L’ancien Président Ely Ould Mohamed Vall participe à la conférence internationale sur la Sécurité et la Gouvernance dont les travaux ont démarré hier Mercredi dans la capitale française.
Ould Mohamed Vall a présenté devant la Conférence une communication sur le thème :La situation en Libye et ses répercutions sur l’ Afrique et l’ Europe.
Dans sa communication, il a fait une analyse exhaustive de la situation en Libye traçant une carte détaillée des fractions ; milices et mouvements qui s’entretuent actuellement en Libye ainsi que leurs ramifications idéologiques et leurs sources d’appui.
Ould Mohamed Vall a évoqué dans sa communication les répercutions de cette situation sur l’Afrique et l’Europe dans le domaine de la migration clandestine et le terrorisme. Il a ensuite abordé les perspectives d’avenir concluant sur l’affirmation que le règlement de la crise libyenne relève de la responsabilité internationale et que tout le monde doit contribuer aux efforts déployés pour amener les protagonistes à s’asseoir au tour d’une même table de négociation afin d’élaborer une feuille de route consensuelle pour que renaisse l’espoir à une Libye unifiée où règne la justice.
Voici le texte intégral de la communication :
Draft2 : « La Libye, un vide stratégique et sécuritaire aux conséquences africaines et européennes »
Communication présentée par l’ancien Président de la transition démocratique en Mauritanie, son Excellence Ely Mohamed Vall.
La présente communication traitera à la fois, le Contexte Libyen, la Libye, un vide stratégique et sécuritaire, les conséquences africaines et européennes de cette crise ainsi que les solutions qui peuvent être envisagées.
I. Le Contexte Libyen
1. Bref rappel historique
Après une période d'occupation par les Français et les Britanniques, la Libye devient, en 1951, le premier pays africain à accéder à l'indépendance depuis la fin de la guerre. Le roi Idris 1er est à la tête de cet État pauvre qui connaît un essor important grâce à l'exploitation de ses ressources pétrolières. Un coup d'État perpétré en 1969 met fin à la monarchie. L'homme fort du pays, le colonel Muammar al-Kadhafi, fait de celui-ci une république socialiste. Il islamise les institutions et place le panarabisme au centre de sa politique extérieure. Des fluctuations à la baisse des prix pétroliers, qui se traduisent par des pertes importantes au cours des années 1980 et 1990, causent des inquiétudes. Il en va de même de la montée des radicaux islamistes que Kadhafi tente d'endiguer par la répression et l'adoption de la charia, en 1994. En 2011, le régime tombe dans le contexte du «Printemps arabe». Ce renversement survient après plusieurs mois de combats entre les forces gouvernementales et des rebelles, eux-mêmes soutenus par un appui aérien de l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord.
2. Situation économique
L’économie libyenne se caractérise par sa grande dépendance des ventes d’hydrocarbures (production : 1.6 Mb/j en temps normal) et par sa faible population (6,4 millions d’habitants) qui en fait le pays le plus riche d’Afrique du Nord en termes de revenu par habitant (6 575 USD/hab en 2014).
La crise actuelle affecte grandement le secteur des hydrocarbures sur lequel repose l’économie du pays : la production de pétrole est passée de 1,65 million de barils/jour (b/j) début 2011 à un peu plus de 300 000 b/j début 2015, avant de remonter à 440 000 b/j en octobre 2015. Des groupes armés ciblent les installations pétrolières. L’effondrement de l’économie libyenne qui en résulte entraîne un important déficit budgétaire qui met en péril à terme les finances publiques du pays.
Par ailleurs, la plupart des infrastructures libyennes (logement, transports, télécommunications, éducation, santé) datent des années 1970, favorisant le sentiment d’injustice qui fut l’un des ferments de la révolution.
