Hommage : Le dernier et le plus décisif co-équipier du père-fondateur : Ahmed Ould Mohamed Saleh | Mauriweb

Hommage : Le dernier et le plus décisif co-équipier du père-fondateur : Ahmed Ould Mohamed Saleh

ven, 21/01/2022 - 21:23

Le Calame - Ministre de la Construction, 29 Septembre 1961

Ministre de l’Intérieur, 8 Octobre 1962 au 21 Février 1966

–Inspecteur des affaires administratives . Février-Juillet 1966
- Chargé de la permanence du Parti à la suite du congrès d’Aioun el Atrouss, 4 Juillet 1966
- Président de la Cour suprême, 8 Juillet 1971
-Ministre de l’Intérieur à nouveau, 4 Décembre 1972

-Ministre d’Etat à la Souveraineté nationale, 22 Août 1975
-Ministre d’Etat à la Souveraineté interne, 31 Janvier 1977
-Ministre de l’Equipement et des Transports, 26 Janvier 1978

- Fait l’intérim du Président de la République à chacune des absences de ce dernier, dans les années 1975 à 1978 et l’a assuré en Février 1966

- Membre du Bureau politique national du Parti du Peuple mauritanien à partir du 2 Avril 1963, sans interruption jusqu’à la dissolution du parti par les putschistes du 10 Juillet 1978, qui l’arrêtent à l'aube avant les autres membres du gouvernement d’alors qui le rejoindront à l'état-major deux heures plus tard. Considéré comme le plus dangereux , il sera sans cesse arrêté jusqu'en fin 1982.

La simple chronologie de la carrière gouvernementale d’Ahmed Ould Mohamed Saleh, auprès de Moktar Ould Daddah, suffirait à établir qu’il a été l’un des tout principaux co-fondateurs de la République Islamique de Mauritanie, de la façon d’être – que je crois irréversible – du pays dans sa relation avec lui-même et avec l’étranger. Il fut par excellence un homme d’État car il croyait en l’État et en celui qui le fondait, à partir du projet implicite que léguait le colonisateur français à Moktar Ould Daddah et à une génération nouvelle.

Ahmed Ould Mohamed Saleh avait entrevu une première fois le futur président quand celui-ci était interprète à Bir-Moghrein et lui-même enseignant à Atar : l’impression de sérieux et de rigueur morale. La rencontre se fait pendant le congrès d’Aleg, qui déclare – en Mai 1958 – la vocation du pays à l’autonomie. Ils rédigent ensemble des projets de résolutions.

Devenu interprète, donc le familier constant des administrateurs français, il est pressé de voir l’administration « mauritanisée ». Ce ne sont pas les Français qui feront l’indépendance. Il dirige le cabinet du ministre de l’Intérieur, Ahmed Salem Ould Haïba., doit faire la propagande du oui au referendum organisé par le général de Gaulle revenu au pouvoir. Il est chargé de Tamchakett, de la très grande tribu des Laghal, même s'il est de Chinguitti..

Sa double carrière d’enseignant puis d’interprète lui donne une rare connaissance du pays qu’il développera encore, allant, comme responsable du Parti du Peuple. Avec les responsabilités politiques – il le dit lui-même – son seul centre d’intérêt est devenu l’Etat-même. Pour lui, clairement, le tribalisme, le particularisme sont le contraire du nationalisme. Deux ans à l’Ecole de la France d’Outre-Mer, à Paris. Il voit le Président à chacun des passages de celui-ci.

A son retour, il est pressenti pour commander le cercle de la Baie du Lévrier (Port-Etienne, future Nouadhibou) quand se proclamera l’indépendance, le 28 Novembre 1960. Finalement, c’est Tidjikja, ce qui le fait apprécier positivement l’héritage de l’administration territoriale française.

Première grande épreuve

Quelques mois ministre de la Construction, il est chargé du plus délicat : l’Intérieur, contribuant décisivement à établir le Parti unique de l’État sur le terrain, dans les collectivités, d’Octobre 1962 à Février 1966.

Les circulaires que lui prépare, un « assistant technique » français Rességuier, mettant en forme les idées et vœux du ministre : une doctrine comme l’avaient été celles du gouverneur Beyriès. Mais c’est aussi Ahmed Ould Mohamed Saleh qui convainc le bureau politique du Parti du Peuple que l’on ne peut empêcher l’existence de partis d’opposition sans modification de la Constitution. Discussions en interne, sens de la concertation.

