ÉDIMBOURG – Comme chacun a clairement pu le constater lors des récents rassemblements des dirigeants du G7, des membres de l’OTAN, et des ministres des Affaires étrangères du G20, le monde est aujourd’hui confronté à une confluence d’urgences sans précédent depuis plusieurs décennies. Les tensions internationales s’accentuent dans une mesure alarmante, dans un contexte d’aggravation de l’insécurité alimentaire et énergétique, de dépréciation des monnaies, de crises de la dette toutes proches, de pandémie de COVID-19 toujours présente, d’intensification des effets du changement climatique, ainsi que de conflits armés.
Hier forum de gestion des problèmes financiers et économiques, le G20, présidé cette année par l’Indonésie, avance désormais en terrain sensible et périlleux. Le sommet des dirigeants du groupe qui aura lieu mi-novembre sera extrêmement important, ce qui n’atténue toutefois en rien la nécessité d’agir sans attendre pour remédier aux crises entremêlées d’aujourd’hui. Il est essentiel que le G20 amorce une processus virtuel (en ligne) pour commencer à travailler sur une réponse commune coordonnée en amont de son sommet de novembre.
D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 800 millions d’êtres humains souffrent aujourd’hui de la faim de manière chronique, et 323 millions de personnes risquent de connaître une véritable famine. Les prix énergétiques explosent, et le COVID-19 continue de faire rage au sein des populations les moins vaccinées de la planète (seulement 16,5 % des habitants des pays à revenu faible étant aujourd’hui pleinement vaccinés). Près de 60 % des pays à revenu faible se trouvent par ailleurs en grande difficulté sur le plan de la dette, pendant que les communautés du monde entier doivent faire face aux sécheresses, montées des eaux, feux de forêt, et autres symptômes de la dégradation climatique.
Au mois d’avril, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a mis en garde sur l’actuel confluence des crises, qui « risque de pousser pas moins d’1,7 milliard de personnes – plus d’un cinquième de l’humanité – vers la pauvreté, la détresse et la faim, dans une mesure jamais observée depuis plusieurs décennies ». Face à cette situation périlleuse, nous pouvons cependant agir pour le changement. Plusieurs initiatives multilatérales sont d’ores et déjà mises en œuvre pour lutter contre le problème de la dette, ainsi que contre l’insécurité énergétique et alimentaire. Pour se révéler efficaces, ces efforts doivent cependant être complets et coordonnés. Nos problématiques sont trop interconnectées pour que nous les gérions de manière fragmentée.
La priorité immédiate consiste à maintenir prix acceptables et approvisionnements sécurisés sur les marchés alimentaire et énergétique. Au moins 10 milliards $ sont nécessaires pour combler le manque de fonds du PAM cette année. Jusqu’à présent, les institutions internationales et nombre de gouvernements ont répondu à la crise alimentaire via des initiatives telles que l’Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire, qui a été lancée au printemps pour coordonner les financements et investissements humanitaires en faveur de la résilience des systèmes alimentaires. Plus de 80 pays ont par ailleurs adopté la Feuille de route pour la sécurité alimentaire mondiale – Appel à l’action, de même qu’ont été organisés plusieurs importants sommets au plan régional, tels que le Dialogue ministériel méditerranéen sur la crise alimentaire, et la Conférence ministérielle « S’unir pour la sécurité alimentaire mondiale ».
Alors que chacun sait combien il est crucial d’ouvrir le commerce pour limiter l’insécurité alimentaire, plus de 20 pays ont imposé des restrictions sur les exportations alimentaires (au moyen de licences d’exportation, de taxes, voire d’interdiction pures et simples). Les États membres de l’Organisation mondiale du commerce ont récemment convenu d’exempter de restrictions sur les exportations les achats humanitaires du PAM, ce qui n’est toutefois pas suffisant. Nous devons tirer pleinement parti de notre connaissance du fonctionnement du marché alimentaire mondial à court et long terme, ainsi que sur le plan des approvisionnements et réserves.
Il est pour cela nécessaire que les grands pays détenteurs de réserves de céréales libèrent ces réserves sur les marchés internationaux, afin d’atténuer les nouvelles augmentations de prix, et il incombe aux gouvernements de renforcer le Système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) pour améliorer la transparence et le contrôle (y compris sur les marchés des contrats futurs), ainsi que pour prévenir la spéculation. Nous devons faire en sorte que davantage de pays puissent bâtir leur autosuffisance via une diversification de leurs importations agricoles, et au moyen d’une production domestique plus résiliente (lorsque c’est possible).
Concernant l’énergie, le Premier ministre italien Mario Draghi, le président américain Joe Biden et plusieurs autres dirigeants ont discuté de la création d’un cartel d’achat de pétrole afin de pouvoir négocier de meilleurs prix. De nombreuses initiatives nouvelles sont également mises en œuvre pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables, améliorer l’efficience énergétique, et réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Nous devons toutefois accélérer la cadence en amont de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) de novembre, qui se tiendra en Égypte.
De leur côté, le Fonds monétaire international et les banques multilatérales de développement peuvent et doivent accomplir davantage dans l’aide fournie face aux actuelles crises alimentaire, énergétique, et de la dette. Seulement un quart du bilan de plusieurs milliers de dollars du FMI est actuellement consacré à la fourniture d’une aide financière ainsi qu’à l’allègement du service de la dette pour les pays en difficulté. De même, la Banque mondiale doit prêter davantage, en négociant une reconstitution de capitaux avec ses États membres, ainsi qu’en tirant parti de sa notation de crédit triple A pour attirer les capitaux privés au moyen de garanties des prêts.
