Désobéissance civile arme des peuples | Mauriweb

Désobéissance civile arme des peuples

lun, 08/04/2019 - 13:23

Le 6 Avril 1930, il y a presque 90 ans, jour pour jour, le Mahatma Ghandi fit plier le puissant empire britannique en organisant une des premières et des plus réussies manifestations de désobéissance civile de l’Histoire.  Accompagné de quelques douzaines  de compagnons et d'une cohorte de journalistes, il avait quitté Ashram au Nord Ouest de l’Inde et après un parcours à pied de 386 km, il arrive le  6 avril au bord de l’Océan indien. Il s'avance dans l'eau et recueille dans ses mains un peu de sel. Par ce geste simple et dérisoire et mais hautement symbolique, Gandhi encouragea ses compatriotes à passer outre l’interdiction formelle des britanniques de recueillir du sel.

A l’époque les lois coloniales obligeaient tous les consommateurs indiens, y compris les plus pauvres, à payer un impôt sur le sel et leur interdisaient d'en récolter eux-mêmes.   

Sur la plage, la foule  grossit et  des milliers d’indiens imitent le geste du Mahatma et recueillent de l'eau salée dans des récipients. Cet acte fut immédiatement accompli dans le pays. Partout, les Indiens font évaporer l'eau et collectent le sel au vu des Britanniques qui n’ont pu avoir comme réaction que jeter plus de 60 000 contrevenants en prison.

Les Indiens, fidèles aux recommandations strictes de Gandhi, se gardaient bien de résister. Le Mahatma lui-même est arrêté et passe neuf mois en prison. À la fin, le vice-roi reconnaît son impuissance à imposer la loi britannique. Cédant aux injonctions du Mahatma, il libère tous les prisonniers et accorde aux indiens le droit de collecter gratuitement, eux-mêmes le sel.

Cette victoire éclatante sonna le glas de la fin de la domination anglaise en Inde. Le Mahatma Gandhi était convaincu que la réussite de la campagne de désobéissance civile  aboutirait inéluctablement à l’abrogation de cette loi injuste. Mieux, il formait secrètement le vœu avec les membres du parti indépendantiste que l’indépendance devrait s’arracher à travers cette nouvelle forme de résistance, certes pacifique, mais qui touche là où ça fait vraiment mal.

Les historiens s’accordent aujourd’hui à dire que cette marche du sel a accéléré la marche de l’Inde vers l’indépendance grâce à la stratégie et à la détermination du  Mahatma Gandhi qui   le 9 avril de cette année, jubilait, fier de sa victoire et déclarait : « aujourd’hui, tout l’honneur de l’Inde est symbolisé par une poignée de sel dans la main des résistants non-violents. Le poing qui tient ce sel pourra être brisé, mais ce sel ne sera pas rendu volontairement ».

 Après le Mahatma, deux autres leaders usèrent de la désobéissance civile pour obtenir des concessions, voire des victoires, de leurs oppresseurs : le Pasteur Martin Luther King et le sud-africain Nelson Mandela. Aujourd’hui encore lorsque les dirigeants d’un pays ne se gênent pas pour fouler au pied les règles les plus fondamentales du Contrat Social, il devient légitime de « protester » et de ne plus obéir aux commandements de «  l’autorité ». L’obéissance à l’autorité implique le respect par toutes les parties,  des termes du contrat.  Le devoir dicte alors de se départir  de la posture inique de  soumission servile ; l’obéissance étant le respect volontaire des normes et règles qu’on s’est choisies et des commandements légitimes qui en résultent. Lorsqu’on s’en éloigne, les actes deviennent illégitimes.

La désobéissance civile n’est ni une insurrection ni une révolte, mais simplement le refus assumé et public de se soumettre à une loi, ou un pouvoir jugés iniques par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique. Plus subtile que la révolte classique, la désobéissance civile  refuse d'être complice d'un pouvoir jugé illégitime et lui refuse donc toute forme de coopération même passive.  

 Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux aussi bien en Algérie qu’au Soudan n’est que l’aboutissement de l’indignation devant le non respect des institutions et la violation de la constitution. Cette défiance politique est une réponse pacifique, organisée et déterminée à préserver le pays des lendemains qui déchantent.

En Mauritanie, le pouvoir en place ne s’embarrasse même plus de fioriture pour faire taire les voix dissonantes. L’embastillement des deux bloggeurs Cheikh Ould Jiddou et Abderrahmane Weddady procède de cette même logique. Quand bien même la loi protège les citoyens contre la diffamation et l’injure, personne ne peut rester indifférent devant le pillage systématique et généralisée de la ressource nationale surtout si le Président de la République est mis en cause. A force de laisser faire, de regarder ailleurs et de se résigner ; à force de préférer l’ordre à la justice, et le droit au Droit, on en est arrivé au point de rupture. Le pouvoir nerveux a désormais des réactions épidermiques. Les révélations relayées par ces bloggeurs ne sont pas assimilables à la sérendipité mais procèdent d’une vérité évidente qui saute aux yeux.  Aujourd’hui défiance est devenue une révolte, voire une révolution.

Il est salutaire qu’en Mauritanie, les intellectuels aient  cette capacité d’indignation et cette volonté farouche de faire face à la déviance politique par une défiance tout aussi politique, qui pour le moment n’est que le refus de se taire face à une situation aussi choquante.

MSS