DZfoot - Sélectionneur de la Mauritanie depuis 2014, Corentin Martins a su accompagner au fil des années la progression d’un football mauritanien devenu l’un des bons élèves du football africain.
Pour DZfoot, l’ancien joueur de l’AJ Auxerre a accepté d’évoquer les éléments ayant permis au Mourabitiounes d'émerger au niveau continental par son travail tout en évoquant, à la veille d’un match attendu, l’enjeu de la confrontation à venir face à l’Algérie de Djamel Belmadi.
Ayant réussi à qualifier les Mourabitounes pour la première fois de leur Histoire en CAN lors de l’édition 2019 puis de 2021, il a su accompagner cette progression aussi sur le plan local avec une qualification en CHAN l’année dernière.
Un parcours et une philosophie qui s’appuie tant sur le développement du football au niveau local que le travail accompli avec la FFRIM auprès de la diaspora mauritanienne.
Un travail qui sur la durée pourrait permettre au football mauritanien de rêver d’une réelle opportunité de bousculer l’ordre établi d’un groupe B, où la Tunisie et la Zambie jouent un rôle de favoris. Une ambition qui au vu du passif mauritanien semble réalisable à qui se souvient du passé récent des Mourabitounes. Entretien avec un sélectionneur pierre angulaire d’un projet ambitieux sur le continent africain.
Après plus de 7 ans de présence à la tête de la sélection de Mauritanie, votre équipe a su fil des années montrer une progression constante jusqu’à devenir une des sélections émergentes du football africain. De l'intérieur, comment avez-vous vécu de l’intérieur la progression d’une équipe passée de la 136ème place au classement FIFA à une double qualification consécutive à la Coupe d’Afrique des Nations ?
En réalité, ça fait 6 ans et quelques mois (rires). Je suis arrivé un peu dans l’inconnu même si j’avais vu quelques matchs de la sélection en vidéo. Je trouvais qu’il y avait un peu de qualité technique et de quoi bien travailler. Ensuite, j’ai commencé à venir, à regarder le championnat local et je me suis beaucoup appuyé sur les joueurs locaux. À cette époque, nous avions peu de joueurs expatriés, il n’y avait pas encore ce travail de recherche. Avec cette base des joueurs qui évoluait au pays, nous avons pu mettre en place progressivement des automatismes au cours des différents stages. Ceux qui jouent en Mauritanie ont pu montrer leurs qualités à travers les matches internationaux et montrer leur qualités à l’étranger. Aujourd’hui j’ai plus d’expatriés que de locaux par exemple.
En 2017, vous étiez très proches de vous qualifier à la CAN, ça s’est joué à peu en dépit d‘un groupe relevé comprenant le pays hôte le Cameroun et l’Afrique du Sud(Cameroun, Gambie et Afrique du Sud). En 2019, vous vous qualifiez finalement et vous enchaînez avec la prochaine CAN. Est-ce cette atmosphère de confiance mutuelle avec la fédération depuis votre prise de fonction est l’élément clé qui vous a permis de récolter les fruits du travail effectué ?
Oui, dès le début j’ai eu une excellente relation avec mon président et avec mes dirigeants. Ils me donnent toute leur confiance et j’essaye de leur rendre la monnaie. En tant qu'entraîneur, je joue pour gagner des matches mais aussi pour rendre fiers et heureux ses joueurs et tout le peuple mauritanien. Avec nos différents résultats, je sens que le peuple est fier, ils multiplient les messages de remerciement et je sais que c’est très important pour eux de voir le drapeau mauritanien flotter parmi ceux des pays qualifiés à la CAN.
Aviez-vous imaginé, lors de votre nomination en 2014, être le sélectionneur qui allait qualifier la Mauritanie pour la première fois de son histoire en Coupe d’Afrique des Nations ?
Au tout début non. Je suis arrivé avec des connaissances assez limitées du football mauritanien. Une fois que l’on y est, on essaye d’obtenir les meilleurs résultats possibles et pour cela, on s’appuie sur des joueurs. Même si je ne marque plus de buts sur le terrain, j’essaye de leur montrer le chemin à suivre pour gagner (rires) . Au début, les joueurs manquaient réellement de confiance en leurs propres qualités. Au fur et à mesure des victoires et des bons matches, ils ont cru en eux mêmes. Les tous premiers temps, ils se demandaient systématiquement ce qui allait leur arriver ! Ils avaient peur de perdre et dans leurs yeux, je vois désormais une envie de gagner.