Vient la première grande épreuve. Les « événements » de Janvier-Février 1966. Epreuve dans l’ensemble de la génération scolaire, se divisant ethniquement à propos de l’obligation d’apprentissage de la langue arabe pour ceux qui ne la pratiquent pas de naissance. Solidarité des aînés, les fonctionnaires francophones craignant de perdre leur quasi-monopole d’emploi.

Le ministre de l’Intérieur, et le ministre de la Défense semblent chacun chef de file de l’une des tendances. Ahmed Ould Mohamed Saleh se défend : « Je ne suis pas anti. Ni anti-Noir, ni pro-Maure. Moi, je suis nationaliste.

Un Noir nationaliste, je le préfère à dix Maures dont le nationalisme est douteux. , Je pense seulement que pour un Etat en formation comme l'était la Mauritanie des années 1960, dont la souveraineté internationale n'était pas encore reconnue par tous, il fallait coûte que coûte éviter l'explosion des particularismes qu'ils soient éthiques, régionaux ou tribaux, chaque particularisme pouvant d'ailleurs encourager les autres...

Dans la même veine, j'étais contre tous ceux qui avaient des allégeances expresses ou non pour tel ou tel pays … les pro-ceux-ci ou cela qui ne croient pas vraiment à l'entité mauritanienne.

Tous les Noirs qui étaient là avec nous, à cette époque les gens comme Youssouf Koïta, Wane Birane, et plus tard Tijani Kane, Baro Abdoulaye, Ngam Lirwane, et bien d'autres, comme d'ailleurs tous les mauritaniens responsables, voyaient les choses de la même façon. Le point de départ, c’est cela.

Parler de Mohamed Ould Cheikh pro-Noir, d’Ahmed MohamedSaleh pro-Maure, c’estabsolument faux. En tout cas, ce qui est dit de moi … et je pense d’ailleurs que ce n’est pas davantage exact pour Mohamed Ould Cheikh. Nous croyions tous les deux que la Mauritanie appartient à l’ensemble de ses composantes.

Et c'était au-delà de nos divergences l'un des points qui nous rapprochaient. De plus, il n'ya jamais eu d'animosité personnelle entre nous mais plutôt de la considération qui je pense était réciproque. Cela étant, en Mauritanie, on ne peut pas empêcher les gens de grossir et donc de déformer les choses... … » .

Le manifeste dit des 19 – et auquel se référera le mémoire d’Avril 1986, dit du « négro-mauritanien opprimé » – divise plus encore et tandis que le président Moktar Ould Daddah, et Mohamed Ould Cheikh, ministre de la Défense et aussi des Affaires étrangères étaient absents, c’est Ahmed Ould Mohamed Saleh qui fait tous les intérims.

Cette unité du commandement politique à Nouakchott fait merveille. Toutes les forces sont réunies aux ordres du chef d’état-major national : Mustapha Ould Mohamed Saleck, toutes les rumeurs de coup d’État ayant circulé pour l’époque sont controuvées.

Le « coup » ne sera fait que douze ans et demi plus tard. Manifestement, le ministre de l’Intérieur a sauvé la situation en Février 1966. Il était là, le faisait savoir, il était dans la rue et pas dans les bureaux.

Pas réactionnaire mais prudent

Le Président veut cependant vider les abcès, et dans ses mémoires [i], il réfléchit et fait réfléchir sur ces deux compagnons de la fondation mauritanienne, ces deux hommes d’État d’égale qualité, et alors que l’État est si jeune et que le Parti a montré sa faiblesse et manqué à son devoir d’unité.

« Mohamed Ould Cheikh et Ahmed Ould Mohamed Saleh, tout en étant amis, d’après ce que me disaient l’un et l’autre, étaient différents à tous points de vue : caractère, opinion, idéologie. Cependant, ils avaient un point commun fondamental qui me faisait estimer l’un et l’autre : c’était leur patriotisme. De là, leur volonté commune et sincère de construire la Patrie mauritanienne, telle que je la concevais.

Mais, si les intéressés étaient parfaitement d’accord sur l’objectif à atteindre, ils divergeaient quant aux voies et moyens à utiliser pour parvenir à construire la Patrie mauritanienne. Dans leurs positions respectives, chacun représentait un courant d’opinion : celui de la génération montante encore très minoritaire et celui de l’écrasante majorité des Mauritaniens que l’on pourrait qualifier de courant traditionaliste ou conservateur. Mohamed Ould Cheikh était très progressiste, voire révolutionnaire. Il avait des idées trop en avance sur son temps et donc sur notre contexte pour être compris.