Ce faible niveau de développement s’explique par une série de décisions économiques erratiques (abolition du secteur privé et socialisation de l’économie à partir de 1973, secteur public pléthorique et inefficace) ainsi que par des facteurs exogènes (baisse des prix du pétrole dans les années 1980-1990, sanctions des Nations Unies de 1986 à 2003). Le succès des réformes structurelles que devra mener le futur gouvernement (diversification économique, refonte administrative, développement du secteur privé, rationalisation de la gestion des finances publiques, modernisation du secteur financier) déterminera l’avenir du développement économique du pays.
3. La Libye sur la scène internationale
Dans l’immédiate après-révolution, la posture libyenne a changé sur la scène internationale, sans toutefois bouleverser ses relations extérieures. Les pays ayant soutenu les premiers la révolution ont développé une relation privilégiée avec la Libye (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Qatar), sans que soit remise en cause la présence de partenaires traditionnels (Italie, Allemagne, Turquie). Les relations de la Libye avec la Russie et la Chine sont restées froides malgré des efforts de rapprochement. Tout en réaffirmant son engagement africain, la diplomatie libyenne a indiqué que la politique africaine serait désormais plus équilibrée. Elle s’est davantage tournée vers l’espace euro-méditerranéen..
La Libye s’est efforcée de développer des relations de bon voisinage, malgré le maintien de certaines querelles. Les officiels libyens ont multiplié les visites dans les pays de la région pour affirmer leur bonne volonté mais aussi aborder le sujet sensible des anciens dirigeants libyens réfugiés dans divers pays. Elle a obtenu l’extradition de Baghdadi Al-Mahmoudi (ancien Premier ministre de Kadhafi) par la Tunisie, celle d’Abdallah Senoussi, ancien chef des Renseignements, par la Mauritanie et celle de Saadi Kadhafi par le Niger.
Toutefois, la Libye étant aujourd’hui divisée entre deux Parlements et deux gouvernements, le pays n’a plus de politique extérieure unifiée. Les deux principaux camps (Tripoli et Tobrouk) sont chacun appuyés par des alliés régionaux différents : les Emirats arabes unis et l’Egypte soutiennent Tobrouk alors que le Qatar et la Turquie ont une influence sur le camp de Tripoli.
4. La Situation actuelle de la Libye
La Libye a besoin de l’aide de la communauté internationale pour sortir de l’impasse politique. La communauté internationale se réunit régulièrement pour soutenir le processus de dialogue et se coordonne pour préparer l’assistance qu’elle apportera aux futures autorités libyennes.
Le 2 octobre 2015, elle s’est exprimée d’une seule voix en faveur de la conclusion rapide d’un accord lors d’une réunion en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) présidée par Ban Ki-Moon. La deuxième guerre civile libyenne est un conflit opposant depuis 2014 en Libye trois gouvernements rivaux ainsi que plusieurs groupes djihadistes, dont :
Le gouvernement Chambre des représentants élus en 2014, internationalement reconnu jusqu'en mars 2016, également connu sous le nom de « gouvernement de Tobrouk », basé à l'est du pays. Ce gouvernement peut compter sur la loyauté de l'armée libyenne commandée par le général Khalifa Haftar et est ponctuellement soutenu face aux djihadistes par les frappes aériennes de l'Égypte et des Émirats arabes unis ;
Le gouvernement rival du Congrès général national, également connu sous le nom de « gouvernement de Tripoli » basé à l'ouest dans la capitale Tripoli, dominé par les Frères musulmans et soutenu par le Qatar, le Soudan et la Turquie ;
Le gouvernement d'union nationale du Conseil présidentiel, présidé par Fayez el-Sarraj, à partir de mars 2016 ;
Plusieurs groupes djihadistes liés ou proches d'Al-Qaïda comme Ansar al-Charia ; la branche libyenne de l'État islamique ; des affrontements opposent également dans le Sud des milices Toubous, touarègues et arabes.
La Libye, un vide stratégique et sécuritaire
1. La crise libyenne
La Libye traverse actuellement une crise politique et sécuritaire, après avoir franchi d’importantes étapes de sa transition. La victoire de la révolution du 17 Février, proclamée le 30 octobre 2011, dix jours après la mort de Kadhafi et à l’issue d’un conflit de huit mois, a ouvert une période de transition politique qui succède à quarante-deux ans de dictature.