Désormais, la Mauritanie arrive à tenir tête à des nations majeures du continent africain, à l’image du Maroc lors des dernières qualifications à la CAN 2021 ou la Tunisie lors de la dernière phase finale tenue en Egypte. En sept ans de travail, et après observation minutieuse du football mauritanien sur l’ensemble de ses aspects, comment avez-vous senti chez vos joueurs cette évolution de mentalité face à de plus grandes nations ?
Ce n’est pas facile d’être sélectionneur parce que nous n’avons que cinq dates FIFA dans l’année, ce qui représente en tout 25 séances d’entraînement, soit l’équivalent d’un mois d’entraînement en club. Il faut donc aller à l’essentiel, beaucoup travailler l’aspect confiance mais évidemment sur les aspects tactiques et techniques. Il a fallu habituer mes joueurs à travailler dans l’intensité, à travailler sous pression de l’adversaire aussi.
Votre adjoint, Ahmed Ait Ouarab, nous a dressé un portrait du joueur mauritanien qui pour lui représente une forme de synthèse entre le football maghrébin et subsaharien. Quel portrait pourriez-vous dresser du joueur mauritanien et de la synthèse entre des profils de joueurs assez différents ?
Nous sommes capables de rivaliser au niveau de beaucoup de pays mais il y a un décalage, sur le plan physique avec les ivoiriens, les sénégalais ou encore les guinéens, qui disposent de joueurs plus puissants que nous et majeurs, qui évoluent dans de grands clubs européens. Je dirais que nous sommes peut-être un peu plus proches des équipes maghrébines comme l’Algérie ou le Maroc.
Depuis quelques années, la sélection mauritanienne arrive à attirer des membres de sa diaspora, comme Aboubakar Camara (NDLR : prêté par Fulham à Dijon) au sein de son effectif. À la manière des autres sélections africaines, les binationaux jouent-ils un rôle important au sein du projet que vous portez avec la fédération ?
Effectivement par le biais de nos bons résultats, nous intéressons aujourd’hui des joueurs d’origine mauritanienne. Le binational peut parfois être réticent à l’idée de venir en Afrique, craignant que ce soit mal organisé notamment. Pourtant, lorsqu’ils viennent, ils sont agréablement surpris. Pour ma part, en 6 ans et demi, je n’ai jamais eu de problème de visa ou de billet d’avion par exemple. Les joueurs se parlent entre eux, se renseignent et une fois qu’ils sont présents, ils sont contents d’être là.
Au niveau des clubs, mais aussi des infrastructures, on constate aussi une nette amélioration des conditions offertes à la sélection. Est ce que ces évolutions sur ce plan là incite les joueurs à vous rejoindre ?
Les infrastructures ne sont pas si importantes pour les joueurs, ils pensent surtout à l’aspect organisationnel. C’est sûr qu’en s’appuyant sur un bon terrain, c’est toujours plus agréable. Là dessus nous avons encore des progrès à faire mais je crois que nous sommes sur la bonne voie.
Pour les qualifications en Coupe du Monde, votre équipe se trouve dans un groupe B relevé en compagnie de la Tunisie, de la Guinée équatoriale et la Zambie. Au delà de l’objectif propre à ces qualifications, jusqu’où voyez-vous cette sélection mauritanienne aller ?
Je répète souvent à mes joueurs que peu importe l’adversaire en face, nous devons être ambitieux. On peut se demander ce qu’il faut faire pour gagner les matches et j’essaye de leur donner des éléments pour ça. Nous avons un groupe qui est encore assez jeune et je pense que nous pouvons encore progresser.
Pour les trois amicaux à venir, face à l’Algérie, au Libéria et à Djibouti, quels sont vos objectifs?
En raison du report des matches de qualification pour la Coupe du Monde au mois de septembre, il a fallu trouver rapidement des adversaires pour disputer des amicaux. Nous avons trouvé l’Algérie, qui est pour moi une superbe opportunité dans notre recherche de progression et d’amélioration. Pas meilleur moyen d’apprendre que face à ce genre d’équipe ! J’ai validé immédiatement cette proposition que l’Algérie nous a faite. Pour les autres, ce sont de bons tests avant les échéances en qualification.
