Le président du Sénégal, le président du Bénin, le Premier ministre du Burkina... Depuis deux jours, les visiteurs de marque se succèdent à Bamako pour exprimer leur solidarité avec le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) du Mali. Mais qui peut être derrière l'attaque terroriste de l'hôtel Radisson, qui a fait 22 morts le 20 novembre ? Ahmedou Ould Abdallah a été ministre mauritanien des Affaires étrangères, puis représentant de l'ONU dans de nombreux pays en conflit. Aujourd'hui, il préside un think tank, le centre 4S (stratégie, sécurité, Sahel, Sahara).
En ligne de Nouakchott, il livre sa vérité au micro de Christophe Boisbouvier.
Ahmedou Ould-Abdallah, quelle était à votre avis la principale cible des terroristes de vendredi dernier ? C’était le Mali ou c’était les Occidentaux ?
Ahmedou Ould-Abdallah : L’attaque a eu lieu à l’ouverture d’un nouveau groupe régional, le Sahel G5, qui est un groupe composé de cinq Etats : le Tchad, le Niger, le Mali, le Burkina et la Mauritanie et sans Etat régional important ou actif, telle l’Algérie, le Maroc et le Sénégal.
Donc c’est peut-être un défi lancé aux chefs d’Etat sahéliens qui essaient de s’organiser dans un G5 Sahel ?
En tout cas c’est ma lecture de cet horrible attentat. C’est pour dire : nous ne vous acceptons pas tel que vous êtes organisés et vous n’avez pas les moyens seuls de lutter contre nous et nous sommes là. Et très curieusement, ce message a été envoyé à la région trois à quatre jours avant la réunion du G5, des déclarations ont été faites pour dire : nous allons relancer la crise au Mali. L’attentat contre le Mali est utilisé un peu pour envoyer des messages ou pour faire la diplomatie par d’autres moyens.
En effet, quelques jours avant il y a eu un communiqué menaçant du chef jihadiste Iyad Ag Gahli d’Ansar Dine ?
Tout à fait. Et les revendications qui ont eu lieu, que ce soit par des groupes de Belmokhtar, que ce soit après par le front du Macina, ne me semblent pas du tout en contradiction ! Parce qu’au niveau de ces groupes, il y a une certaine concertation, même s’il y a une concurrence au niveau des individus, et il y a surtout des sous-traitances. C’est très intéressant au moment où on fait la chasse à des gens de teint plus clair bruns, maures, touaregs… Il s’agit de gens typiquement subsahariens qui auraient fait l’attentat. On ne sait pas s’ils ont des complices encore dans la ville, mais le message en tout cas était très clair : c’est difficile pour vous cinq de travailler sans les grands. C'est-à-dire une fois de plus l’Algérie, le Sénégal et le Maroc.
Iriez-vous jusqu’à dire que les terroristes auraient pu être téléguidés par l’un de ces trois pays délaissés par le G5 ?
Non, je ne vais pas jusqu’à dire que c’est un complot, mais si j’étais responsable de sécurité du Sahel, je n’exclurais aucune hypothèse. Et les terroristes ne peuvent qu’en profiter en jouant sur les contradictions qui existent dans nos pays.
Derrière ces attentats il y a au moins trois pistes. Celle d’al-Mourabitoun de Mokhtar Belmokhtar, celle du Front de Libération du Macina d’Amadou de Koufa et celle d’Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali. Quelle est la plus sérieuse à votre avis ?
Je pense que d’abord celle du Front du Macina et d’Ansar Dine de Iyad Ag Ghali ont des relations, ont des ponts assez connus entre ces deux organisations.
Il y a de l’argent qui circule en effet.
Il y a de l’argent et ils se connaissent également, y compris avec les attentats dans le sud du Mali il y a quelques mois. Et je pense aussi que sur le plan humain, Belmokhtar et son groupe d’al-Mourabitoun connaissent parfaitement Iyad Ag Ghali qui est assez connu dans la région où il opère depuis les années 90 ! Et donc il n’est pas exclu qu’il y ait une distribution des rôles. Et pour créer la confusion au niveau des enquêteurs il est très possible que ces déclarations contradictoires aient été faites délibérément. Je pense qu’il faut cesser de sous-estimer les gens qui se battent et qui sont prêts à mourir pour telle ou telle raison.
Pensez-vous comme certains qu’il faut faire un lien avec les attentats meurtriers de Paris le 13 novembre dernier ?
A mon niveau je ne le pense pas. Par contre, je pense que ces groupes sont déterminés à empêcher les troupes françaises d’être actives simultanément en Centrafrique et au Mali. La présence française dans le Sahel, y compris donc la Centrafrique, est très difficile à accepter pour ces groupes. Et pour ceux qui ont des sponsors actifs dans le gouvernement ils le savent encore mieux. Ils savent qu’un pays comme la France ne peut pas mener deux guerres à la fois sur deux fronts.
Donc pour vous les deux attentats de cette année à Bamako, le 7 mars à la Terrasse et ce 20 novembre au Radisson, ça rentre dans une stratégie de harcèlement des forces françaises ?
Absolument ! Et il faut y ajouter celle de Savaré le 7 août. Alors est-ce que des Etats de la région leur donnaient un coup de main ? Avant, tout le monde pensait à la Libye qui voulait être la seule puissance régionale…
Mouammar Kadhafi ?
Oui, Mouammar Kadhafi. Alors est-ce qu’il y a un pays ou un groupe de pays qui ont pris le relais ou des individus ou des services ? Je pense qu’il y a une lutte d’influence pour le Sahel.
Iyad Ag Ghali est-il protégé par un Etat de la région ?
La question se pose depuis très longtemps. On sait qu’il était proche des Libyens et que ça n’a plus de sens. Les gens se demandent maintenant où est-ce qu’il se trouve. Est-ce qu’il est dans le désert nord-malien, sud-algérien, nord-Niger ? Il a des amitiés et des protections. Il n’y a pas de doute qu’Iyad Ag Ghali qui a un long parcours et un parcours actif depuis les années 90, avec des protections. Il n’y a pas de doute.
Faut-il que les cinq Etats sahéliens partagent plus d’informations et fassent plus de patrouilles mixtes pour lutter contre ce fléau ?
Tout à fait ! L’idée est très bonne, d’avoir des pays qui sont de même niveau, qui sont voisins, qu’il y ait une continuité géographique. Mais il faut qu’ils s’élargissent beaucoup plus ! Le Cemoc (Comité d'état-major opérationnel conjoint) qui les a précédés n’a pas fait preuve d’une grande efficacité quand le Mali s’est effondré, alors qu’il y avait l’Algérie. Donc le faire sans l’Algérie, sans le Sénégal et le Maroc comme je l’ai dit, rend le travail extrêmement difficile pour le G5.
Rfi invité Afrique