Le Calame : Vous avez été reçu en audience, il y a quelques jours, par le président de la République. Cette rencontre intervient après votre séjour de deux mois à l’étranger. Voudriez-vous nous dire sur quoi a porté cet entretien ?
Messaoud Boulkheir: Il a naturellement porté sur mon séjour à l’étranger pour consultations et soins et l’occasion d’exprimer à son Excellence M. le Président de la République mes sincères remerciements et mon entière reconnaissance pour toute la bienveillante attention dont ma modeste personne a été entourée, une fois de plus, aux Emirats Arabes Unis, ce généreux et beau pays où mes consultations et mes soins se sont déroulés dans les meilleures conditions.
Nous avons aussi abordé de nombreuses autres questions moins personnelles et donc d’intérêt général, national.
Cette audience intervient également en pleine préparation des prochaines élections municipales, régionales et législatives auxquelles prendra part votre parti APP. Où en êtes-vous avec les préparatifs ? Le président Messaoud dirigera-t-il la liste nationale mixte?
En vérité nous sommes encore au point de départ. J’avais pour ma part deux grandes inquiétudes, lesquelles, à défaut d’être levées pouvaient m’interpeller à propos de la participation ou non du Parti à ces élections.
Je viens d’apprendre maintenant que la première inquiétude a été levée et je souhaite vivement que la seconde le soit aussi dans le même souci d’ouverture du Ministère de l’Intérieur d’une part, mais aussi de l’obligation pour tous, du respect des décisions de notre Justice sans lequel il sera très laborieux de nous convaincre de la transparence desdites élections, d’autre part.
Au vu de cela nous nous ne désespérons pas de voir les trois partis concernés par l’Arrêt de la Cour Suprême autoriser par ce même Ministère à participer aux élections prochaines.
Je suis encore hésitant…les prochaines semaines décideront.
-Le Ministère de l’Intérieur a convié récemment les formations politiques qui avaient réclamé une CENI politique. Votre parti y est représenté. Pensez-vous que le travail qu’elle fait est de nature à organiser des élections crédibles et transparentes ?
La texture de la CENI est certainement politique et je pense que ce pari a été gagné, même si le véritable seul gagnant est de fait la Majorité qui nous a piqué deux voix, ce qui impacte des risques prévisibles considérables. Mais Il faut toutefois rester zen et ne pas perdre l’espoir…
-Certains partis politiques et la diaspora élèvent une vive protestation contre le nombre très réduit de bureaux de vote à l’étranger, ce qui ne manquera pas de priver des mauritaniens établis à l’étranger de leur devoir civique. Qu’en pensez-vous ? La responsabilité incombe-t-elle à la CENI ou au gouvernement ?
Nous protestons nous aussi contre cette décision où nous n’y avons pris aucune part, parce que prise sans même notre consultation. J’en attribuerai personnellement la responsabilité à la CENI car son Président, faisant fi de l’entière liberté de l’institution dont il a la charge, a retrouvé toute sa voix (machaAllah) pour clamer haut et fort que l’Etat, sans lui, sans la démocratie, sans l’opposition, sans le peuple et sans la loi, décide de tout…car c’est le Grand Manitou.
Malgré les concertations avec le ministère de l’intérieur, certains partis de l’opposition estiment que les conditions d’une élection transparente et consensuelle ne sont pas réunies, ils réclament même le report du scrutin de mai prochain. Partagez-vous cette position ?
Je le pense aussi et s’il pouvait y avoir un minimum de chance d’unir toute l’opposition à ce sujet, j’y aurai souscrit…
L’opposition dont APP est un des principaux artisans ira aux élections en rangs dispersés. Que vous inspire cette situation ? A-t-elle une chance de limiter les dégâts lors des prochaines élections ?
Une grande peur, une débâcle quasi certaine et tout cela par notre propre volonté (je nomme l’Opposition) de nous opposer les uns aux autres plutôt que nous unir tous et nous opposer à la Majorité. Qu’Allah accorde aux uns et aux autres, le temps d’écrire ou de dicter leurs mémoires et d’espérer que chacun n’y expose que la stricte Vérité.
Vous êtes un des principaux leaders de cette opposition politique. Pourquoi l’opposition mauritanienne en est-elle arrivée là ? Est-ce un problème d’égo de ses dirigeants ou d’agenda ? Les leaders historiques de cette opposition ne portent-ils pas une grosse part de responsabilité dans ce qui est arrivé à celle-ci ?
Je viens de donner ma réponse à cette question. Chacun a certainement la sienne.
En dehors du cadre de concertation avec le ministère de l’intérieur, parlez-vous aux autres leaders de l’opposition, vous qui proclamez « la Mauritanie d’abord » ?
Pour certains, dont moi-même, les contacts semblent définitivement rompus après les échecs répétés des dernières tentatives ; pour d’autres des passerelles subsistent encore. Si mon appel avait été suivi en son temps, beaucoup de ce que nous avons subi et que nous tentons aujourd’hui de réparer aurait pu être évité.
