Mohamed Bazoum : le G5 Sahel a besoin de plus de ressources qu'il ne dispose pour lutter contre le terrorisme (Interview) | Mauriweb

Mohamed Bazoum : le G5 Sahel a besoin de plus de ressources qu'il ne dispose pour lutter contre le terrorisme (Interview)

lun, 06/12/2021 - 17:10

Alakhbar - Face au refus des États unis et d’autres pays partenaires d’accorder un financement pérenne à la Force conjointe du G5 Sahel par les Nations unies, le président nigérien Mohamed Bazoum propose de changer de formule.

Dans cette interview accordée à Alakhbar, lors de son passage à Nouakchott le dimanche 5 décembre dans le cadre d’un sommet sur l’éducation au Sahel, le chef de l’État nigérien évoque aussi cette médiation éventuelle de l’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou entre le président Mohamed Ould Ghazounai et son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Le Président Bazoum parle aussi du potentiel du mauritanien Moustafa Limam Chafi qui est également son conseiller.
Interview

Alakhbar : Vous êtes aujourd’hui, ici en Mauritanie. Comment évaluez-vous les rapports entre la Mauritanie et le Niger ? Quels sont les domaines prioritaires en matière de coopération bilatérale ?

Mohamed Bazoum : Le Niger et la Mauritanie, c’est d’abord une histoire de relations humaines, très fortes, forgées sur un temps très long, qui date du début de l’introduction de l’Islam en Afrique. Cette religion a rayonné à partir de la Mauritanie et l’islamisation du Niger a été principalement le fait de Mauritaniens. Cela a laissé une grande trace dans la relation entre ces deux pays et leurs peuples. Fondamentalement, c’est ça qu’il faut retenir, pour comprendre le socle sur lequel nous pourrions aujourd’hui bâtir un projet de coopération.

Pour répondre plus précisément à votre question, malheureusement ces dernières années, notre actualité est marquée par la prévalence du phénomène du terrorisme, dans cet espace que nous avons en partage. Et, nous avons créé beaucoup de cadres, dont le G5 Sahel en vue de mutualiser nos moyens, pour faire face à ce grand défi. Voilà donc le domaine dans lequel justement, nous avons surtout développé notre coopération, celui de la sécurité avec tout ce qui y est connexe.

Par contre, le commerce entre nos deux États ne s’est pas développé autant que nous l’aurions voulu, du fait de la distance et de ses caractéristiques. Mais nous sommes dans une volonté de renforcer ce domaine. Mais comme, nous l’avons dit sur le plan humain, il y a beaucoup d’aller-retour de citoyens, qui appartiennent en même temps aux deux pays. Et ça, c’est le vecteur par lequel passe des échanges entre nous.

Alakhbar : Vous êtes le seul Chef d’Etat de la région du Sahel à avoir été invité par l’américain Joe Biden au sommet pour la démocratie, qu’est-ce que cela représente, selon vous, pour la démocratie au Niger ? Quel impact cela pourrait avoir sur les pays du Sahel ?

Mohamed Bazoum: Je pense que c’est un hommage que le gouvernement américain, le Président américain Monsieur Joe Biden en l’occurrence, rend au Niger et à l’expérience de sa démocratie qui vient, il y a cela quelques mois, de déboucher sur une alternance historique. Pour la première fois, un Chef d’Etat démocratiquement élu a épuisé le nombre de mandats légaux auxquels il avait droit et a organisé des élections qui ont mis à la tête de l’Etat un autre Chef d’Etat.

Le Niger en effet, a besoin qu’on reconnaisse ce grand effort que nous avons fait dans un contexte de grandes difficultés qui auraient pu nous dévier de cette volonté que le Président Issoufou a toujours nourri, de promouvoir la démocratie.

Est-ce que ça aura un grand impact, le fait que nous soyons aux Etats-Unis ? Je ne le pense pas. Ici, nous sommes dans la symbolique. Mais c’est déjà satisfaisant. Cela va nous encourager à travailler encore davantage pour que la démocratie se raffermisse au Niger.

Et pour ce qui est du des pays du Sahel, je ne fais pas le lien entre notre présence à une conférence comme ça où il y a jusqu’à 110 Etats et les problèmes du Sahel.

Alakhbar : Dans une récente interview, vous avez parlé du potentiel du mauritanien Moustafa Limam Chafi. Pouvez-vous nous préciser qu’est-ce que cet homme peut apporter à la Mauritanie et dans quel domaine il serait le plus sollicité ?

