France Culture - En Mauritanie, comme partout dans le monde, l'épidémie de Sida se concentre chez les homosexuels, les prostitué(e)s et les usagers de drogue. Mais dans ce pays islamique, où ces populations sont criminalisées, il est difficile de les atteindre.
La lutte contre l’épidémie de Sida a fait d’immenses progrès ces dernières décennies. Pourtant, alors que l’éradication semble à portée de main - puisque lorsqu’un malade est sous traitement il, ne contamine plus ses partenaires - les contaminations nouvelles restent nombreuses.
En particulier en Afrique occidentale et centrale où 200 000 nouveaux cas ont été enregistrés au cours de l’année dernière. Chaque semaine, note l’ONU Sida, plus de mille adolescentes et jeunes femmes âgées de moinsde 24 ans, contractent le HIV. Et 1,2 millions de personnes dans cette zone n’ont pas entamé le traitement qui pourra transformer cette maladie fatale en une maladie chronique.
En République islamique de Mauritanie, le taux de prévalence dans la population générale est particulièrement bas. Il atteint 0,29% d’après les chiffres recensés par le Secrétariat Exécutif National de Lutte contre le Sida (le SENLS) - c’est à dire que sur cent personnes, seulement 0,29 sont atteintes - autrement dit, 1 personnes sera atteinte sur trois cent environ. En revanche, comme partout sur la planète, l’épidémie est très concentrée chez certaines communautés particulièrement vulnérables.
Dans le vocabulaire des ONG et des instances internationales qui luttent contre le Sida, on nomme ces communautés les « populations clés » et ces populations comprennent « les HSH, les FSF, es PS et les UD » Ces termes, considérés comme politiquement corrects, reviennent tout le temps dans la bouche des acteurs locaux pour le pas froisser les intéressés et désigner par une sorte d’euphémisme des pratiques sexuelles que certains régimes réprouvent.
« HSH » signifie donc Hommes ayant des relations Sexuelles avec d’autres Hommes - en clair il s’agit de la communauté homosexuelle masculine. Les lesbiennes sont appelées, selon le même code, « FSF ». Les PS, sont les professionnelles et professionnels du sexe. En France on les nomme aussi souvent TS pour travailleurs et travailleuses du sexe, autrement dit on parle de prostitué(e)s. Enfin les UD sont les usagers de drogue - en particulier en intraveineuse, qui est l’un des modes de transmission important.
Dans tous les pays du monde, de nos jours, l’épidémie de VIH s’est concentrée dans ces « populations clés », et en Mauritanie elle touche particulièrement les homosexuels.
Le taux de prévalence chez les HSH est de 23,4%, c’est donc presque cent fois plus que dans la population générale ! Chez les professionnel(le)s du sexe, ce taux est de 9% et au sujet des usagers de drogue, les données pays fournies par l’ONU Sida sont muettes … En Mauritanie donc, les populations auprès desquelles il s’avère essentiel de mener une prévention sont donc les homosexuels et les prostitués filles et garçons. Or dans cette République Islamique, ces deux pratiques sont réprouvées.
L’homosexualité est punie de mort par lapidation (article 308 du code pénal). Les relations sexuelles hors mariage - donc par extension la prostitution - sont elles punies de cent coups de fouet et d’un an d’emprisonnement. Mais l’article 307 du code pénal mauritanien précise aussi que ce crime de Zina doit avoir été constaté soit par quatre témoins, soit par l’aveu de son auteur, soit - en ce qui concerne la femme - par un état de grossesse.
Néanmoins, comme l’ont souligné les autorités locales, aucune peine de mort n’a été prononcée contre des homosexuels en Mauritanie ces dernières années. Information confirmée par un rapport de l’Ofpra. En revanche, une peine de prison de deux ans a été infligée l’an dernier à huit homosexuels après qu’une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux. D’après le récit de France Info, les images vidéo montraient des jeunes hommes en train de danser entre eux, célébrant soit un anniversaire soit un « mariage » supposé. La justice a estimé qu’ils avaient commis des actes « contraires à la morale ».
