Ould Abdel Aziz est allé à Néma. Enfin ! Depuis près de deux mois, on ne parlait que de ça. La mobilisation battait son plein. Réunions sur réunions, conclaves, apartés, chacun fourbissait ses armes. Notables, chefs de tribus, cadres, personne ne voulait rater le jour J.
Tous les regards étaient braqués vers l’Est, une région que se disputent l’ancien et l’actuel Premiers ministres. Ould Mohamed Laghdaf et Ould Hademine se battent désormais à fleurets plus ou moins mouchetés et sur la place publique, chacun revendiquant le plus d’alliés et n’hésitant pas à courtiser les partenaires de son adversaire.
Si bien qu’en quelques jours, Néma est devenu un immense champ de bataille où pleuvent coups bas, crocs-en-jambes et pire, si pas affinités…Ould Abdel Aziz ne pouvait rêver meilleur scénario : une région qui lui est, en totalité apparemment, dévolue, des appartchiks qui se battent pour lui, comme des chiffonniers, des tribus en ordre de bataille, comme si l’Etat n’existait plus, et une foule vantant ses« mérites ».
Largement de quoi enflammer l’ego de notre guide éclairé. Sur le terrain même où l’opposition avait réussi, il y a quelques semaines, une mobilisation sans précédent, le voilà à décocher flèche sur flèche. « Les opposants ne sont », dit-il,« qu’un conglomérat de menteurs et d’irresponsables qui ont déjà fait tant de mal à ce pays.
Il n’est pas question de les laisser accéder au pouvoir […] Le dialogue aura bien lieu, dans trois ou quatre semaines, et ceux qui veulent y prendre part n’ont qu’à s’inscrire […] Le Sénat sera supprimé et des conseils régionaux seront désormais élus, pour assurer le développement des régions ». Le pouvoir ? Il n'en veut pas, assure-t-il.
Sinon, « j’aurais pu être président dès 2005 ou 2007 ». L’économie ? Elle se porte à merveille, les caisses de l’Etat sont pleines et les indicateurs au vert. La lutte contre le terrorisme ? Le pays est sécurisé, la guerre, au Mali ne nous concerne pas et nous n’avons, bien sûr, jamais signé le moindre accord avec Al Qaïda.
L’esclavage ? Inexistant, juste un fonds de commerce pour certains. Et de sortir, dans la foulée, « la » recette-miracle pour lutter contre la pauvreté : limiter les naissances. « Quand on a quinze enfants, c’est normal qu’on ait plus de problèmes qu’une famille qui en a deux », allusion, à peine voilée, à une communauté qui s’est bien sentie visée et l’a fait savoir bruyamment.
Que retenir, en fin de compte, de ce discours « historique » de Néma ? Qu’il y aurait un dialogue sous peu ? Rien n’est moins sûr. Spécialiste des effets d’annonce, Ould Abdel Aziz nous a accoutumés à le voir oublieraussi rapidement ses promesses qu’à les faire. Que la Constitution sera modifiée par référendum? Il ne demande pas plus. Encore lui faudra-t-il trouver la bonne formule.
Car sénat ou conseils régionaux, peu lui chaut, ce qui compte, pour lui, c’est comment faire sauter le verrou des mandats présidentiels. Et il n’hésitera pas, une seconde, à s’y employer, pour peuqu’on lui laisse les mains libres. Une puissante mobilisation intérieure, conjuguée à de fortes pressions extérieures, ne seront pas de trop pour le faire fléchir.
Nkurunziza et Sassou N’guesso sont là pour nous rappeler que le pouvoir grise. Mais la Mauritanie n’est ni le Burundi ni le Congo. Notre peuple a suffisamment souffert, depuis huit ans, pour n’avoir plus rien à perdre. Et à trop se frotter à sa couronne d’épines, Ould Abdel Aziz risque fort de s’y piquer. Lourdement.
Ahmed Ould Cheikh (Le Calame)