalités notoires de Tawassoul ne sont pas le résultat, par inadvertance, du hasard ou l’effet, par coïncidence, d’un écart de langage en répétition. Ils ne peuvent avoir lieu sans un consentement, voire une incitation, au plus haut niveau. Que ce soit l’appel lancé, en direct à la télévision, par le conseiller à la Présidence Mohamed Damou pour l’interdiction, sans préalable, du parti, les propos, sans nuance, proférés par Dr. El Kenti contre des individus affiliés à la mouvance, ou l’anecdote de caniveau colportée, il y a quelques jours, par une ministre, rien de tout cela n’est venu par erreur.
C’est plutôt la preuve d’une volonté délibérée d’intimidation d’un courant politique dont l’ancrage populaire témoigne, désormais, d’un dynamisme, sans équivoque, malgré une situation géopolitique défavorable à l’idéologie dont il se prévaut. Cette popularité que démontre son implantation parmi toutes les composantes de notre peuple, en particulier sa jeunesse éduquée et sans perspective d’avenir, atteste, de plus en plus, de l’attractivité de ses idées, et de sa crédibilité comme projet de rechange socio-politique.
Comme tout projet de société, l’islam politique dont se réclame Tawassoul, n’est pas pour autant prémuni contre l’observation critique. Son référent religieux ne saurait, en aucun cas, lui servir d’immunité en la matière. A l’instar de tout programme politique, le projet dont le Mouvement des Réformateurs est vecteur, ne pourrait échapper à la rigueur des méthodes d’analyse empirique. Mieux, ses représentants devraient être évalués, sans parti-pris ni complaisance. Leurs actions comme omissions nécessitent la même attention critique que celles des autres formations politiques. Il y va de l’intérêt public et de la crédibilité des institutions du pays. Ainsi, mesure-t-on, efficacement, l’engagement et la compétence des hommes politiques. Ainsi, peut-on les rendre tous comptables de leurs déviances.
La règle en politique, comme en droit, c’est l’égalité dans le traitement des dossiers, la transparence dans les procédés d’évaluation et l’honnêteté dans la délivrance du jugement. Sans quoi, il n’y a point d’objectivité. Ni le théoricien en chef du parti, Jemil Mansour, ni le jurisconsulte y affilié, Cheikh Mohamed El Hacen O. Dedew, ne sont, donc, au-dessus de l’appréciation critique ; encore faut-il que l’exercice d’évaluation critique soit objectivement articulé, sans offense ni stéréotype.
A cet effet, les propos du sieur El Kenti concernant le célèbre érudit ne relèvent pas de la contradiction politique, encore moins de la critique scientifique constructive. Elles transcendent, de loin, les règles de la bienséance et viole, sans ménagement, les normes du questionnement philosophique, à la base de la culture du paradoxe si nécessaire en politique, c’est-à-dire la pierre angulaire de tout débat d’idées. Les mots d’El Kenti sont malheureusement plus proches de la diffamation, et partant n’élèvent, en rien, le niveau du dialogue politique, déjà en état de stagnation depuis des années. Dr. El Kenti, éducateur de son état, devrait pourtant en savoir mieux. D’autant plus que le recours à cette forme de stigmatisation des personnes décrédibilise davantage son auteur plus qu’elle ne nuise à son destinataire.
Notre société attend assurément de son intelligentsia un meilleur rendement. Notre jeunesse en escompte un investissement de talent dans des conduites autrement plus fécondes que les égouts de l’imprécation et de la calomnie. Le pays a tant besoin, en ce moment, d’idées novatrices pour sortir de l’impasse où il se trouve, pour aller de l’avant, pour réconcilier ses contradictions, pour transcender ses divisions, et pour trouver des solutions durables à la myriade de problèmes qui le tenaille depuis longtemps. L’ostracisation d’un segment, non négligeable, de notre classe politique n’est donc pas une stratégie efficace de gestion ou de maintien du pouvoir. Plutôt que d’en légitimer le contrôle unilatéral, elle ouvre, a contrario, la voie à l’exacerbation des tensions sociales ; ce qui est de nature à aggraver le potentiel d’instabilité en multipliant les foyers de crise.
