Pr ELY Mustapha - Dans ses lettres à Lucilius, le philosophe stoïcien romain, Sénèque écrivit : « il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où aller » auquel, sans être philosophe, nous ajouterons que « celui qui ne sait pas où il se trouve ne peut savoir où il va ».
Ni d’ailleurs celui qui ne sait d’où il vient, ne peut savoir où il va. Tout capitaine de navire vous le dira : voguer sans instruments de navigation ne mène pas à bon port. Depuis le temps où les hommes perdus dans les immensités terrestres scrutent les étoiles, au timonier en pleine mer ajustant son sextant, l’humain a toujours su qu’il doit son salut au tracé de sa route.
Il y trouva les chemins de sa migration et les voies de sa survie.< L’Etat, collectivité humaine, a besoin de tracer son chemin vers ses objectifs, ceux notamment du développement et du progrès dans toutes ses dimensions.
Il ne le pourra cependant pas s’il navigue à vue sans référentiels (économiques, sociaux, scientifiques, technologiques industriels etc.), lui permettant à la fois de les atteindre et de mesurer ses capacités de concrétiser ses objectifs en réalisation.
D’en mesurer, les impacts sur son développement, d’en analyser les écarts pour les adapter à ses moyens (ressources) et les ajuster au contexte (national et international) dans lequel il évolue de façon périodique (annuelle, pluriannuelle) et de les maitriser à travers une planification appuyée d’une stratégie de développement source d’édiction de politiques publiques claires, éclairées, rationnelles et efficaces sur le moyen et long terme.
Ainsi, lorsque le Président Ghazouani affirme que la situation de sous-développement de la Mauritanie est due à « l’inefficacité des politiques publiques. », il n’a pas tort.
En effet, si les politiques publiques sont inefficaces, c’est parce que l’Etat mauritanien, n’est point le maître de sa navigation. Ses repères lui sont fixés. Sa gestion est celle qu’on lui impose. Celle du moment. Pas celle de l’avenir.
La politique publique a pu être définie comme un phénomène social et politique spécifique, empiriquement fondé et analytiquement construit (Dictionnaire des politiques publiques) Les politiques publiques s’élaborent et s’exécutent par l’intelligence économique mise en œuvre par un Etat stratège dans un environnement où s’exercent des forces multiples.
C’est autant dire qu’une politique publique est un construit sur des paramètres objectifs auxquels s’attachent des indicateurs de réalisations/objectifs issus de l’exécution de la planification de développement économique et sociale sur le moyen terme (plans quadriennaux, quinquennaux etc.)
Le plan de développement économique et social encadre l’action de l’Etat. Il y inscrit ses objectifs généraux et sectoriels aux fins de générer les mutations positives socio-économiques, technologiques, industriels nécessaires au développement du pays.
Sans plan de développement économique et social permettant à l’Etat de naviguer de façon indépendante, souveraine et maitrisée vers des objectifs de développement qu’il a choisis à travers une vision propre de son développement, de les adapter et de les ajuster en fonction des résultats atteints en fin de période planifiée, d’une consultation des acteurs économiques sociaux nationaux sur les objectifs et les résultats, l’Etat naviguera au sextant et à la boussole des « autres ».
Ceux, qui le tenant par la finance, ses créanciers, lui fixent le « tracé » de son « développement », évaluent ses réalisations et les écarts entre celles-ci et les objectifs à l’aune des propres intérêts de ces « partenaires financiers »
Avec les derniers soubresauts de la planification de la fin des années 70 (avec le PREF et le PCR), l’Etat mauritanien a abandonné sa planification souveraine élaborée par ses ministères du Plan depuis l’indépendance et il a été pris au piège des « stratégies de réduction de la pauvreté » et leurs plans d’actions qui ne sont en fait que la feuille de route que lui imposent les institutions financières internationales.
A ce propos le FMI est clair : « Les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté sont élaborés par les pays membres à l’issue d’un vaste processus de consultation avec les parties prenantes et les partenaires au développement, dont les services de la Banque mondiale et du FMI. Ils font l’objet de rapports d’avancement annuels et décrivent les politiques macroéconomiques, structurelles et sociales menées par les pays à l’appui de la croissance et de la réduction de la pauvreté, ainsi que les besoins de financement extérieur et les principales sources de financement en la matière. ».
