BCM : La danse des chiffres par Pr ELY Mustapha | Mauriweb

BCM : La danse des chiffres par Pr ELY Mustapha

lun, 11/03/2019 - 14:00

Audit laconique, enregistrement comptable critiquable, « immobilisations incorporelles » de 14081 % en une année, décaissement annuel à plus de 1660 % !

Les rapports d’audit des états financiers de la Banque centrale de Mauritanie appellent des observations de forme et de fond. Ainsi si l’on s’en tient aux rapports d’audit finaux 2016 et 2017 on se rend compte que le report du total du passif de la banque centrale de 2016 sur 2017 fait apparaitre une différence de 1. 834. 983. 604,9 soit un peu moins de deux milliards d’ouguiyas.

Il est étonnant que l’auditeur indépendant de la BCM n’ait pas fait une telle observation dans la présentation de son rapport, ni même une note d’accompagnement dans son rapport expliquant la non reprise de ces de ces 2 milliards en entrée du bilan de l’exercice 2017.

Dans le rapport d’audit 2017, l’auditeur utilise une simple ligne au bas du bilan mentionnant : « Données retraitées pour les besoins de la comparabilité. » Aucune autre forme d’information.

En effet, si l’on consulte le rapport sur les Etats financiers de la Direction de la comptabilité de la BCM on note ce qui suit :

« A la clôture de l’exercice 2017, le total du bilan de la BCM s’élève à 608.664.673 KMRO contre KMRO 590.894.858 en 2016 soit une évolution de 17.769.815 KMRO correspondant à 3%. »

Alors que dans les notes aux états financiers de la BCM au 31 Décembre 2016, la même Direction de la comptabilité de la BCM il est mentionné :

« A la clôture de l’exercice 2016, le total du bilan de la BCM s’élève à 592.729.841 KMRO contre KMRO 542.684.937 en 2015 soit une évolution de 50.044.904 KMRO correspondant à 9%. »

La différence soit presque 2 milliards d’UM qui n’ont pas été reportés sur l’exercice suivant constituant ainsi une faille dans l’information issue de l’enregistrement comptable des opérations de la BCM, au moins à l’égard du principe d'intangibilité du bilan d'ouverture qui impose que le bilan d’ouverture doit correspondre au bilan de clôture de l’exercice précédent. Et si des rectifications comptables majeures comme celle-là devaient intervenir et modifier le solde du bilan, elles doivent bénéficier d’une note explicite de l’auditeur mentionnant les postes d’actif et de passif affectés et donner une information fiable sur les déterminants d’une telle modification.

Au-delà de l’incompatibilité des chiffres, le lecteur a l’impression que la manipulation des deniers publics ne bénéficie pas de la transparence requise et encore moins du contrôle adéquat. 

Comme mentionné, dans le rapport d’audit 2017, l’auditeur mentionne : « Données retraitées pour les besoins de la comparabilité. » Aucune autre forme d’information. Et ce sont 2 milliards d’UM qui ne sont pas reportés en entrée de bilan 2017. 

Cette absence de rigueur dans la présentation des chiffres, dans l’information qui les concerne et dans l’évaluation correcte des charges enlève à l’information financière et comptable tout son intérêt tant pour l’information que pour le contrôle.

Un décaissement de 1660%, en une seule année sur une ligne de crédit !

Curieusement, on remarque des décaissements qui, en une seule année, dépassent les 1000%. Il en ainsi des « décaissements au profit des bénéficiaires en 2016 sur la ligne de crédit Mauritanie-Fades (Fonds Arabe pour le Développement Economique et Social) 1660 % exactement. 

De quels bénéficiaires s’agit-il ?

Les bénéficiaires sont ceux des marchés de l’aéroport de Nouakchott (9 millions de KD-FADES, environ 30 millions de dollars) et autres projets Financés par le FADES (total - comptabilisé 11.115.472.987 D’UM) sous la rubrique « ligne de crédit Mauritanie-Fades » (électrification/routes/énergie etc.) qui atteignent pour les engagements d’emprunts FADES, depuis 2007, uniquement, 45.000.000 KD-FADES soit 1.501.500.000 USD (un milliard et demi de dollars US).

Noter que les prêts Fades ne sont que des emprunts complémentaires au montant global du projet. Ainsi par exemple le montant emprunté au FADES pour la construction de l’aéroport (30 millions de dollars, est une tranche d’un montant beaucoup plus élevé qui est le coût estimé et entériné par le FADES soit KD 211.9 millions (soit environ 699 millions de dollars) ce qui fait que l’Etat emprunte à tour de bras avec la bénédiction du Parlement qui entérine ses conventions de prêts. Il est fort remarquable d’ailleurs que rares sont les conseils de ministres qui n’approuvent pas de conventions de prêts.

Des immobilisations incorporelles qui ne le sont pas… pour 3 milliards et demi d’ouguiyas.

D’autres curiosités de l’enregistrement comptable de la BCM est celui de l’enregistrement d’immobilisations incorporelles en une seule année pour 3.432.786.958,1 (quasiment 3 milliards et demi d’UM) soit une progression de 14081% (suivant le chiffrage de la direction de la comptabilité de la BCM!). En effet le montant de ces immobilisations n’était que de 24. 206.096 d’UM, (24 millions UM), en 2016.