Cheikh Dedew fut déjà physiquement agressé, sans justification aucune, et son assaillant n’a jamais été inquiété ni même incriminé. C’est un comportement révélateur du caractère de ses adversaires, et de leur obsession à vouloir, à tout prix, nuire à sa personne ou briser l’élan de sa popularité. Pourquoi cherche-t-on tant à dénigrer ce monsieur ou salir la réputation de la mouvance politique à laquelle il se rattache par empathie ou conviction idéologique ? Qu’a-t-il fait de mal pour mériter cet acharnement, devenu quasi-institutionnalisé, contre sa personne qui pousse ses adversaires jusqu’à même tenter d’amoindrir la portée, pourtant jamais remise en question, de son immense érudition ? On lui a retiré un passeport diplomatique qu’on décerne pourtant, sans souci de rigueur dans la sélection, à tort et à travers. Devant lui sont dorénavant fermées les portes des institutions et médias officiels. Les tracasseries dont il fait l’objet ne se comptent même plus.
La raison est pourtant simple. Cheikh Dedew a constamment refusé de jouer le rôle qu’on voulait coûte que coûte lui assigner. C’est un choix qu’il assume avec courage et dignité. D’où son refus, maintes fois réitéré, d’être un faqif officiel frappant du sceau de son magistère moral, sans interrogation, les édits du Makhzen. Ainsi, se distingue-il, avec éclat, de ses imams à deux sous, qui marchandent, à l’encan, l’onction du faire-valoir religieux, si indispensable en Mauritanie.
Monsieur El Kenti ne s’était pas uniquement aventuré, comme il eut été légitime de le faire, à critiquer le projet de société islamiste. Il a, d’entrée de jeu, jeté l’anathème sur ses représentants officiels, fustigé les organisations de la société civile se réclamant du mouvement, fait le parallèle absurde entre la confrérie des Frères Musulmans et la franc-maçonnerie. Bien qu’ayant commencé par la dénonciation de tout amalgame entre le spirituel et le temporel, et donc le rejet de toute instrumentalisation de la religion, Dr. El Kenti a, néanmoins, conclu sa diatribe par un paradoxe de taille : les Frères Musulmans sont, nous dit-il, des laïcs, or notre pays est trop religieux, et par conséquent, rétif par nature à toute idée de sécularisme. Quelle ironie !
Avant la sortie on ne peut trop médiatisée de l’orateur nationaliste du sérail, on a eu droit, auparavant, à un autre exercice, sans panache celui- là, du conseiller à la présidence Mohamed Damou. Ce dernier y avait appelé, en personne, à l’interdiction, sans appel, du parti politique Tawassoul. Il nous a indiqué que cette demande d’annulation de l’autorisation du parti était motivée, en substance, par le souci de protéger la démocratie du pays, et du coup, lui éviter les affres de la violence et du chaos. Le conseiller n’a, toutefois, pas élaboré sur le type de démocratie à protéger par cet éventuel bannissement légal. Pis, il ne nous a pas éclairés, non plus, sur les dangers auxquels nous ferions face si le parti islamiste continuait à opérer paisiblement, au vu et au su de tout le monde, en toute légalité.
Et comme pour nous tirer davantage vers les abîmes de l’aberration, on nous offre, en épilogue, une ultime raison. Cette fois-ci, le supplément d’explication est narré, en public, par une représentante du gouvernement. Cette dernière, ministre de son état, ne trouve rien d’autre pour enfoncer le clou à nos islamistes, et prêter ainsi le flanc à ses doctes parrains, qu’une anecdote sans valeur, indigne d’un commérage de salon. En effet, un militant se serait approché d’elle, lors d’une visite récente à un bureau de vote, pour lui demander de donner sa voix au parti, en contrepartie d’une place au paradis.
Oui, le parti du mouvement des réformateurs, ayant déjà fait, avec brio, ses preuves dans la gestion des municipalités, la formulation des lois, l’encadrements des jeunes, la mobilisation des masses, la salubrité publique, le volontariat, la démocratisation de ses structures internes, n’a rien apparemment d’autre à vendre aux électeurs mauritaniens que le sacrement de pénitence. Selon la ministre, le programme politique du mouvement islamiste se réduirait, en somme, à la vente de la rémission des péchés temporels ou l’absolution de nos entorses aux interdits divins.
Quand la critique de l’adversaire politique descend à ce point, le mutisme, à défaut de cécité, me semble être la réponse idoine. Ce qui n’empêche nullement le divertissement. Car, au-delà de la clameur des comédiens, l’obscurité de la salle et la vétusté du décor, l’observation du spectacle a vraiment de quoi enivrer les âmes en détresse. Le parfum de joie qui s’en dégage finit irrémédiablement par instaurer un climat de béatitude général. C’est la prime collective du sacrement d’indulgence. L’ambroisie bénite du carême des mots. Pour conclure, je paraphraserai Mcbeth pour dire que la politique est chez nous un conte, plein d’ironie et d’aberration, raconté par une cohorte de courtisans au service d’un inamovible Sultan.
Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba