« On n’a pas besoin de s’interroger sur la libération d’un innocent. Ils n’avaient pas d’autres choix que de me laisser partir » | Mauriweb

« On n’a pas besoin de s’interroger sur la libération d’un innocent. Ils n’avaient pas d’autres choix que de me laisser partir »

sam, 27/07/2019 - 12:22

Interview express avec Ahmedou Wediaa après son arrestation et sa libération postélectorales

Ahmedou Wediaa est un journaliste chevronné mais aussi un militant  engagé   et toujours en première ligne de toutes les batailles pour la défense de la liberté et de la dignité et  des Droits de l’Homme. Vice Président de l’organisation SOS Esclaves il est connu pour être aussi proche du parti islamiste Tawassoul. Rendu célèbre par sa fameuse altercation avec le Président Aziz lors d’une émission en direct qui avait entrainé l’interruption de la diffusion de  celle-ci, la proposition de son nom pour faire parti de la CENI la veille du dernier scrutin présidentiel entraina la rupture du dialogue timide entamé entre le pouvoir et l’opposition. Dans cet entretien il nous livre ses impressions sur son arrestation et sur certaines autres grandes questions de l’heure.

Question   : Pouvez-vous nous édifier sur les conditions de votre arrestation et de votre libération ?

D’abord, je vous remercie de l’occasion offerte. Je voudrais, ensuite, préciser qu’il ne s’agissait pas d’une arrestation, parce que la loi a été bafouée. C’était, plutôt, un enlèvement. On devait d’ailleurs s’interroger sur les raisons de ces enlèvements. Des policiers ont pénétrés chez-moi en pleine nuit, vers 1H du matin, sans autorisation du Procureur. Ils m’ont conduit vers la Direction de la Sûreté d’Etat. J’étais incarcéré, pendant deux semaines, dans une cellule de 2m carré dans des conditions très difficiles. Mais le plus difficile était la violation de mes droits et des dispositions de la loi. J’ai été interdit de voir mon avocat que j’ai réclamé dès les premières heures de mon enlèvement. J’avais d’ailleurs refusé de répondre aux questions de mes interrogateurs en l’absence de l’avocat. Finalement, ils étaient obligés de faire venir Me Brahim Ebéti, mais après cinq jours de refus.

Quant à l’autre partie de votre question, je pense qu’on n’a pas besoin de s’interroger sur la libération d’un innocent.  Ils n’avaient pas d’autres choix que de me laisser partir.

Mais je vais, quand même, saluer cette forte mobilisation nationale. Permettez-moi d’ailleurs de remercier la presse, les militants des droits de l’homme, la classe politique, les amis et les parents qui m’ont tous soutenu pendant ces moments difficiles.

Question   : A votre avis, qu’est-ce qu’ils vous reprochaient ? Qu’est ce qu’ils voulaient savoir ?

Il est difficile de répondre à une telle question. En toute sincérité, je ne sais pas réellement ce qu’on me  reprochait. A l’arrivée de mon avocat, après six jours de détention, j’ai subi une interrogation focalisée sur mes publications sur Facebook et sur Twitter dans lesquelles je déclinais clairement ma position par rapport à l’unité nationale, la justice sociale, la discrimination, etc. Par exemple, ils m’ont demandé, pourquoi je m’interrogeais sur les mesures particulières ciblant des quartiers de la capitale, Nouakchott, comme El-Mina et Cinquième après la présidentielle du 22 juin 2019 et sur le fait que la Police a perquisitionné seulement le siège de deux des quatre candidats de l’opposition. Ils m’ont interrogé sur un Tweet qui remonte à 2015 évoquant la situation des ex-déportés mauritaniens, revenus au pays ; je me demandais pourquoi ils n’ont pas accès à leur terre et à leurs biens ?  Ils voulaient aussi en savoir plus sur mes écrits dénonçant la torture et exigeant la suite des enquêtes sur des cas de décès de Machrouvi, Lamine Mangane et d’autres, lors de manifestations violemment dispersées. Ils m’ont aussi interrogé sur mes tweets à propos de la situation des hôpitaux, notamment l’augmentation des prix des soins. Apparemment, ils sont dérangés par ceux qui dénoncent la discrimination, l’injustice et le racisme dans ce pays.