Le processus de transition démocratique a connu un délitement progressif. Les étapes de la transition ont été définies par la déclaration constitutionnelle d’Août 2011 du Conseil national de transition (CNT), assemblée provisoire formée durant la révolution. Conformément à cette feuille de route, le Congrès général national (CGN), assemblée législative, a été élu démocratiquement le 7 Juillet 2012 et a remplacé le CNT. Toutefois, en mai 2013, sous la pression de groupes islamistes et révolutionnaires, la loi d’isolement politique était adoptée. Des figures clés du gouvernement ayant collaboré avec l’ancien régime sont poussées à la démission et la perspective d’une réconciliation nationale est compromise.
Alors que la transition a pris du retard, le CGN a prolongé son mandat en décembre 2013, provoquant la colère d’une majeure partie de la population. A la suite des protestations de groupes fédéralistes en Cyrénaïque, le CGN a délégué la rédaction de la Constitution libyenne à une assemblée constituante qui n’a été élue qu’en février 2014 (« Comité des Soixante »).
Alors que le pays se divisait progressivement, l’opération « Dignité » lancée le 16 mai 2014 par le général Hafter a aggravé la fracture entre les deux camps. Par ailleurs, la mission principale du CGN, organiser l’élection de la Chambre des représentants, n’a pas été accomplie dans les délais fixés par la Déclaration constitutionnelle.
Ces élections ont finalement eu lieu le 25 juin 2014, mais le taux de participation, en baisse de 65 % depuis 2012, témoignait d’une certaine lassitude des Libyens. Leurs résultats, annoncés le 22 juillet 2014, ont été plutôt défavorables aux islamistes qui les ont largement rejetés.
Le Parlement nouvellement élu s’est établi à Tobrouk, lors d’une cérémonie de passation de pouvoirs contestée, et son gouvernement à al-Beïda, dans l’Est du pays. Au mois de septembre le CGN s’est auto-réactivé à Tripoli, refusant de reconnaître les résultats des élections de juin. Le 6 novembre, la Cour suprême libyenne adoptait, dans des conditions douteuses, une décision invalidant l’amendement constitutionnel ayant permis l’organisation de ces élections, et donc leurs résultats. La Libye se retrouve alors de facto avec deux Parlements et deux gouvernements.
Le 1er septembre 2014, Bernardino Leon, diplomate espagnol, a succédé à Tareq Mitri au poste de représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies. Il a mené une médiation qui a permis des progrès grâce à un processus de dialogue lancé en janvier 2015 à Genève : le 11 juillet, un accord a été paraphé à Skhirat (Maroc) par toutes les parties à l’exception du CGN ; début septembre, le CGN est revenu à la table des négociations à Genève (3 septembre) puis à Skhirat (10 septembre). Un dialogue élargi entre les nombreux acteurs de la crise libyenne s’est déroulé parallèlement à la médiation onusienne : des réunions avec les partis politiques se sont tenues à Alger, avec les municipalités à Bruxelles, avec les organisations de femmes libyennes à Tunis, avec les tribus au Caire.
Les négociations sous l’égide de l’ONU ont abouti à un « texte final » le 21 septembre. Enfin, le RSSGNU a proposé le 8 octobre les personnalités composant le Conseil présidentiel, cœur du gouvernement d’unité nationale. Toutefois, les parties libyennes n’ont toujours pas approuvé les propositions onusiennes, malgré la pression de la communauté internationale qui a adressé un message univoque en faveur du dialogue lors d’une réunion consacrée à la Libye le 2 octobre en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU).
Les autorités libyennes font face à de nombreux défis. L’Etat libyen est à reconstruire. Le régime de Kadhafi avait affaibli l’administration et les institutions. La justice ne fonctionne que très imparfaitement, ce qui permet une grande impunité. Les services et infrastructures sont faibles et inégalement répartis sur le territoire.
