La capitale mauritanienne a abrité jeudi après-midi une importante conférence sur les défis environnementaux, animée par M. Ibrahima Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification et Conseiller Spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour le Sahel.
Cette conférence à laquelle ont pris part des responsables du gouvernement, l’ambassadeur des Etats Unie en Mauritanie ainsi que des chercheurs, des membres de la société civile et des universitaires, est organisée par le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME).
Le thème retenu est le suivant : « Environnement et Développement Durable en Mauritanie : Défis et opportunités ».
Mot de Mme la ministre de l’environnement
Après le mot d’ouverture prononcé depuis l’Arizona par Mr Baro, président en exercice du CCME, ce fut au tour de Mme la Ministre de l’Environnement et du Développement Durable d’intervenir pour entretenir l’assemblée des dernières décisions de la journée prises par le gouvernement dans le cadre de la préservation de l’environnement.
C’est ainsi qu’elle a affirmé avoir présenté en Conseil des ministres ce même jour une communication relative à l’état d’avancement du plan d’action du secteur de l’Environnement et du Développement Durable.
Et à l’en croire, le président de la République a instruit le Gouvernement à l’effet d’accorder une importance toute particulière à la sensibilisation des populations autour des questions environnementales afin d’éviter tous les comportements nuisibles à l’environnement et de susciter leur adhésion aux orientions et efforts des pouvoirs publics dans ce domaine sensible.
Il a également instruit tous les départements ministériels à l’effet de collaborer étroitement et de coordonner leurs actions pour assurer une protection efficace de l’environnement et un développement durable du pays.
Enfin, Mme la ministre a révélé que le Président de la République a engagé le Gouvernement à procéder systématiquement à la réalisation des études d’impact environnemental préalablement à la mise en place de tous les projets de développement.
Au cours de son intervention, Mme la ministre a reconnu que pour la Mauritanie, les enjeux sont énormes et d’ajouter que les questions environnementales, concernant la désertification notamment n’ont pas évoluées et 80% du territoire national est affecté par la désertification.
Elle a noté que la Mauritanie est aussi victime de la faiblesse de son espace forestier qui ne représente que 0,5% du territoire. Elle a par ailleurs insisté sur la nécessité d’avoir une meilleure connaissance de la biodiversité car la faune et la flore sont méconnues et elle a promis de travailler avec la FAO dans ce domaine.
Selon Mme la ministre, la Mauritanie fonde son économie sur les ressources naturelles, d’où la nécessité de renforcer le cadre réglementaire et l’importance de systématiser les études d’impact environnemental (EIE). Il faut dit-elle maintenir l’équilibre entre l’environnement et le développement mais aussi travailler sur l’éducation environnementale à travers un programme de gouvernance environnementale qui va impliquer tous les acteurs-clés.
Parlant de son plan d’action pour 2020, Mme la ministre dit qu’il comprend sept actions stratégiques dont la mise en place d’un outil réglementaire en vue de l’exploitation gazière ainsi que la révision de l’Agence Nationale de la Grande Muraille Verte dont le travail sera évalué et qui bénéficiera d’une nouvelle stratégie.
Intervention de Mr Tiaw
Après l’intervention de Mme la ministre, ce sera ensuite au tour du conférencier d’entrer dans le vif du sujet en partant du postulat des tensions entre le développement et la préservation de l’environnement.
Selon Mr Tiaw, les changements climatiques ont fait leur effet. C’est ainsi que les sécheresses sont de plus en plus récurrentes et destructrices. Cela affecte beaucoup les populations car 60% des mauritaniens vivent de l’agriculture et de l’élevage. La Mauritanie a un environnement fragile aussi bien les milieux côtiers, les espaces forestiers que les milieux terrestres. La pression est excessive sur des sols faméliques.
De ce fait, la désertification crée comme un sentiment de fatalité. Normal car l’impact de l’environnement sur la santé humaine est criant avec une hausse du taux de prévalence dû aux vents.
Ainsi près de 50% des décès d’enfants sont liés à la dégradation de l’environnement. Et en plus de cela, les déchets domestiques, solides et liquides et même sanitaires sont très mal gérés, souligne le conférencier. L’assainissement constitue ainsi l’un des points faibles.
Par ailleurs la sécheresse induit la sous-alimentation et la mal nutrition, avec les pertes de la production agricole. Et tout cela a un coup économique exorbitant. L’hostilité du milieu naturel oblige l’Etat à investir dans le désensablement des routes. Mais pour Mr Tiaw, on ne parle pas assez de tous ces problèmes et la chaîne de communication se grippe au niveau des populations qui ne sont pas suffisamment informées des conséquences de la péjoration climatique.
Et pourtant poursuit-il la situation est grave à en croire les experts dont ceux du GIEC, qui ont tiré la sonnette d’alarme concernant la dégradation des terres, la montée des océans ; et la Mauritanie n’est pas à l’abri avec les risques de submersion de la capitale Nouakchott, un cri d’alarme déjà lancé par les spécialistes nationaux.