Pour remédier aux crises de la dette qui s’annoncent, nous avons besoin d’une solide restructuration multilatérale préventive et initiative d’allègement pour les pays en voie de développement confrontés à une charge de la dette insoutenable. La proportion de pays à revenu faible en détresse sur le plan de la dette, ou risquant fortement de le devenir, a doublé en passant de 30 % à 60 % depuis 2015. La situation est d’autant plus difficile que la notation de crédit de nombreux pays à revenu intermédiaire se trouve actuellement revue à la baisse, ce qui signifie que ces États seront confrontés à des coûts plus élevés de service de la dette, en particulier à l’heure où la Réserve fédérale américaine et les autres grandes banques centrales resserrent leur politique monétaire.
Ces nouvelles initiatives d’atténuation du surendettement devront aller beaucoup plus loin que les efforts similaires récemment fournis. L’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) rapidement lancée au début de la pandémie a depuis expiré, après avoir fourni seulement 13 milliards $ d’aide temporaire en faveur de 48 pays à revenu faible. Cette aide ne couvrait par ailleurs que les créanciers bilatéraux officiels, excluant les créanciers privés, détenteurs de la plus grande part de dette des pays en voie de développement.
Après le lancement de l’ISSD, le Cadre commun pour le traitement de la dette a été mis en place pour gérer l’insolvabilité souveraine et les problèmes de liquidité de longue date des pays éligibles à l’ISSD. Ce cadre était censé opérer un allègement et une restructuration de la dette, en fonction des besoins de dépenses essentielles du pays débiteur, et de sa capacité de remboursement. Or, un an et demi après sa mise en place, seuls trois pays ont participé (Tchad, Éthiopie et Zambie), et aucun n’est parvenu à achever une restructuration de sa dette.
La participation au Cadre commun étant actuellement limitée aux 73 pays les plus pauvres, une révision et un assouplissement des critères d’éligibilité doivent être envisagés, de même que l’incorporation de tous les créanciers – y compris la Chine et le secteur privé – dans le processus. Une plus grande transparence en matière de dette est essentielle à la renégociation efficace des dettes souveraines. Si la participation de la Chine s’annonce difficile à obtenir, la participation du secteur privé peut en revanche être imposée par une réglementation, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, où des précédents existent en la matière.
Enfin, les surtaxes du FMI (frais supplémentaires facturés aux pays emprunteurs hautement endettés) doivent être suspendues immédiatement. Le nombre de pays supportant ces coûts a déjà augmenté pour passer de 9 à 16 depuis le début de la pandémie, et ces pays pourraient être 38 au total d’ici 2025, d’après les projections du FMI.
Nous sommes confrontés à une confluence de crises sans précédent, qui pourrait gravement menacer notre avenir. Le monde a de nouveau besoin du G20 pour accélérer avec détermination le rythme de son action.
This commentary is signed by: Philippe Aghion - Professor of Economics, Collège de France & London School of Economics; María Elena Agüero - Secretary General of Club de Madrid; Abdur-Rauf Al Rawabdeh - Prime Minister of Jordan (1999-2000) and President of the Senate (2013-15); Abdulaziz Altwaijri - former Director-General of ISESCO; Oscar Arias - President of Costa Rica (1986-90; 2006-10); Jan Peter Balkenende - Prime Minister of the Netherlands (2002-10); Kaushik Basu - President of the International Economic Association; Chief Economist of the World Bank (2012-16); Erik Berglof – Professor at the London School of Economics and Head of Economics at AIIB; Sali Berisha - President of Albania (1992-97) and Prime Minister of Albania (2005-12); Ana Birchall - Deputy Prime Minister of Romania (2018-19); Valdis Birkavs - Prime Minister of Latvia (1993-94); Patrick Bolton - Professor of Finance and Economics, Imperial College London; Professor, Columbia University; Kjell Magne Bondevik - Prime Minister of Norway (1997-2000; 2001-05); Gordon Brown - Prime Minister of the United Kingdom (2007-10); John Bruton - Prime Minister of the Republic of Ireland (1994-97); Robin Burgess - Professor of Economics, London School of Economics; Felipe Calderón - President of Mexico (2006-12); Micheline Calmy-Rey - President of the Swiss Confederations (2007-11); Kim Campbell - Prime Minister of Canada (1993); Fernando Henrique Cardoso - President of Brazil (1995-2003); Wendy Carlin - Professor of Economics, University College London; Hikmet Cetin - Minister of Foreign Affairs of Turkey (1991-94), Deputy Prime Minister (1995) and Speaker of the Grand National Assembly (1997-99); Joaquim Chissano - President of Mozambique (1986-2005); Helen Clark - Prime Minister of New Zealand (1999-2008); Sean Cleary - Chairman of Strategic Concepts; Marie-Louise Coleiro Preca - President of Malta (2014-19); Emil Constantinescu - President of Romania (1996-2000); Diane Coyle - Co-Director of the Bennett Institute for Public Policy, University of Cambridge; Rut C. 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Traduit de l’anglais par Martin Morel
José Ramos-Horta, lauréat du prix Nobel de la paix, est président du Timor oriental. Danilo Türk, président du Club de Madrid, a été président de la Slovénie (2007-2012). Laura Chinchilla, vice-présidente du Club de Madrid, a été présidente du Costa Rica (2010-2014). Han Seung-soo, vice-président du Club de Madrid, a été Premier ministre de la Corée du Sud (2008-2009).
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