Notre contexte et nos structures mentales qui étaient encore médiévaux. Au contraire, Ahmed Ould Mohamed Saleh était conservateur - mais non réactionnaire comme on l’a souvent présenté. Il était donc prudent. Et, tout en étant convaincu que l’évolution de notre société était inéluctable et nécessaire, il préférait que cette évolution et les transformations qu’elle impliquait se fissent lentement, mais sûrement. Il n’était pas “l’anti-noir pour qui la Mauritanie ne devait être que Maure...” dont parlaient ses adversaires politiques. S’il était ainsi, je ne l’aurais jamais pris comme Ministre, puis comme permanent du Parti, en un mot, je n’en aurais pas fait l’un de mes plus proches collaborateurs pendant dix-sept ans.

En ce qui me concernait, je comprenais l’un et l’autre, je me retrouvais en chacun d’eux : ils personnifiaient mes préoccupations quant au processus évolutif devant, à terme, aboutir à la réalisation de la Mauritanie telle que j’en rêvais au fond de moi-même.

Aussi, le heurt de leurs idées rarement convergentes, mais représentant à mes côtés les préoccupations des deux courants d’opinion déjà mentionnés, donc de tout le peuple mauritanien, formait un tandem : il m’était très précieux. En effet, en discutant avec eux, ensemble ou séparément, et en complétant mon information avec les avis d’autres collaborateurs concernés, je me faisais une opinion, la plus objective possible, du problème considéré, ce qui me permettait de prendre mes décisions en connaissance de cause.

Pour en revenir à Mohamed Ould Cheikh et Ahmed Ould Mohamed Saleh, il y a lieu de rappeler qu’en plus de leurs différences objectives et des divergences réelles qui les opposaient, il y avait aussi, sinon surtout, leurs partisans qui avaient constitué autour d’eux, sans qu’ils l’aient expressément voulu, des cours rivales qui s’agitaient et attisaient les divergences des deux responsables.

Et, malgré les efforts spontanés de l’un et de l’autre, malgré mes recommandations expresses, ils n’arrivaient pas à se débarrasser de l’emprise de leurs partisans, pour ne pas dire leurs courtisans, dont certains agissaient d’une manière sournoise, invisible et souterraine. Ils n’étaient donc pas parvenus à persuader l’opinion publique de leur innocence dans ce contexte qui s’était dangereusement développé autour de leur personne.

Eux, dont l’opinion publique ne voyait plus la qualité de responsables nationaux, membres des plus hautes instances de l’Etat, le B.P.N. et le Gouvernement. Elle ne les voyait plus dans leurs activités étatiques et de gouvernants normaux, mais dans celles de deux rivaux qui ne cherchaient qu’à se détruire mutuellement.

Cette commune renommée était d’autant plus grave que le pays était au bord de la catastrophe et que les deux antagonistes assumaient, chacun, de très hautes et importantes responsabilités, Mohamed Ould Cheikh comme ministre des Affaires Etrangères et de la Défense, et Ahmed Ould Mohamed Saleh, comme celui de l’Intérieur et de l’Information.

Pour les uns, Ahmed Ould Mohamed Saleh n’était plus que le « ministre des Maures ». Pour d’autres, Mohamed Ould Cheikh celui des Noirs. Il n’y avait donc plus de référence à l’Etat : un en mot, il n’y avait plus d’Etat dans l’esprit des citoyens. Dans ces conditions, je ne pouvais que me séparer des deux à la fois. Je le fis sans gaieté de cœur : je ne me suis jamais séparé d’un collaborateur sans avoir, sinon un serrement, du moins un pincement au cœur. Je me suis donc séparé de deux coéquipiers, pour sauver l’Etat, cet Etat si jeune, si fragile, si menacé de l’intérieur comme de l’extérieur, cet Etat dont la construction était ma seule raison d’être, cet Etat dont je plaçais les intérêts au-dessus de tout.»

Conviction et rigueur

Limogés ensemble, les deux supposés rivaux choisissent, l’un le commandement d’un cercle : Mohamed Ould Cheikh, qui ne reviendra plus jamais au pouvoir, alors que dans la période si dure de la subversion marocaine, l’ordre et la rigueur, militaires au besoin, ce fut lui… et l’autre, Ahmed Ould Mohamed Saleh, l’inspection des affaires administratives et l’organisation du congrès d’Aïoun-el-Atrouss, faisant opter pour le bilinguisme en Juin 1966.