Mohamed Bazoum : Je parlais plutôt de lui en tant que quelqu’un que j’ai nommé comme conseiller. Je connais Moustapha. C’est un sahélien. Il est né au Niger. Et il parle toutes les langues du Niger. Sa mère est nigérienne et son père est mauritanien. Il se trouve qu’il est aussi citoyen de Mauritanie. Cependant, il n’a pas vécu en Mauritanie, mais il a vécu au Niger et ailleurs, notamment au Burkina. Et il a été impliqué dans le règlement de beaucoup de conflits, depuis le début des années 90. Et comme conseillé du président Blaise Compaoré au Burkina Faso, il a eu à traiter des questions qui sont encore d’actualité, malheureusement.

Je pense que c’est l’une des personnes les plus informées, les plus à même de comprendre une situation et d’aider à prendre des décisions qui seront forcément bien réfléchies. Voilà le potentiel qui est en lui et que moi j’ai décidé justement d’exploiter. Je suis sûr qu’il sera d’un grand apport dans notre façon d’appréhender certains problèmes, et dans la façon de les aborder pour trouver des solutions.

Alakhbar : Vous conseillerez l’homme au Président mauritanien Mohamed Ghazouani ?

Mohamed Bazoum : Oui, certainement. Mais je pense qu’il est plus compétent au Niger, au Burkina, au Mali encore plus qu’en Mauritanie, même si la Mauritanie est son pays. Mais il pourrait être toujours utile car après tout, la Mauritanie est un pays sahélien.

Alakhbar : L’ex président nigérien Mahamadou Issoufou s’est récemment rendu en Mauritanie. Est-ce que c’était dans le cadre de tenter une médiation entre l’actuel président et son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz ? C’est en tout cas ce qui se dit à Nouakchott.

Mohamed Bazoum: Le président Issoufou a entretenu une relation de grande qualité, de fraternité avec le Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Il entretient cette même relation avec le Président Ghazouani, qui est un homme extrêmement délicat. Il a eu la gentillesse de l’inviter pour qu’il vienne le voir, chez lui. Il n’a pas dû se proposer pour faire une médiation ainsi qu’on le suppose.

Le connaissant, je suis convaincu que le Président Issoufou a dû prodiguer des conseils de bon aloi, dans les situations de ce genre, à son frère. Connaissant son amitié pour la Mauritanie et ses sentiments pour ce pays frère, et connaissant sa nature plutôt réservée, ce n’est pas le genre à dépasser les limites. Mais je suis sûr que dans la limite de ce qu’il peut dire ou faire, il a pu donner quelques conseils.

Alakhbar : Mais aurait-il tenté cette médiation ?

Mohamed Bazoum: Je ne saurais vous le dire. Il ne m’a pas dit qu’il a tenté une médiation. Mais il n’aurait pas manqué de prêcher l’apaisement.

Alakhbar : Par rapport à l’éducation, quelles sont les priorités du G5 Sahel ? Est-ce qu’il est possible de prôner une bonne éducation au Sahel dans un climat d’insécurité ?

Mohamed Bazoum: A certains égards, l’insécurité peut aussi être le symptôme de la panne de nos systèmes éducatifs. Donc, ce n’est pas parce que nous sommes en proie à cette insécurité, que nous devrions renoncer à ce qui est essentiel, en l’occurrence l’éducation. Malgré nos problèmes, nous nous retrouvons sur l’essentiel pour marcher ensemble, nous donner la main, et promouvoir nos systèmes éducatifs.

Nos pays ont besoin de développer leur capital humain. C’est une des plus grandes faiblesses de nos économies, la faiblesse du capital humain. La première ressource dans l’économie d’un pays, qui en est la condition sine qua non, c’est l’éducation.

Et cela, en faisant la promotion de la qualité de l’enseignement, de la qualité des écoles de formation de maitres et de professeurs, en faisant aussi la promotion de l’éducation de la jeune fille, de l’alphabétisation des femmes, et des jeunes, autant d’enjeux de ces réflexions que nous allons porter, nous pays du Sahel avec la Banque mondiale qui est un grand partenaire à l’ensemble de nos pays, dans ce domaine. La Banque mondiale est un organisme qui a des moyens et qui est aussi très impliqué sur ces questions avec une grande expérience et de la valeur ajoutée.

