Lorsqu’une affaire marche, enMauritanie, tout le monde se rue sur le marché. Jusqu’à le saturer. Ou le pervertir, par manque de professionnalisme. L’argent avant tout, quitte à tuer la poule aux œufs d’or. La règle est de rigueur dans l’informel.
Mais est devenu, insensiblement, celle du formel. Tout particulièrement dans l’immixtion, éhontée et anticivique – un comble ! – à laquelle se livre l’Etat dans la conduite des sociétés parapubliques. L’exemple de la SOMAGAZ est à cet égard éloquent.
Fondée en 1986, pour pallier à l’irrégularité des importations de bouteilles conditionnées au Sénégal, elle connaît d’assez bons débuts, jusqu’en 2000 où la brutale augmentation du prix du gaz l’entraîne dans la spirale de l’endettement qui dépassera, à son pic, les onze milliards d’ouguiyas. L’Etat intervient en 2007. Une lourde charge qui aurait dû impliquer une attention toute particulière à une gestion adaptée de la société aux contraintes de son marché.
D’autant plus que le gaz est un produit à hauts risques. Or, ainsi que le rappellera, le 1er Octobre 2015, son Directeur général de l’époque, Hassena Ould Ely, dans une correspondance officielle adressée à Mohamed Salem Ould Béchir, ministre du Pétrole, de l’énergie et des mines, « la SOMAGAZ fonctionne bien plus à l’instar d’une administration qu’à celui d’une entreprise.
Elle est liée par des procédures de marché longues et coûteuses » […] et « ne dispose pas des moyens financiers » adéquats pour mener à bien les travaux d’entretien et de réhabilitation de ses installations critiques, comme le centre de stockage et d’enfûtage de Nouakchott, aujourd’hui porteur d’un risque « grave et imminent ».
Comme ailleurs dans l’administration, son personnel, pléthorique, peu ou prou qualifié, formé ni motivé absorbe une masse salariale sans commune mesure avec les nécessité impératives à ce type de société, du point de vue de la sécurité publique.
Et Hassena Ould Ely d’enfoncer, sans égard, le clou : « la SOMAGAZ est rackettée, elle emploie et paie des salariés fantômes, elle emploie des cadres de l’Etat occupant de très hautes fonctions au sein de l’administration, elle paie un personnel mis au service d’organisations syndicales ou politiques, elle paie des personnalités influentes et belliqueuses, elle est, tout simplement, surchargée d’un personnel nocif ».
Politique explosive
Des dispositions auraient dû être prises, depuis, au moins, cinq ans et chaque jour qui passe élève, de plus en plus exponentiellement, le risque d’un accident gravissime et majeur. Mais, en cette affaire et au-delà des données récurrentes affligeant l’administration mauritanienne, il faut se souvenir de ce que pesaient – pèsent encore ?
– les données politico-émotionnelles de la concurrence avec le secteur privé, oùBSA GAZ, désormais aux mains d’un groupe marocain, et RIM Gaz, occupait une place commerciale de plus en plus agressive et dynamique. On a donc cru pouvoir s’épargner le coût d’une restructuration, qui pouvait s’avérer, à court terme, synonyme de perte de parts de marché.
Or, si cette éventualité n’est pas négligeable, il suffit de se situer à guère plus long terme pour percevoir les évidents bénéfices d’une telle opération. Et c’est précisément la capacité supérieure de l’Etat à s’organiser sur le long terme, voire le très long terme, qui constitue son atout majeur dans es rapports avec le secteur privé.
Hassena Ould Ely n’en disait pas moins en proposant, à son ministre de tutelle,« de sortir du champ d’application de l’ordonnance 90-09 car l’entreprise est une société commerciale qui se doit d’être proactive ». Il aurait d’ailleurs pu ajouter qu’elle est aussi une entreprise à risques majeurs nécessitant une prise en charge constante et prioritaire.
Le volontaire et direct DG demandait, en outre, le licenciement de 192 personnes sur les trois cent que comptait encore, en Octobre 2015, la SOMAGAZ. On lui en a accordé cent cinquante, avant de le gratifier, devant son insistance à mener à terme l’impérative restructuration de l’entreprise malade, une belle promotion. Il est, depuis Janvier 2016, à la tête du Port autonome de Nouakchott. L’eau est donc toujours dans le gaz. En attendant l’explosion fatale ?
Ben Abdallah (Le Calame)