Le gouvernement à institué en juillet 2015 un nouveau mode d’exploitation de la ressource halieutique jusque là inconnu chez nous, celui des quotas individuels (QI), institués par la loi 017-2015 du 29 Juillet 2015 portant Code des pêches maritimes et ses textes d’application qui, eux, datent de 2016.
Nous en donnerons un aperçu simplifié avant de passer en revue par la suite ses conséquences désastreuses sur le secteur des pêches et partant sur l’économie nationale.
Aperçu sur le système de quotas individuels (QI)
Pour des raisons liées à un suivi régulier de la ressource halieutique, le ministère de Pêches et de l’Economie Maritime doit, chaque année, sur la base de rapports scientifiques émis par l’Institut Mauritanien de Recherches Océanographiques et des Pêches (IMROP), définir le tonnage maximum qui peut être prélevé pour chaque pêcherie (céphalopodes, pélagique…) sans mettre en danger la pérennisation de celle-ci : c’est ce qu’on appelle un Total Autorisé de Captures (TAC).
Une fois le TAC défini, le gouvernement peut allouer des tonnages de ce TAC à des demandeurs (personnes morales ou physiques) suivant des critères définis par les textes précités en restant évidemment dans la limite des tonnages autorisés de captures ou TAC. Le QI individuel offre l’avantage d’éviter une course à la pêche génératrice de pression sur la ressource puisque le bénéficiaire ne peut dépasser le quota qui lui est alloué.
Le Qi n’est cessible (transférable) par son détenteur à une autre personne physique ou morale qu’après une période de 5 ans. Il reste cependant que le système de quotas individuels, détourné de son objet ou appliqué de façon inadéquate au contexte de l’exploitation d’une ressource halieutique, peut entraîner une situation désastreuse. C’est malheureusement le cas s’agissant de notre pays.
Détermination biaisée des Quotas Individuels
Nous avons vu que les Quotas Individuels doivent être déterminés à partir des possibilités qu’offre la ressource halieutique qui sont déterminées annuellement pour chaque pêcherie par le ministère des Pêches et de l’Economie Maritime sur la base des TAC (Total Autorisé de Captures).
Cela veut dire que seules les espèces ou groupes d’espèces qui n’ont pas atteint la limite de leur TAC peuvent faire l’objet d’une allocation de Quotas Individuels. En revanche les espèces ou groupes d’espèces objet d’une surexploitation ou d’une pleine exploitation ne peuvent jamais être concernés par les Quotas individuels.
Malheureusement, nous constatons que le gouvernement, ces derniers temps, a alloué des quotas d’une ressource en situation de surexploitation -celle des céphalopodes- (composée essentiellement de poulpes) et pour laquelle au contraire l’effort de pêche devait diminuer.
Cet état de surexploitation est clairement souligné dans la stratégie adoptée par le gouvernement lui -même pour la période 2015-2019 : « Ainsi, malgré un redressement observé récemment, l’état des stocks du poulpe en particulier est toujours préoccupant avec des niveaux de surexploitation estimé à 17%. » (Voir le Document de Stratégie Page 13).
Le même constat est dressé par l’IMROP, organe chargé du suivi scientifique de la ressource (Voir document du 8ème Groupe sur la ressource publié sur le site de l’IMPROP : www.imrop.mr ).
Comment dans ces conditions peut-on allouer des Quotas Individuels qui atteignent, semble-t-il aujourd’hui, 10 000 tonnes soit le tiers du potentiel de cette pêcherie stratégique ? Au lieu de s’en tenir donc aux données scientifiques et aux recommandations de la Stratégie qu’il a lui-même adoptée, le gouvernement recourut à la création de stocks virtuels ‘’excédentaires’’ de céphalopodes à partir des données du débarquement des navires en recourant à des moyennes théoriques obtenus par navire et s’est mis ainsi à distribuer à tour de bras des tonnages considérables mettant notre ressource halieutique en danger.
Le cas des petits pélagiques est lui aussi révélateur de cette tendance gabégique. En effet, la Nouvelle Stratégie des Pêches, adoptée par le gouvernement pour la période 2015-2019, ainsi que l’IMROP appellent à une prudence en ce qui concerne l’exploitation de cette pêcherie, la plus importante en terme de captures (Voir Le Document de la Stratégie page 13 et le rapport du 8ème groupe sur la ressource publié sur le site de l’IMROP (www.imrop.mr).