Le rejet a été plébiscité par l’Opposition d’abord et seulement suivi ensuite par le Président de l’époque, Mohamed Ould Abdel Aziz.
Le financement des partis politiques est un des points de l’accord entre les partis politiques et le ministère de l’intérieur. Ce financement pourrait-il être versé avant les élections en vue ?
Je n’en ai aucun souvenir.
Le congrès de l’APP qui était attendu, il y a quelques temps a été reporté. Peut-on savoir pourquoi ? Pouvez-vous nous dire quand est-ce qu’il se tiendra ?
Sûrement après les élections si A.P.P. réussissait à survivre…et son Président aussi.
La question de l’unité nationale et du vivre ensemble vous a toujours préoccupée. Certaines victimes et rescapés militaires ont demandé votre intervention auprès des autorités et des cas d’esclavage continuent à être exhibés par les organisations de défense des droits de l’homme. Pensez-vous que le président Ghazwani prête une oreille attentive à ces questions ? Que lui conseillez-vous d’entreprendre dans ce sens?
Ce sont là des problèmes récurrents dont l’acuité ne s’estompera que par la pratique, contrairement aux discours qui n’auront jusque-là réussi qu’à approfondir les divergences et les incompréhensions de part et d’autre. Cette pratique reste, à défaut d’édits constitutionnels ou législatifs, du pouvoir discrétionnaire du Président de la République.
Une seule décision de sa part, dans le bon sens, peut classer tous ces dossiers dans les oubliettes et réconcilier tous les Mauritaniens.
Plus cette décision tardera à se matérialiser et plus s’éloigneront les solutions simples.
J’ai discuté dans ce cadre avec M. le Président auquel j’ai laissé une photocopie d’un document qui m’avait été remis par un Collectif appelé C.C.V.E. il y a presque quatre mois. Il m’avait été présenté par ce Collectif comme étant la synthèse des prétentions au dédommagement des segments des différentes victimes qui l’auraient toutes signé à l’exception de ce qu’ils ont eux-mêmes appelés les « politiciens » dont ils tiennent à marquer leur divergence et leur différence. Ce Collectif ne comprenait pas le pourquoi du gel d’un tel accord soumis au Représentant personnel de M. le Président.
M. le Président, après m’avoir attentivement écouté m’a rassuré quant à sa volonté totale de régler définitivement ce dossier dont il confirme avoir confié le traitement à M. le Ministre Kane Ousmane…
Des partis politiques dont FPC et RAG attendent une reconnaissance du ministère de l’intérieur. Ne pensez-vous pas qu’un geste de la part du gouvernement contribuerait à décrisper davantage l’atmosphère politique ?
Je le pense aussi comme tous ceux qui le pensent, mais le Pouvoir pense par lui-même …
Il y a quelques semaines, un jeune activiste des droits de l’homme, Souvi Cheibani a été torturé à mort dans un commissariat de police. Un acte condamné par toute l’opinion mauritanienne. Que pensez-vous de la réaction des autorités face à cet acte ignoble ?
L’ignominie de l’Acte en soi, son atrocité, sa veulerie, sa lâcheté et l’amateurisme de ses exécutants, sont tout simplement innommables, car inconcevables.
Ils interpellent les bonnes consciences, eu égard au temps et à l’espace où ces mises en scène se pratiquent, au vu et au su de tous, s’il n’est pas normal et juste pour les citoyens que nous sommes, de nous demander s’il existe dans la réalité des Institutions et des Services en charge de notre protection et de notre sécurité ou seulement de nous conduire au supplice, à l’abattoir !?
La célérité, la désinvolture et l’ostentation criminelle du peloton d’exécution pouvaient amener à supposer une overdose de courage et de résilience au lieu de la lâcheté et de la perte totale de contrôle après la mort du défunt.
Les dysfonctionnements qui ont suivi et qui cherchaient à camoufler une réalité de la barbarie des criminels qui s’affichaient pourtant ouvertement quelques minutes auparavant ont induit, contrairement à leur attente, plus de questions que de réponses.
C’est pourquoi le peuple, naguère humilié et ignoré pour sa naïveté et sa passivité, se surprend à décrypter les voix du silence qui dorénavant le privent du sommeil réparateur.
Le mutisme des autorités les plus autorisées, pose lui aussi des questions plus pressantes que celles suscitées par les premiers faux experts en falsification et elles engendreront de nombreux petits.
Quant aux voix à peine perceptibles tendant à limiter cette affaire à des individus que la Justice se charge de poursuivre, n’est certainement pas une argumentation consommable.
La Justice n’est pas que pénale : elle se manifeste aussi moralement, administrativement, civilement, humainement, socialement et ces manifestations différentes impactent des sanctions auxquelles nul n’est en droit d’y échapper.
L’ignorer serait très grave et serait suicidaire…
Il faut éviter d’assassiner Elmarhoum une énième fois et qu’ALLAH l’accueille en son SAINT PARADIS.
Propos recueillis par Dalay Lam