Alakhbar : Vous parlez de moyens, les Etats-Unis continuent à ne pas vouloir inscrire la force conjointe du G5 Sahel sur le chapitre 7 des Nations Unies pour qu’il y ait un finalement pérenne. Comment vous comprenez cette attitude ?

Mohamed Bazoum: Nous avons formulé cette demande, parce que nous disons que le terrorisme est un phénomène supranational. Le terrorisme au Sahel est la conséquence de situations qui se sont développées ailleurs. C’est un fléau qu’on ne peut pas limiter à un seul espace. C’est un phénomène qui a vocation à se propager et à se développer. De toute façon, le phénomène est tel que nous n’aurons jamais, nous seuls, assez de ressources pour y faire face.

Et comme c’est un problème de paix dans le monde, nous avons pensé qu’il était de bon ton, que le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution et décide que les forces qui vont être mobilisées par les pays du G5 Sahel, qui sont des forces nombreuses ayant besoin, pour être viables, d’équipements importants, de développement de grandes capacités et de ressources qu’on pourrait acquérir dans le cadre d’une résolution qui les mettrait sous le chapitre 7 de la charte des Nations Unies.

Les Américains et d’autres et nos pays partenaires membres du Conseil de sécurité ou non, ont une autre vision plus ou moins fondée. Soyons lucides. Aujourd’hui, les pays du G5 Sahel sont dans une situation telle que - peut-être - les américains ou tous les autres n’ont pas eu tort de le penser. Par conséquent, ne restons pas figés et ne considérons pas que tout est perdu. Disons plutôt que si cette formule de financement de la guerre dans le cadre d’une solidarité internationale - c’est de cela qu’il s’agit - n’était pas possible, changeons de formule.

Le plus important que l’on doit retenir c’est que nous avons besoin de ressources plus que nous sommes capables de générer pour faire face à cette guerre, qui n’est pas que notre guerre, qui est la guerre de toute l’humanité. Le terrorisme n’est pas un phénomène qui se cantonne dans un espace. Ces grandes puissances sont allées le combattre en Syrie, en Irak.

Tout comme au proche orient, en Afghanistan et ailleurs, à un moment donné on avait pensé qu’une grande mobilisation de la communauté internationale était nécessaire. Aujourd’hui à l’évidence, au regard de l’évolution de la situation au Sahel, on a besoin d’une mobilisation internationale. On a besoin qu’elles le combattent avec autant de détermination ici aussi. Il n’y a pas de terrorisme majeur et de terrorisme mineur.

Quelles vont en être les modalités et quelles pourraient être les formules susceptibles d’être utilisées pour qu’il y ait ce grand engagement de la communauté internationale ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Si mettre la force sous le chapitre 7 de la charte des Nations Unies n’est pas la bonne réponse, il faut trouver celle qui convient mieux. Voilà le débat.

Voilà comment le Niger le pose en ce moment. J’ai changé d’approche, j’ai pris note du fait que courir derrière cette résolution, c’est perdre du temps. Mais nous demandons des ressources et nous demandons que la communauté internationale puisse trouver les formules qui nous permettront d’être à même de faire face à ces phénomènes-là.

Alakhbar : Monsieur le Président, je voudrais avant de finir que vous nous parliez de vos relations avec l’ex président Issoufou. On parle beaucoup de son fils qui serait très impliquée dans les affaires de l’État. Qu’elle est votre réponse.

Mohamed Bazoum: Je ne pense pas que vous ayez jamais eu de sources sérieuses qui aient pu dire que le fils du président Issoufou est impliqué dans les affaires de l’Etat Le fils du président Issoufou est un jeune homme poli qui s’occupe d’un secteur technique qui est celui du pétrole, de l’énergie. Il n’a jamais dépassé les limites de ce périmètre dans lequel on lui a confié : une mission ministérielle. Il n’a rien à avoir avec le reste de l’Etat.

Aujourd’hui, l’Etat c’est la politique, c’est la sécurité, c’est l’Armée. Ce sont des choses auxquelles il est totalement étranger. Il est sur un secteur déterminant pour l’économie du pays, il y consacre tout son temps par tempérament, par éducation, par formation et par vocation. Donc ce n’est pas le fils d’un président comme on en a connu malheureusement ailleurs en Afrique. Au demeurant, son père à lui n’est même plus président, donc c’est un ministre comme les autres.

Propos recueillis par Mohamed Diop et El Heiba Cheikh Sidiati