Cette présentation « des stratégies de réduction de la pauvreté », est une métaphore que l’on pourrait traduire en langage plus simple : « Les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté sont élaborés conformément aux orientations des partenaires financiers (groupe de Bretton Woods notamment et autres créanciers bilatéraux) afin de concrétiser, à travers un monologue institutionnel dominant , les politiques macroéconomiques définies par ces partenaires pour atteindre non pas les objectifs de développement du pays , mais ceux de ses créanciers ; à savoir la concrétisation de leur philosophie politique et économique et la garantie de leurs intérêts de prêteurs. »
C’est ainsi que les « stratégies de réduction de la pauvreté en Mauritanie », 2006 à 2015 pourtant bouclées ont été sans résultats tangibles puisqu’à cette date, ni le développement n’a pointé le nez, ni la pauvreté n’a été réduite.
C’est alors que surgit la fameuse « Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) » (2016-2030). Déclinée en deux volumes ! Perlée de ses plans d’actions, affirmant avec moults chiffres et projections un insaisissable progrès vers un développement introuvable. Il faudrait dire que la démarche même sous-tendant cette stratégie est aux antipodes du rationnel : « la croissance accélérée »…pour une économie ankylosée.
Comment peut-on accélérer une croissance dans un Etat qui n’a même pas la maitrise des paramètres de son économie ? Où la population vit encore en deçà du seuil de subsistance et qui n’a développé ni les structures d’intelligence économique, ni des institutions viables de maitrise de de sa planification économique et sociale et qui navigue à vue…à la vue de ceux qui lui dictent jusque ses politiques publiques. Politiques publiques dont l’Etat n’est ni l’artisan, ni le maître et qui, ne pouvant les exécuter, remanie les gouvernements pour justifier son handicap. Et pour cause.
En effet, comme le constatait, déjà, le bilan de la mise en œuvre du cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) 2006-2010 :
La mise en œuvre du CSLP présente un certain nombre de faiblesses d’ordre technique, notamment :
- (i) la faiblesse des capacités de planification, de suivi et d’évaluation au niveau des départements liée aux insuffisances du système d’information statistique ;
- (ii) la faiblesse dans la mobilisation des ressources financières programmées liée au faible capacité d’absorption ;
- (iii) l’absence d’un cadre de gestion axée sur les résultats ; (iv) le manque d’appropriation du processus CSLP par les départements sectoriels ;
- (v) le faible niveau d’exécution des actions et mesures programmées et la mise en œuvre d’actions non prévues ;
- (vi) le manque de coordination entre les services centraux et régionaux de l’Etat ;
- (vii) la faible implication des autorités locales dans l’élaboration des stratégies régionales ;
- (viii) la faible participation des populations bénéficiaires aux projets qui les concernent ; - Et (ix) le chevauchement des projets dans certaines localités et le manque de recherche de synergies entre les différentes interventions.
En somme, tous les handicaps font de ces « cadres stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) » un cadre formel que l’Etat n’ayant ni les compétences, ni les moyens de les exécuter y inscrit des politiques publiques qu’il ne peut réaliser. Faudrait-il simplement qu’elles obtiennent l’agrément de ses partenaires et créanciers financiers, lui ôtant ainsi toute capacité d’être maitre de toute stratégie de développement.
C’est autant dire que les conditions fondamentales de réussite des politiques publiques sont la maitrise des moyens humains, matériels et financiers de leur réalisation. L’administration publique manque de compétences, les ressources publiques ne sont pas maitrisées, la collectivité nationale est surendettée et il n’y a pas de vision de développement promue par l’Etat, concertée et participative.
Dans ce contexte, l’on ne peut évoquer des politiques publiques dans un Etat sans vision de développement. Un Etat gérant un surendettement handicapant, dont les ressources sont gérées par une administration publique carante, n’exécutant pas un Plan de développement économique et social national et souverain traitant des réalités du pays, mais pataugeant, de décennies en décennies, dans des « stratégies de croissance et de lutte contre la pauvreté », dont les tenants et les aboutissant la dépassent.
C’est autant dire que l’on ne fait pas et l’on ne réussit pas les politiques publiques en remaniant les gouvernements lorsque les critères fondamentaux les définissant ne sont pas réunis à savoir : la maitrise de sa planification de développement économique et social, une administration publique compétente et la volonté d’inscrire ce mécanisme dans une vision d’un développement concertée et participative.
Faudrait-il, cependant, que le leadership, le désintéressement et le patriotisme soient au rendez-vous, mais cela est une autre histoire… Une histoire à réécrire à l’aune de ce que devient un pays qui, contrairement à ce qu’affirme son Président, n’est pas un pays aux ressources limitées (rapportées à sa population) mais un pays appauvri par la gestion non maitrisée de ses ressources, sans vision politique d’avenir, intelligente, concertée et ancrée dans les réalités du pays. Réalités qui sont les vecteurs premiers de toute politique publique au service d’un développement planifié et souverain.
Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où aller.
Pr ELY Mustapha
Via Cridem