Son album « Urban Gawlo », sorti la semaine dernière, est une empreinte « génétique » et une marque de son ouverture musicale. Pouvait-il en être autrement pour Dioba Guèye, musicienne sénégalo-mauritanienne, qui a puisé à la source « gawlo » (griot) où les rythmes font sens et dans les tonalités arabo-berbères se confondant merveilleusement avec des sonorités d’autres cieux. Le porte-drapeau de l’Organisation internationale de la Francophonie revient, dans cet entretien, sur ses débuts, ses rencontres décisives avec des personnalités qui l’ont marquée, sa dernière production…
Des débuts aux trois « Phénomènes »
« Très jeune, j’ai aimé la musique. Déjà, à l’âge de dix ans, j’étais convaincue que c’était ma voie. Le fait que je sois issue d’une famille « gawlo » (griotte) y est pour quelque chose. Ma grand-mère était une cantatrice « gawlo ». Dans ma famille maternelle aussi, presque tout le monde faisait de la musique. A 15 ans, j’ai commencé à en faire en explorant l’univers du rap et de la soul en Mauritanie et au Sénégal. Il arrivait souvent que j’accompagne des cousins rappeurs établis au Sénégal. Ma famille était réticente au début mais, convaincue de ma passion, elle a fini par accepter. A l’époque, je me procurai de la musique instrumentale pour y poser ma voix. A près de 18 ans, je me suis retrouvée lead vocal d’un groupe qui s’appelait « Mbeguel Africa » en Mauritanie. Le départ de notre principal soutien en France a un peu freiné les activités de cette formation. J’ai alors créé, avec deux autres copines, « Les phénomènes » pour faire du folk acoustique. »
Avec Malouma pour découvrir des univers
« J’ai rencontré Maalouma Mint Meidah (populaire chanteuse mauritanienne) au Centre culturel français de Nouakchott. J’ai alors été surprise de l’entendre dire qu’elle avait besoin de moi parce qu’ayant eu écho de mes prestations. Elle me propose d’assurer les chœurs pour elle. J’étais un peu réticente à cause de la barrière de la langue. Dans ses chansons, elle utilisait un Hassanya classique si profond que je me voyais mal dans un registre même si je le parlais. C’était une belle expérience. Quand je l’entendais chanter, j’avais la chair de poule. En plus de l’opportunité de travailler avec une chanteuse que j’appréciais particulièrement, cela m’a permis de diversifier ma palette, de profiter des rencontres pour bonifier ma musique, de découvrir d’autres univers, d’autres pays. Ce passage a un impact décisif dans cette carrière que je suis en train de mener. J’ai accompagné Maalouma de 2003 à 2008 tout en restant avec mon groupe « Les phénomènes ». J’ai également travaillé avec Ousmane Gangué, Djaliba Kouyaté de la Gambie, Fallou Dieng, Jimmy Mbaye qui est aussi mon oncle. »
Madou Diabaté, ce mentor arrachéà son affection
L’album « Vagabond tribe », mon premier, est le fruit d’une rencontre avec un américain qui l’a produit sans, malheureusement, qu’il n’y ait derrière la promotion qu’il était nécessaire de faire. Il était même prévu une tournée américaine mais à cause de certains aléas, cela n’a pas pu se faire. Ma rencontre avec Madou Diabaté m’a fait oublier ces débuts timides. Il m’a couvée, motivée, appris beaucoup de choses qui m’ont permis de faire des choix décisifs dans ma carrière solo naissante. Sa mort m’a profondément affectée. C’est lui qui m’a mise en rapport avec mon producteur Moussa Diop qui me montre la voie avec beaucoup de bienveillance. Il comble ce manque par sa présence et son professionnalisme malgré les difficultés que connaît l’industrie musicale. »
« Urban Gawlo », un album riche en couleurs
« Cet album comporte dix titres. J’essaie un peu d’élargir ma palette déjà riche de mes identités sénégalaise et mauritanienne parce que la créativité suppose un enracinement dans ce qui nous distingue et une ouverture vers l’autre pour faire une musique consommable au-delà de nos cieux. Ma musique, si tentée qu’elle existe, est au carrefour de plusieurs influences avec des tonalités qui se croisent ; du Blues, en passant par l'Afro, au Folk acoustique chantés en Maure, en Wolof et en Pulaar. Mes origines « gawlo », au lieu de me confiner dans un rythme, m’offre plusieurs possibilités. Certains en ont fait une musique « nomade » parce que le fleuve (elle est originaire du Fouta Toro) est un croisement de rythmes, de sonorités, de chants qui évoquent des réalités différentes. J’essaie de tirer parti de ma double culture, de cette richesse, de cette diversité sans laquelle on s’installe dans un confort de « rythme » non évolutif. Le morceau « Jaat », par exemple, rappelle, sous plusieurs traits, la musique arabo-berbère et ses accents plaintifs. « Urban Gawlo » est un dosage entre le rythme hérité de mes ascendants griots et ce que mon ouverture musicale me permet d'explorer. Le « Yéla » s’y mêle indifféremment au Blues. Ma conviction est que la diversité de nos rythmes et la richesse de nos cultures associées aux propositions des autres univers peuvent nous donner une plus grande visibilité dans le marché mondial de la musique. Le mélange qu’on retrouve dans l’album, c’est aussi une histoire de rencontres, de trajectoire personnelle. Les valeurs partagées sont au centre de mon message. La turpitude dans nos sociétés, la condition de la femme en rapport avec nos croyances traditionnelles et religieuses, y sont également en bonne position. »
Les difficultés dans la réalisation de l’album
« Les difficultés dans la réalisation de cet album sont surtout liées à l’absence de moyens. Aucun sponsor n’a accompagné « Sango production », la maison productrice, de la conception à la finalisation. Sous nos cieux, quand le contenu n’est pas laudatif, le soutien n’est pas toujours là. Nous avons tenu, du fait de mes origines sénégalaise et mauritanienne, à sortir l’album simultanément dans les deux pays. Il y a deux mois, nous avons été au festival « Culture métisse » à Nouakchott, invités à une résidence pendant une semaine en duo avec un groupe français. Nous avons aussi participé au festival « Sahel ouvert » à Mboumba.
L’histoire de la guitare
« Sans être une virtuose de la guitare, j’en joue depuis quelques années. Mon intérêt pour la guitare découle d’une frustration. Il m’arrivait de solliciter des guitaristes pour mes prestations. Mais, ils en demandaient toujours un peu trop. Parfois même plus que le cachet qui m’est proposé. Je me suis réveillée un beau matin et j’en ai acheté pour mettre fin à ce « chantage ». Tout le monde s’est moqué de moi au début. J’observais les guitaristes pour apprendre. Un bon ami m’a un peu guidée en me familiarisant avec les notes. Je dois d’ailleurs suivre quelques cours de guitare pour me perfectionner. »
Se marier avec moi et ma musique
« Moi, je ne repousse personne. J’ai envie, comme la majeure partie des femmes, de me marier. Il y a quelques prétendants. Ont-ils peut-être des appréhensions à se marier avec une musicienne. Pensent-ils que je n’aurai pas de temps à leur accorder (rire). La musique a ses contraintes comme tout travail. C’est un travail. J’arriverai peut-être à trouver quelqu’un qui prendra en compte mon boulot ! »
Propos recueillis par Alassane Aliou MBAYE
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