Le Calame : Votre parti, le RFD, a organisé récemment un meeting à Nouakchott. Comment en qualifieriez-vous la mobilisation, après une longue absence de la rue ?
Limam Ahmed Ould Mohamedou : D’excellente, al hamdou lillahi ! Les militants du parti comme ses sympathisants ont répondu, massivement, à l’appel du RFD dont ils savent, pertinemment, l’attachement aux aspirations du citoyen et aux intérêts supérieurs de la Nation, à un moment crucial dans la vie de notre pays, marqué par la volonté affichée du régime en place de le mener au chaos…
- Au cours de ce rassemblement, le président du parti, monsieur Ahmed ould Daddah a demandé, au président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz, de démissionner. Mieux, il a signifié que celui-ci ne serait pas poursuivi ou inquiété, une fois posé cet acte. Peut-on savoir sur quoi se fonde cette sortie et ce qu’il reproche au Président en place, élu par la majorité des mauritaniens et disposant d’une majorité confortable pour gouverner le pays, jusqu’à la fin de son mandat en 2019?
- Nous reprochons, à Mohamed ould Abdel Aziz, ce que lui reprochent, aujourd’hui, tous les Mauritaniens, y compris dans son propre camp : la gabegie, qui atteint des records jamais enregistrés sous nos tropiques ; son pouvoir autoritariste, qui écrase tout ce qui s’oppose à lui ou, tout simplement, ne lui « plait » pas… son mépris, affiché, pour le peuple qu’il gouverne malgré lui et dont les souffrances quotidiennes - du fait des politiques hasardeuses du régime - ne l’émeuvent en rien ; son mépris, aussi, pour la classe politique qui en émane et qui en représente, au moins, une partie, sinon la totalité…
La liste est très longue et ce ne sont, là, que quelques exemples de ce que le RFD reproche au régime en place. Comme l’a exprimé le président Ahmed ould Daddah, lors du meeting, la solution la plus sage et qui coûterait le moins cher au pays serait que le chef de l’Etat se retire et, avec lui, le régime militaire qui prend en otage le pays.
Le peuple mauritanien est suffisamment mûr pour se prendre en charge, une fois levée cette hypothèque qui l’étouffe et freine son développement, depuis des décennies.
- Faudrait-il entendre, en cet appel, que le RFD ne croit plus aux chances du dialogue avec le pouvoir, pour sortir de la tension politique que vit le pays depuis 2008 ? Le cas échéant, pourquoi ?
- En l’état actuel des choses, nous n’avons pas confiance dans les appels au « dialogue » que le pouvoir lance, de temps à autre, dans une logique propre à lui, et qui n’aboutissent jamais. Il faut rappeler que Mohamed ould Abdel Aziz n’a jamais respecté ses engagements, tant à l’égard de l’opposition qu’à celui du pays, à commencer par l’Accord de Dakar.
C’est ce qui explique l’attachement du RFD aux préalables présentés, par le FNDU, au pouvoir, dont la réponse déterminerait le lancement ou non d’un dialogue sérieux, à même de sortir le pays de la grave crise qui n’a que trop duré.
- Que compte faire le RFD, si le président refuse, comme c’est fort probable, d’accéder à cette demande ?
- Le RFD fera ce qu’il fait tous les jours : continuer le combat politique, en expliquant au peuple mauritanien, comme ce fut le cas à l’occasion du meeting de mercredi dernier, en quoi ce régime constitue un réel danger pour l’existence même du pays. Nous nous attèlerons, également, à renforcer davantage l’unité de l’opposition, véritable gage pour l’avènement d’un changement démocratique durable.
- Le RFD a gelé sa participation au FNDU qui a accepté de rencontrer le monsieur Dialogue du gouvernement. Jusqu’à quand va durer cette position ?
- Nous considérons que la démarche entreprise, par certains membres du FNDU, d’aller rencontrer les représentants du pouvoir et subir, à nouveau, mépris et mensonges, pouvait être évitée, si la règle cardinale de l’unanimité, qui prévaut pour la prise de décision au sein du FNDU, avait été respectée. Je ne vous cache pas que cela nous a, sérieusement, contrarié au RFD.
- Pourquoi le RFD s’oppose-t-il à une simple rencontre avec le gouvernement en vue d’explorer des voies et moyens de nouer le dialogue ?
- Une « simple » rencontre menant à une « simple » rencontre, laquelle pouvant aboutir à une autre « simple » rencontre, voilà ce que cherche le pouvoir, pour tromper aussi bien l’opinion publique nationale que les partenaires étrangers, en leur faisant croire qu’il s’agit, bel et bien, du « dialogue » tant attendu. Puis viendra le jour où il dira – il l’a déjà fait d’ailleurs – que l’opposition n’est pas sérieuse. Pour le RFD, il n’est plus question de cautionner ce genre de mascarades.
- La presse a fait état d’une rencontre entre le président Ahmed Daddah et le président Messaoud ould Boukheïr. Une alliance entre les partis dont les présidents ne s’apprécient pas est-elle possible ?
- D’abord, nous vous laissons la responsabilité d’affirmer que les deux présidents ne s’apprécient pas. Je peux vous dire, moi, que le président Ahmed ould Daddah apprécie, hautement, le président Messaoud ould Boulkheïr qu’il tient pour un grand leader. Je n’ai, par ailleurs, aucune raison de croire que le président Messaoud ould Boulkheïr n’éprouve pas la même considération envers le président Ahmed ould Daddah.
Ceci étant, il s’agit de deux hommes politiques, forts, chacun, de sa propre histoire, son caractère et ses objectifs spécifiques. De là à dire qu’ils s’opposent systématiquement me paraît aller trop vite en besogne. On verra, lorsque les conditions seront mûres, que les deux hommes ont beaucoup de choses en commun et qu’ils mettent l’intérêt du pays au-dessus de toute autre considération…
Propos recueillis par Dalay Lam