Et pourtant ce montant faramineux n’a rien à voir avec les immobilisations incorporelles. Certes, les immobilisations incorporelles représentent des investissements, elles augmentent l’actif de l’entreprise mais les investissements qu’elles représentent ne sont pas des biens palpables (contrairement aux immobilisations corporelles) c’est l’exemple des frais d’établissement, frais de recherche et développement, brevets, licences, concessions et marques, fonds de commerce, droit au bail…

Or ce que la BCM a inscrit aux immobilisations incorporelles d’un montant de 3.432.786.958,1 (quasiment 3 milliards et demi d’UM), en une seule année n’est rien d’autre que l’immobilisation des charges de la BCM au titre du Régime complémentaire de retraite de son personnel. Outre sa comptabilisation non conforme aux normes comptables, ce montant exorbitant sera servi sur une période de 3 ans, soit plus d’1 milliard annuellement pour le Régime complémentaire de retraite de son personnel. Qui a établi ce coût et sur quels critères ? Une information laconique dans le rapport d’audit 2017 : « Le cout a été concrétisé suite à l’étude menée par un spécialiste engagé par la banque à cette fin. ».

Un remboursement d’un prêt non statutaire!

La Banque avait procédé le 4 juillet 2012, à I ‘octroi d'un prêt de MRO 1.098 millions à M. Ahmed Ould Mogueya, ex-PDG de la BACIM BANK. Ce crédit, rémunéré au taux de 6% est remboursable sur six (6) ans avec un différé d'un an.

Alors que tous les rapports d’audit de la BCM depuis 2012 font une réserve quant au défaut de remboursement de la Créance d’Ahmed ould Mougueya, cette créance n’a été totalement remboursée que le 1er Avril 2017 pour un montant de 1.213.840.000 UM. L’illégalité réside dans le fait que les statuts de la BCM ne prévoient pas l‘octroi de prêts aux personnes physiques. Et pourtant ce prêt fut consenti et appuyé sur des considérations discrétionnaires.

Laxisme du recouvrement de 189 milliards d’UM qui persiste depuis 6 ans. D’autre part, l’analyse de la dette de l’Etat auprès de la Banque centrale (impayés échus sur la gestion des bons du Trésor etc.) montre qu’elle est faramineuse et qu’elle progresse d’année en année ! Avec une inertie réelle de l’Etat pour rembourser certaines créances (152.970.598.502,30 UM) ou à régulariser d’autres (36.929.463.764,56 UM). Elles se situent en 2017, à 215.011.269.000 (plus de 215 milliards d’ouguiyas) contre 206.499.148 163,27 en 2016 soit une progression de 8 milliards et demi d’UM, en 2017.

C’est ce montant dû par la BCM à l’Etat que le ministre de l’économie et des finances a voulu, il y a quelques semaines, faire éponger par le Parlement : soit exactement 189.900.062.266,86UM (quasiment 190 milliards d’UM).

Ce chiffre est la somme des créances de l’Etat suivantes (hors chèques postaux et allocations DTS BCM-Etat) :

- Créances sur l'Etat à régulariser (36 929 463 764,56)

- Créances / l'Etat convention 2013 (152 970 598 502,30) 

Ce dernier montant est issu de La convention signée entre l’Etat et la BCM le 30 décembre 2013 portant consolidation de diverses facilitées accordées par la BCM à des entreprises publiques bénéficiant d’une garantie de l’Etat. Ce montant de plus de 152 milliards d’UM figure encore en 2017 aux créances de l’Etat pour le même libellé 6 ans plus tard ! Montrant ainsi le laxisme caractérisant la gestion des créances publiques. Car si la BCM a accordé les facilités aux entreprises publiques se chiffrant en milliards c’est bien parce que l’Etat en était garant. Or nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et encore moins de sa mauvaise gestion des biens de la collectivité nationale.

Quelle conclusion en tirer ?

La présentation des documents financiers se doit d’être informative de toutes les opérations prises en comptes avec leurs références. L’enregistrement des écritures comptables se fait dans une optique lecteur car c’est une exigence de la lisibilité et de la transparence de la gestion comptable et financière pour les parties prenantes (investisseurs, actionnaires etc.), les tiers (organes d’information, public) et par les structures de contrôle et d’audit (interne/externe). 

En Mauritanie, les finances publiques sont une chasse-gardée où quelques intervenants gèrent au gré des circonstances et de l’humeur de gouvernance, la politique économique, financière et monétaire de l’Etat. Le citoyen est tenu à l’écart de cette sphère. 

Quant aux institutions de contrôle des finances publiques, elles sont toutes neutralisées : le Parlement avec un contrôle nul sur les finances publiques, la Cour des Comptes, une coquille vide qui n’a ni les moyens ni le pouvoir d’exercer son contrôle, l’IGE, un instrument qui travaille pratiquement au gré des circonstances et de la volonté de ses mandataires politiques….

Dans ce laxisme du contrôle des finances publiques de l’Etat et de l’activité des institutions financières et monétaires publiques, la présentation des documents financiers et comptables, leur édition correcte, respectant les normes de comptabilisation et d’audit, et leur publication ne sont pas la priorité des institutions. Les conséquences pour la gestion des ressources publiques ne sont pas à démontrer.

Pr ELY Mustapha via cridem