La Mauritanie vient de traverser l’année 2018 avec deux incertitudes essentielles : la première porte sur la fin du mandat présidentiel, c’est-à-dire, le départ effectif du président Ould Abdel Aziz, arrivé au terme de son dernier mandat constitutionnel, et les contours du jeu politique à venir.
Si, à quelques jours de 2019, nombre de Mauritaniens sont d’avis que le président sortant va effectivement tenir parole en quittant la présidence de la République dans cinq mois, tous sont unanimes sur le fait qu’il garderait malgré tout le Pouvoir, directement ou indirectement ; c’est-à-dire en se faisant suppléer par un « homme de paille » ou en forçant les suffrages pour la consécration d’un alter ego.
Seconde incertitude : l’héritage du président sortant ! Quel sera le sort de ce pays et de son peuple ? Comment sera la Mauritanie après le départ d’un homme qui, pendant ces dix dernières années, a façonné à sa manière, le paysage national, changé toutes les donnes économiques, financières politiques voire sociales ?
Sur quelles bases va travailler son successeur, avec quels moyens, quels hommes ? Il faut bien reconnaître que pendant les dix ans de règne de Mohamed Ould Abdel Aziz, les Mauritaniens ont vécu les pires cauchemars de leur existence : agressions multiples et multiformes portées sur des citoyens et même sur le président de la République, « vacance » de pouvoir, crise politique sans fin, paupérisation, crise économico-financière…
Pour certains, l’ère azizienne est même pire que toutes les années de sécheresse, d’austérité, de dictature et de réajustement structurel réunies. Situation alarmante quand on sait que le pouvoir avait bel et bien la possibilité de réserver un sort meilleur à ses populations, les fonds publics obtenus ces dix dernières années se comptant par centaines de milliards d’Euros !
Sur le plan économique, les populations de l’arrière-pays, surtout celles du monde rural, ont vécu des années dramatiques, non seulement en raison du déficit pluviométrique répété mais aussi à cause de la mauvaise gestion des ressources publiques destinées au développement local. Les fonds régionaux de développement ont été vidés de leur substance. Le plan d’urgence, autrement appelé « Emel », mal ficelé, mal géré et surtout très mal déployé à travers le territoire national a permis juste aux hommes d’affaires et aux fonctionnaires inspirateurs du plan de faire faire un demi-circuit aux fonds alloués afin qu’ils reviennent dans certains comptes privés. L’espoir qui s’est profilé, a vite disparu amenant les pouvoirs publics à mettre fin à ce programme. En échange ! ? Rien.
Dans les grandes agglomérations, les fonctionnaires, petit noyau d’une hypothétique classe moyenne, ont vu les mirages des promesses du pouvoir central se transformer en un enfer infernal. Les primes, les avantages et les traitements de gratifications, les logements… entre autres, ont été supprimés. Les retombées ont certes bénéficié à certains salaires, et le gouvernement a certes procédé à des augmentations de traitement salarial -très timides-, mais la situation socio-économique et professionnelle ainsi créée, a été des pires jamais vécue par les fonctionnaires.
La paupérisation qui gangrenait la vie des Mauritaniens s’est donc élargie aux agents et fonctionnaires de l’Etat. En termes de "bien-être", seuls les soldats et les membres des forces de sécurité ont été "gâtés" avec les miettes du budget de la collectivité. Des centaines d’employés, d’agents contractuels, de travailleurs du parapublic alignent des mois d’arriérés de salaires.
Sur le plan de la gestion des biens publics, des édifices publics (même des écoles) ont été vendus, des marchés passés dans la totale opacité... Plusieurs institutions publiques ont été fermées, jetant dans la rue des centaines voire des milliers de pères de familles désormais sans revenu : Air Mauritanie, Ener, Sonimex, Imprimerie nationale, SAM, Port de Nouakchott…
Au plan du commerce, les prix des produits de consommation n’ont jamais cessé de grimper, atteignant des pics record finalement plombés par la nouvelle expression de l’ouguiya (MRU).
Sur le plan politique, le blocage s’est institué. Le dialogue politique inclusif, souhaité par l’opposition, a été escamoté. Tout comme l’obligation faite au pouvoir d’opérer une réforme profonde de l’armée et des services de sécurité.
Sur le plan des droits de l’homme, les progrès enregistrés avec le CMJD dans l’expression des libertés et l’édification d’un État de droit, appartiennent à un passé lointain. De dignes patriotes, personnalités charismatiques, ont vu leurs biens spoliés du simple fait qu’ils aient refusé de parrainer des pratiques douteuses du pouvoir en place, d’autres ont été détenus pour leurs opinions. Les problèmes de l’esclavage, du passif humanitaire et même des terres cultivables, sont restés en l’état.
Sur le plan sécuritaire, le pays est certes parvenu à circonscrire les attaques terroristes qui menaçaient son existence, il a été toutefois incapable de se définir dans la guerre au Mali, plombant conséquemment le bon fonctionnement du G5 Sahel.
En matière de politique de communication, la place des langues nationales dans les médias publics a été de plus en plus contestée et pour y répondre, le pouvoir a décidé de libéraliser l’espace audiovisuel en ne servant que ses proches politiques. La diversité culturelle n’y verra que du feu.
En matière de politique étrangère, nous avons soufflé le chaud et le froid ; tantôt avec le « Saint », tantôt du côté du « Diable ». La qualité de nos relations avec les pays voisins en a souffert, celle scellée avec nos partenaires traditionnels, aussi.
Alors, de quoi sera faite la Mauritanie au lendemain du départ de Ould Abdel Aziz ? Pour l’heure, les incertitudes font légion. Osons espérer qu’au bout du compte, les Mauritaniens verront le bout du tunnel.
O.Moctar (L'Authentique)