Question   : On a remarqué un grand élan de solidarité suite à votre arrestation et libération. A quoi l’attribuez vous ?

Je l’ai déjà dit en répondant à votre première question. Cet élan de solidarité a été décisif pour ma libération. Je remercie encore tous ceux qui y ont contribué. Je souligne qu’il ne s’agissait pas de simples mobilisations de personnes, c’était aussi un soutien moral et un combat pour la préservation de nos valeurs : liberté, justice et égalité. C’était un combat contre l’injustice, la pratique de l’esclave et la discrimination. Le message a été clair ; c’est à dire que les questions d’égalité et d’unité nationale ne concernent pas seulement Ahmed Wadyaa ni une poignée de personnes. Elles concernent toute une nation. J’espère que les concernés ont bien reçu le message en comprenant que la solution n’est pas d’arrêter ou de tenter de faire taire tout celui qui ose dénoncer l’injustice. C’est plutôt d’apporter la solution idoine et de comprendre que la Mauritanie est un pays multiculturel avec une diversité ethnique à préserver par l’Etat lequel doit garantir un traitement égal à tous ses fils et filles.

Question   : Récemment, vous avez pris position dans le débat sur les langues. Pouvez-vous nous expliquer votre position ?

En fait, ma position n’a pas varié. Je suis de ceux qui pensent que la question de la langue n’a pas été traitée de manière professionnelle et objective. J’ai toujours dit et écrit que nos langues doivent faire l’objet d’un débat national qui prend en considération la diversité linguistique du pays. Ceux qui veulent imposer une langue unique creusent davantage le fossé entre les communautés au lieu de les aider à se rapprocher. Aujourd’hui, il est temps de comprendre cela et d’accorder à nos langues nationales leur vraie place (Arabe, Wolof, Poular et Soninké). Nous devons officialiser toutes ces langues. En attendant que cela se réalise, maintenons le système de bilinguisme Arabo-Français. Mais, je vais devoir le répéter, je n’aime pas qu’on se focalise simplement sur les langues pendant que d’autre questions importantes restent pendantes telles que l’égalité des chances pour toutes les composantes nationales et l’Etat de droit.

Question   : Que pensez-vous des récentes rencontres entre le pouvoir sortant et certains candidats de l’opposition ?

Je n’ai pas assez d’informations là-dessus. Mais je sais que la Mauritanie a besoin d’un dialogue national et non d’un dialogue avec tel ou tel candidat ou avec le pouvoir. Ce genre de dialogue, déjà testé, a montré ses limites ; il ne mène à aucune solution. Il est donc grand temps que les acteurs politiques comprennent que le dialogue doit profiter à tout le monde et traiter toutes les questions. Nous avons besoin de refonder la Mauritanie. Je vais ajouter que c’est dans l’intérêt des candidats de l’opposition de garder leur cohésion. Ainsi, ils pourront aider les Mauritaniens à résoudre leurs problèmes et d’en finir avec le régime militaire.

Question : Quelles perspectives voyez-vous pour le pays au lendemain de l’élection de Ghazouani ?

Cela dépendra de la manière dont il va choisir de gouverner. Est-ce qu’il va poursuivre la même politique que son prédécesseur, comme il a promis lors de la campagne électorale ? Si oui, le pays fera face aux mêmes problèmes. Ou sera-t-il conscient que la Mauritanie a besoin d’être gouvernée autrement et qu’il doit accepter le dialogue, pas avec des individus, mais un dialogue national qui aborde les questions fondamentales ? S’il opte pour ce dernier choix, je pense que la Mauritanie aura la chance de réussir une transition profitable à tous ses citoyens. Il aura aussi réussi à réserver pour la Mauritanie sa place dans la sphère des nations démocratiques.