C’est à ce dernier, revenu au Bureau politique national à l’été de 1966, puis au gouvernement à partir de Décembre 1972, et y demeurant jusqu’au putsch de Juillet 1978, que le Président confie tous ses projets institutionnels et aussi son intention de ne pas se représenter en 1981, si la guerre est finie ou si les tentatives algériennes, sous couvert du mouvement sahraoui, sont suffisamment contenues.

Mais avant le drame, la seconde crise nationale, celle du mouvement syndical et des intégrations au Parti. Retiré à la présidence de la Cour suprême, il est rappelé et explique pourquoi : « C’est dans cette période qu’il y a un mouvement des syndicats… qui m’a incité à revenir. Il y a aussi la contestation de la jeunesse qui commençait à prendre de l’ampleur, et on a vu que ça commence à bouger d’une certaine façon.

Donc, quand on m’a appelé, je suis revenu. Il y avait beaucoup de nouveaux jeunes cadres, de diplômés, beaucoup de lycéens, c’est comme cela. Le syndicat avait beaucoup de travailleurs.

Il y avait alors une espèce de besoin peut-être, de libertés politiques, de participation aux décisions politiques…dès cette période, on a commencé à sentir ça…C’est d’ailleurs l’occasion de dire que dans le régime à l’époque, il n’y avait pas opposition entre deux blocs : un pour le dialogue avec la jeunesse et l’autre (représenté par moi) qui était contre : dit comme cela, c’est faux ! On était tous pour le dialogue.

La différence, c’est que moi je pensais que l’Etat ne doit pas dialoguer sous la pression de la rue. Pour son autorité, il faut restaurer d’abord l’ordre et ouvrir seulement ensuite le dialogue avec ceux qui sont simplement nos fils et les fils du pays… et qui veulent participer à la gestion de leur pays….C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé et certains des contestataires sont devenus de grands amis personnels. »

Ahmed Ould Mohamed Saleh n’est pas l’artisan du congrès d’Août 1975, consacrant le ralliement d’une majorité des Khadihines, de même que la très laborieuse réconciliation syndicale a été davantage le fait d’Abdoulaye Baro, mais quand survient la guerre, c’est lui l’intérimaire systématique du Président quand celui-ci est à l’étranger.

Et quand le putsch de Juillet 1978 détruit – apparemment – toute l’œuvre de vingt-et-un ans, il assure et persistera jusqu’à sa fin : « il reste la Mauritanie… . Le plus regrettable restera la perte de substance des institutions…l’administration..Les personnages sont différents, les périodes aussi sont différentes. Je crois que le président Moktar était le meilleur président pour la période où il a exercé le pouvoir ».

Pour l’avoir plus observé qu’accompagné pendant la période fondatrice, donc pouvant le considérer, hors tout sentiment ou souvenir d’une longue amitié personnelle (ainsi que m’en honora le Président lui-même, mais aussi un de ses proches fidèles, Abdoul Aziz Sall, rencontré et cultivé dès les premiers jours de mon premier temps en Mauritanie), je suis certain que de tous les « coéquipiers » de Moktar Ould Daddah (ainsi celui-ci appelait ses ministres, ses partenaires au Bureau politique du Parti unique), Ahmed Ould Mohamed Saleh est le véritable homme d’État, alliant les qualités de désintéressement personnel, une très grande habitude des possibilités administratives et de commandement du pays, dans le détail des régions, et dans l’application des textes, avec un nationalisme intime, faisant le critère de ses choix, dont le principal fut son évaluation d’un jeune interprète peu expansif mais très travailleur, puis sa fidélité à l’homme devenu l’incarnation de la nation en train de s’exprimer, de prendre conscience d’elle-même. Moktar Ould Daddah et Ahmed Ould Mohamed Saleh (qui fut l’instituteur du futur colonel Bousseif) furent tous deux des hommes autant de conviction que de rigueur.

J’ai admiré l’autorité naturelle de celui que pleurent – à très juste titre – les Mauritaniens . Sa piété enfin quand il lui arrivait, dans le désert, à l’intérieur du pays ou non loin de la capitale, de « présider » la prière. Dieu accueille son âme.

Bertrand Fessard de Foucault,

alias Ould Kaïge

[i] - Moktar Ould Daddah . La Mauritanie contre vents et marées (éd. Karthala .Octobre 2003 . 664 pages) pp. 346 et suivantes