En effet, pour la plupart des espèces de cette pêcherie, les niveaux ont atteint la pleine exploitation voire la surexploitation. Par conséquent les Quotas Individuel à allouer sont relativement modestes. Là aussi nous assistons à une distribution effrénée de quotas portant sur des dizaines de milliers de tonnes, mettant en danger cette fois- ci non seulement notre ressource halieutique mais aussi celle des pays de la sous-région en raison du fait que les petits pélagiques sont des stocks partagés.
Opacité totale dans l’attribution de quotas individuels
L’allocation des quotas individuels s’est faite sans se préoccuper des dispositions du Code des pêches Maritimes et de ses textes d’application. En effet, le Code des pêches maritimes énumère une série de critères que le requérant doit remplir pour se voir attribuer un Quota Individuel entre autres par exemple « s’il est en mesure d’exercer le droit d‘usage (du quota) de façon satisfaisante » (Art 25 du Code).
Par ailleurs les plans d’aménagement qui doivent définir, dans les pêcheries soumises à quotas individuels, le volume total de Quotas Individuels à allouer doivent faire l’objet d’une publicité (Art 16 du code). Cette publicité n’a jamais été faite.
Nonobstant toutes ses dispositions, le gouvernement a alloué des Quotas Individuels en se basant sur des critères autres que ceux prescrits par les textes. Les Quotas Individuels ont ainsi été alloués aux hommes politiques proches du pouvoir, aux notables etc... uniquement sur la base du critère de l’allégeance politique.
Cette démarche est pourtant en porte- à- faux par rapport à la Stratégie des pêches adoptée par le gouvernement lui-même pour la période 2015-2019. En effet, nous pouvons lire dans le document de cette Stratégie que « le mécanisme d’allocation et de gestion des droits de pêche se fera de façon transparente et équitable dans le sens de l’intérêt général » (Page 24 du document de la Stratégie).
Elle contredit également les conclusions de la conférence de Nouakchott des 19 et 20 janvier 2015 qui consacra l’adhésion de notre pays à l’ITIH (Initiative sur la Transparence des Industries Halieutiques).
Le document issu de cette conférence stipule, en effet, que les parties s’engagent à « rendre les permis de pêche et les processus de passation des marchés y afférents complètement transparents » (Voir le texte de la Déclaration sur le site du Ministère des Pêches et de l’Economie Maritime). Force donc est de constater que notre adhésion à l’ITIH et le tintamarre qui s’en est suivi s’apparente aujourd’hui plutôt à une opération d’enfumage.
Inadaptation du système de Quotas Individuels institué
Il n’est pas question pour nous ici de mettre en cause les avantages du système de Quotas Individuels en général. Notre démarche consistera à montrer que ce système, tel qu’il est conçu et appliqué aujourd’hui chez nous, nous ramène 40 ans en arrière et crée des déséquilibres au niveau de l’exploitation de la richesse halieutique.
Le système de quotas individuels torpille en effet les 2 piliers du paradigme sur lequel ont reposé toutes les politiques de pêche suivies depuis les années 70 à savoir l’intégration du secteur dans l’économie nationale et la protection de la ressource.
En effet, depuis 1979 (date de la mise sur pied de la Nouvelle Politique des Pêches) des efforts importants ont été consentis pour créer une richesse nationale à travers des investissements nationaux aussi bien au niveau des installations à terre (usines) qu’au niveau de la création d’un armement national (flotte de pêche). La pêche artisanale nationale a, elle aussi, été largement encouragée.
Le système de Quotas Individuels encourage, lui, ouvertement une extraversion du secteur dans la mesure où les nationaux, à l’heure actuelle, ne disposent que d’une flotte vétuste que rien n’a été fait pour procéder à son renouvellement. Par conséquent, les Quotas Individuels bénéficieront surtout aux étrangers.
D’ailleurs les détenteurs de QI récemment distribués sont aujourd’hui en contact avec les armateurs de navires étrangers pour leur céder leurs quotas. Exactement de la même manière par laquelle les intermédiaires vendaient leurs licences dans les années 70.
Pour la pêche artisanale, le scénario sera aussi catastrophique que pour la pêche industrielle en raison du fait qu’elle ne pourra pas supporter la concurrence des navires étrangers. Si des quotas lui sont alloués, elle sera dans l’obligation de les vendre et prendre ses jambes à son cou.
Nous pensons en conclusion qu’il y a lieu de revoir le système de Quotas Individuels tels qu’il est institué pour l’adapter aux exigences du développement du secteur et ne pas en faire un alibi pour le pillage de la ressource et la disparition de nos entreprises industrielles et artisanales.
Nouakchott le 19 Décembre 2016
*Ancien Secrétaire Général de la FNP (Fédération Nationale de Pêche)
E mail : [email protected]
via Le Calame