En ce qui concerne le football local, l’exemple du FC Nouadhibou (NDLR ; qui a réussi à se qualifier en phase de poules de la Coupe de la CAF en 2020) est aussi un symbole de cette progression du football en Mauritanie. Quelle importance représente le vivier local mauritanien au moment de composer votre sélection ?
Le football mauritanien a beaucoup de retard sur beaucoup de nations africaines. Pour autant, et c’est assez paradoxal, cela fait près de trois ans que c’est l’un des pays qui propose le plus grand nombre de championnats dans les différentes catégories, que ce soit chez les pros, en U19, U17, U15, U13, U11… Il y a une pratique du foot qui est très élevée chez les jeunes. Nous devons nous appuyer sur eux et leur ramener de bons éducateurs, c’est un vecteur de progression pour l’avenir. Nos différentes sélections profiteront grâce à ce travail de fond de futurs joueurs formés et prêts à évoluer au plus haut niveau en sélection.
Vous-même, en tant que sélectionneur, cherchez-vous à accompagner la direction technique nationale dans cet objectif là, de formation, de style à imposer aux joueurs dès leur plus jeune âge?
Je ne suis pas le DTN, la précision est importante. Pour ma part, tout ce qui peut être fait par mon biais pour améliorer le football mauritanien, évidemment je le fais. Je discute avec nos instances et j’ai envie d’apporter un maximum à tous ceux qui m’entourent. Je l’ai fait depuis mon arrivée et je le fais encore aujourd’hui. Pour autant, je suis humble, nous sommes tous égaux et nous devons tous apprendre mutuellement.
Parlons de votre style de jeu, où l’on observe une équipe assez regroupée défensivement mais capable de rapidement se projeter rapidement en contre-attaque par des phases de jeu notamment vues lors de la dernière CAN. Comment définiriez-vous l'idée de jeu inculquée à vos joueurs et sa compatibilité face aux prochains objectifs à venir ?
Je suis quelqu’un de simple lorsqu’il s’agit de football. Parfois, on cherche à rendre scientifique le foot mais ce sport, c’est avant tout bien défendre et bien attaquer. Lorsque nous n’avons pas la possession du ballon, nous devons savoir défendre et pour attaquer, nous avons les attaques rapides ou placées. Pour autant, je veux que mes joueurs prennent du plaisir et la meilleure façon pour que ça arrive, il vaut mieux toucher au maximum le ballon.
Vous encaissez très peu de buts mais vos matches face au Maroc ou à la CAN le prouvent, tout en cherchant à provoquer et à déstabiliser vos adversaires malgré leur statut pour certains. Est-ce que cela sera votre stratégie demain face aux Verts ?
Nous allons essayer de poser des problèmes à l’Algérie bien sûr. Le fait de jouer face à des grandes nations comme la vôtre, face à des grands joueurs, tout cela apprend beaucoup à mes joueurs qui n’auront pas droit à l’erreur sous peine d’être sanctionnés immédiatement sur la pelouse.
De l’extérieur, quel est votre regard sur le travail de Djamel Belmadi avec la sélection algérienne ?
L’Algérie a toujours eu des joueurs aux fortes qualités techniques individuelles. C’est vrai que les résultats de ces dernières années n’étaient pas à la hauteur mais je crois que Djamel Belmadi a réussi à créer un collectif, une dynamique, et c’est ce qui est le plus difficile dans le football. La victoire à la CAN était logique en ce sens.
Comment pouvez-vous décrire la Mauritanie, que vous avez appris à connaître au fil des années à la tête de sa sélection, et qui avait multiplié les scènes de liesse et de joie suite à votre qualification en CAN?
Le peuple mauritanien est d’une gentillesse incroyable. Je remarque qu’ils s’intéressent de plus en plus au football, viennent supporter les joueurs. C’est important pour eux de prendre du plaisir, du bonheur, d’être fiers de leurs joueurs et des retombées médiatiques de leurs exploits à travers le monde.
Pour conclure, songez-vous à vous inscrire encore dans la durée avec cette équipe ?
Je l’espère ! Après 6 ans et demi, j’ai déjà renouvelé plusieurs fois mon contrat. Mon président m’a toujours dit que si je trouvais meilleure opportunité, je pourrais partir mais aujourd’hui tout se passe bien. On sait ce que l’on perd, mais on ne sait pas ce que l’on gagne. Aujourd’hui la question ne se pose pas et j’essaye du mieux que je le peux de faire progresser le football mauritanien.
DZfoot