En effet note Mr Tiaw, la construction des infrastructures portuaires est nuisible et il doute de la fiabilité des études d’impact environnemental. Il invite de ce fait l’Etat à renforcer l’arsenal réglementaire afin de préserver la ZEE qui est dit-il notre poumon, voire notre foie. Poursuivant sa démonstration, le conférencier annonce qu’un autre pannel de renommée vient de publier une étude en décembre 2019, étude selon laquelle l’Afrique de l’Ouest pourrait perdre 80% de ses ressources halieutiques.
Parlant de la situation à Nouakchott, Mr Tiaw a déploré une urbanisation chaotique avec une mauvaise gestion des déchets et des eaux usées, affirmant au passage que les fosses septiques ont complètement pollué la nappe phréatique exposant ainsi la ville à un affaissement, un phénomène dangereux qui s’est produit à Jakarta, obligeant les autorités indonésiennes à construire une nouvelle capitale en déboursant des dizaines de milliards de dollars.
Parlant des conséquences sociales et humaines de la dégradation du milieu naturel, le conférencier a souligné la dislocation des familles, la destructuration sociale avec la perte des valeurs par une jeunesse frustrée et de plus en plus tenté par les sirènes de l’immigration clandestine, du terrorisme et de tous les trafics illicites.
Il y a aussi cette recrudescence des conflits entre usagers du milieu naturel (agriculteurs et éleveurs), qui se disputent les points d’eau et les aires de pâturage. Ce phénomène est qualifié par le conférencier de « cancer sahélien ».
Mais malgré tout, les opportunités existent et il faut les débusquer. Pour ce faire Mr Tiaw déplore d’emblée la faiblesse du budget consacré à l’environnement en Mauritanie (3% du budget national). Or affirme-t-il l’environnement constitue le fondement de l’économie nationale. Ainsi, 97% de nos calories proviennent de la terre ; l’oxygène que nous respirons provient aussi d’elle, et de la mer.
On peut aussi capitaliser la plus-value touristique car les touristes viennent pour contempler le milieu naturel. Il faut aussi, conseille-t-il voir comment on peut valoriser le sable car le monde va faire face à une pénurie de sable. En effet, certains sables du désert constituent un bon substitut pour le ciment. Le sable pourrait bien constituer une nouvelle devise monétaire.
Un exemple : une société chinoise a construit son siège avec du sable ; et la même société chinoise produit du riz paddy à Boulenoir, en plein désert. Ainsi, la valorisation du sable du désert constituera selon Mr Tiaw, une aubaine pour la Mauritanie. Il a également mis en exergue l’importance du vent et du soleil, autres gisements importants pour la RIM. En effet, l’énergie du futur sera propre et abondante et Nouakchott a déjà une bonne autonomie dans ce domaine.
Autre opportunité, les emplois verts, l’environnement est un secteur pourvoyeur d’emplois verts. Ainsi des millions d’emplois sont nécessaires pour restituer le milieu naturel et promouvoir la paix et la sécurité. La muraille verte par exemple est un vaste programme qui vise à restaurer 10 millions d’ha de terre par an dans la région du Sahel. C’est la plus grande structure du monde, une merveille du monde qui va transformer l’économie rurale.
Autre volet développé par le conférencier, l’agro-pastoralisme en Mauritanie. Pour Mr Tiaw, la Mauritanie gagnerait beaucoup à investir dans ce secteur qui est plus adapté à ses yeux que l’élévage intensif. Ainsi, l’Etat doit valoriser les produits du sous secteur de l’élévage avec le label bio et Halal. Et il va falloir alors protéger l’économie rurale contre les prédations dont celles qui s’annoncent en perspective de l’exploitation gazière.
S’agissant des avantages que la Mauritanie pourrait tirer du tourisme environnemental, le conférencier préconise au pays de mieux vendre ses atouts naturels.
Enfin une dernière recommandation, elle concerne le secteur de la pêche. Le conférencier demande d’observer une grande prudence et de procéder à une exploitation rationnelle de cette ressource et il estime que les repos biologiques peuvent ne pas être suffisants pour compenser la surpêche.
Bref aperçu du parcours du conférencier
Notons que M. Thiaw qui a animé cette conférence d’une haute portée scientifique possède près de 40 années d’expérience dans les domaines du développement durable, de la gouvernance environnementale et de la gestion des ressources naturelles.
Ancien fonctionnaire au ministère mauritanien du développement rural où il occupa le poste de chef de service Reboisement de 1979 à 1982. Il a rejoint l’ONU en 2007 comme Directeur de la Division de la mise en œuvre des politiques environnementales au sein du PNUE.
Avant de rejoindre l’Organisation, il avait travaillé à l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (UICN) en tant que Directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest, puis en tant que Directeur général par intérim. De 2013 à 2018, il fut Directeur exécutif adjoint du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), où il avait joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la vision stratégique de cette organisation, de sa stratégie de moyen terme et de son programme de travail, ainsi que dans le renforcement de la collaboration avec les gouvernements et les autres organes de gouvernance environnementale, y compris l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement.
En 2018, il est nommé Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahel et en janvier 2019 M. Ibrahim Thiaw, a été nommé par le Secrétaire Général de l’ONU, au poste de Secrétaire exécutif de la Convention.
Bakari Guèye
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