Retour à la réalité pour l'économie de l'Afrique | Mauriweb

Retour à la réalité pour l'économie de l'Afrique

lun, 22/02/2016 - 16:31

La baisse mondiale du prix des matières premières et le ralentissement économique de la Chine ont mis à genoux plusieurs économies africaines : il est à présent clair que « l'ascension » du continent était un mythe. Le moment est venu de réexaminer les fondements du récent « boom » de l'Afrique et de passer de la rhétorique du sentiment de bien-être à l'action en vue d'une véritable transformation économique.

Les exportateurs de matières premières comme l'Angola, le Ghana, le Nigeria, l'Afrique du Sud et la Zambie sont sous le choc. Les cours de leurs monnaies descendent en flèche depuis que les prix des matières premières comme le pétrole et le cuivre ont commencé à baisser fortement. En outre, les politiques budgétaires et monétaires sont en plein désarroi, avec une augmentation du risque de troubles sociaux si la tendance ne s'inverse pas à court ou à moyen terme.

Voici le nœud du problème : les pays africains ont pris un boom de super-cycle des matières premières pour une transformation économique durable. Mais un boom implique une bonne fortune passagère : mieux vaut en profiter tant qu'elle dure, ou bien économiser les bénéfices pour les jours de vache maigre. La plupart des gouvernements africains ont choisi la première option.

L'Afrique a assurément bénéficié d'une plus forte croissance du PIB et de meilleures opportunités au cours de la dernière décennie. Mais des centaines de millions d'Africains doivent encore être sortis de la pauvreté. La Chine a accompli cet exploit et a ouvert la voie à d'autres pays asiatiques comme l'Inde et le Vietnam.

Sans aucun doute, de nombreux individus en Afrique sont devenus immensément riches et jouent un rôle de plus affirmé dans le monde des affaires. L'entrepreneuriat est en hausse, surtout chez les jeunes Africains : une telle dynamique remplace progressivement l'impasse de l'aide étrangère. Mais la grande majorité des Africains reste à la traîne.

Malgré la propagation de la démocratie officielle sur le continent, la nature de la politique nationale dans la plupart des pays africains n'a guère changé. Un véritable leadership implique non seulement de mobiliser le vote des citoyens en faveur des candidats, mais aussi une gestion efficace, de la stratégie et la mise en œuvre de l'action du gouvernement. Malgré tout cela, le pouvoir est souvent recherché pour lui-même ou pour assurer le contrôle des ressources de l'État pour le compte d'une ethnie ou de certains coreligionnaires. La politique n'est pas encore, (comme elle devrait l'être dans l'idéal), un concours d'idées et de programmes qui touchent tous les citoyens. La corruption prospère dans un tel environnement.

En outre, une bonne compréhension de l'économie est nécessaire. Le continent et ses dirigeants ont jusqu'ici échoué à comprendre (ou s'ils les ont comprises, ont échoué à tirer) les leçons de l'histoire quant à la manière dont est créée la richesse des nations. Au lieu de cela, nous assistons souvent à une acceptation non critique et égoïste des idées reçues de la mondialisation.

Parvenir à la prospérité dans le contexte général de la mondialisation implique de créer une économie concurrentielle, fondée sur la production et l'exportation à valeur ajoutée. Mais cela implique également un engagement préférentiel dans des accords internationaux qui favorisent les bons producteurs concurrentiels actuels, au détriment des pays en développement qui sont de plus en plus souvent des marchés pour ces produits. Certains de ces accords confisquent la possibilité même pour les pays africains de se joindre à des chaînes de valeur mondiales, ce qui entrave leur développement.

C'est pour cette raison précise que la plus grande folie de l'Afrique est de croire que les ressources minières et les autres matières premières sont automatiquement une source de richesse. Cette fausse idée est la raison pour laquelle l'Afrique est le plus riche continent du monde en termes de dotations en ressources, mais en même temps le plus pauvre du monde en termes de revenus par habitant.

La compétitivité et la prospérité à venir de l'Afrique se trouvent dans les possibilités offertes par la science, la technologie et l'innovation. À Nairobi, à Lagos et à Johannesbourg, des centres d'innovation voient le jour. Cela n'a rien de surprenant. Nous assistons à la renaissance moderne des anciens talents scientifiques de l'Afrique, dont témoignent les pyramides de Gizeh, l'astronomie de la tribu Dogon du Mali ancien et les césariennes pratiquées au XIXème siècle en Ouganda.

Les dirigeants africains des secteurs public et privé ont la possibilité de mettre fin aux blocages politiques qui empêchent la commercialisation des inventions africaines, en particulier dans les grandes économies du Nigeria, de l'Afrique du Sud (qui a une politique d'innovation plus avancée que le reste du continent) et du Kenya. Il faut déployer l'innovation dans les secteurs rentables de l'industrie et des services.

 

Le ralentissement des matières premières ne doit pas arrêter le développement de l'Afrique. Mais si une prospérité durable doit être atteinte, il faut alors envisager les défis actuels comme une chance de remettre les économies du continent sur une trajectoire véritablement transformationnelle.

Par Kingsley Chiedu Moghalu

 

 

Kingsley Chiedu Moghalu, ancien vice-gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, professeur de pratiques commerciales internationales et de politique publique à la School of Law and Diplomacy, Tufts University, auteur de Emerging Africa: How the Global Economy’s ‘Last Frontier’ Can Prosper and Matter.

 

Copyright: Project Syndicate, 2016.
www.project-syndicate.org