Dans ce contexte socioculturel et législatif, il apparaît évident qu’il n’est pas simple de mener une action de prévention ciblée sur les « populations clés ». D’autant moins qu’elles vivent dans des conditions précaires, sont parfois harcelées par les forces de l’ordre et par conséquent tentent de se dissimuler.
Notre reportage commence à Chami, une ville d’orpailleurs, qui a poussé au milieu du désert en 2015. Au moment du Printemps Arabe, le gouvernement mauritanien a annoncé qu’on avait trouvé de l’or dans cette région, située à 240 km au nord de Nouakchott, la capitale. Des milliers de jeunes, venus de toute la Mauritanie et même des pays voisins se sont rués vers Chami et ont commencé à explorer la région aurifère. La population a grimpé de façon vertigineuse, passant de 57 habitants, lors du premier recensement en 2015 à plus de 400 000 quelques mois plus tard.
Ces chercheurs d’or étaient en général de jeunes hommes, célibataires, venus tenter leur chance dans ce désert torride. Avec eux sont arrivés, comme dans toutes les villes du monde où se presse la jeunesse solitaire, des dizaines de femmes et d’hommes qui vendent leurs services sexuels. D’après Abderrahmane Bezeid, l’un des fondateurs de l’association SOS Pairs Educateurs, qui lutte contre le VIH en Mauritanie, "Il n’y a pas une PS mauritanienne qui ne soit pas venue à Chami. A une certaine époque elles étaient plus de cent cinquante à exercer dans cette ville".
Voilà l’une des raisons pour lesquelles SOS Pairs Educateurs est venu implanter une activité permanente à Chami, même si depuis plusieurs mois la population active a beaucoup baissé dans la ville. Le gouvernement a en effet décidé de fermer la zone aurifière la plus productive du site, pour la réserver à une multinationale canadienne, Kinross, l’un des géants mondiaux de l’extraction de l’or. Malgré le départ des milliers d’ouvriers, des dizaines de jeunes femmes et jeunes hommes qui vendent leurs corps sont restés à Chami, où leur situation financière s’est d’ailleurs dégradée.
Elles et ils exercent dans les arrières cuisines de certains "restaurants" de la ville. La façade des établissements est toujours respectable, mais les habitués connaissent les lieux et viennent demander les services de tel ou telle PS.
C’est dans l’un de ces locaux que nous rencontrons Dada. Il a choisi ce nom d’emprunt afin de rester, évidemment, dans l’anonymat. Pas question, non plus, de prendre la moindre photo. Les lieux sont bien tenus, la propriétaire semble être la « tante » de Dada et fait réellement la cuisine pendant la journée. A l’arrière du petit bâtiment se trouve une natte à même le sable où des jeunes hommes sont en train de partager un thé. Il faut couper les micros avant d’entrer et il est bien compliqué, une fois installés à l’intérieur, sur des coussins, de décider les filles à parler.
Elles sont tétanisées à l’idée que leur voix puisse être reconnue. Moins timide, Dada accepte volontiers de prendre la parole. Lui qui était « boy chez des Maures blancs » (les Maures blancs sont proches des Maghrébins, sans doute issus de tribus arabes ou berbères. Ils constituent l’une des ethnies mauritanienne et sont considérés souvent comme le groupe dominant NDLR) a préféré quitter la capitale pour venir à Chami.
Ici, il travaille chez "Tantie" et ne dit pas directement quelle est sa profession. En revanche, son orientation sexuelle ne fait aucun doute . Dada a même choisir de fuir son pays pour venir en Mauritanie où - même si la loi punit l'homosexualité de mort - dans la vie quotidienne on ne le "pousse pas à bout". C'est du moins que qu'il raconte au début de notre entretien, avant de glisser qu'il s'est récemment fait agresser...
Grand Reportage par Aurélie Kieffer et Tara Schlegel