La situation sécuritaire ne cesse de se dégrader et fait le lit de groupes terroristes, dont Daech, notamment à Syrte et Derna.
A Benghazi, la situation sécuritaire et humanitaire est toujours très préoccupante. Le général Hafter, commandant en chef de l’armée nationale libyenne, y a lancé une offensive militaire contre les groupes terroristes présents dans la ville le 19 septembre 2015 jugée néfaste pour le dialogue politique.
La Tripolitaine est relativement stable grâce à des accords de cessez-le-feu locaux même si des affrontements sporadiques ont régulièrement lieu. Le Sud est agité de vives tensions divers groupes et communautés (Ouled Slimane, Toubous, Touaregs, Arabes Zwaï) qui sont en concurrence pour le contrôle des villes (Ubari, Sabha, Murzuq), des axes routiers et des ressources économiques.
Cette situation sécuritaire instable a fait de la Libye le principal point de départ des migrants à destination de l’Europe. Les passeurs profitent du délitement de l’Etat pour faire de la Libye la plaque tournante de leur trafic et jouissent de la complaisance des autorités et de certaines milices.
2. La situation de chaos actuel et le développement du terrorisme
Pour Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli (2001-2004), auteur de l’ouvrage « Au cœur de la Libye de Kadhafi, Jean-Claude Lattès, Paris, 2011 », la Libye n’est plus un Etat mais une anarchie à la faveur de laquelle, raison d’inquiétude, Daech a déjà pris le contrôle de la région côtière de Syrte d’où ses hommes exportent du pétrole sur le marché noir et progressent vers le Sahel, au Sud, et la frontière tunisienne, à l’Est.
Pour les djihadistes, Syrte est un sanctuaire où pourraient bientôt être formés des kamikazes lancés sur l’Europe. C’est de cette place forte qu’a déjà été organisée une attaque contre la Tunisie. C’est là qu’il s’en prépare contre l’Afrique noire où elles se multiplient et de là que pourrait en être monté contre l’Algérie.
La Libye et sa poignée de djihadistes au champ libre constituent une telle menace que les services de renseignements occidentaux et égyptiens y ont infiltré des commandos en mission de renseignement. Les états-majors planchent, au cas où, sur des plans d’intervention qui s’affinent de jour en jour.
Personne ne souhaite, au contraire, en arriver là car l’Irak et l’Afghanistan ont appris à se méfier de l’ingérence, qu’elle soit fondée ou pas, justifiée ou non.
Etats-Unis en tête, les Occidentaux ont aujourd’hui compris que, lorsque des pays riches interviennent dans un pays pauvre, ils y sont vite tenus comptables de tout ce qui s’y passe et ne s’y passe pas, de la misère qui persiste et des solutions qui ne viennent pas.
Intervenir dans un pays, c’est le prendre en charge et les Occidentaux n’ont ni l’envie ni les moyens d’aller reconstruire et unifier l’immense Libye où tout est à faire, en économie comme en politique.
Ils n’y mettront les pieds que s’ils n’ont vraiment plus d’autre choix et Barack Obama vient de le signifier en reprochant publiquement à David Cameron et Nicolas Sarkozy d’avoir cru le travail accompli le jour où Mouammar Kadhafi a été tué, en octobre 2011.
Américains et Européens misent donc tout sur l’Onu dont l’émissaire, l’Allemand Martin Kobler, tente de réconcilier les deux gouvernements libyens pour n’en faire qu’un sur lequel les Occidentaux pourraient alors s’appuyer en lui fournissant armes et conseillers et en allant frapper Syrte, des airs et en toute légalité.
Martin Kobler a marqué quelques points mais tellement incertains et fragiles que les dirigeants et les états-majors occidentaux, tunisien, égyptien et algérien sont littéralement obsédés par ces 5.000 djihadistes de Syrte - par une poignée d’hommes tétanisant des Etats réputés tout-puissants.
A la demande des parrains de la conférence de Rome, l’accord inter libyen du 17 décembre prévoyait dans son article 39.2 que le futur gouvernement aurait le droit, dans le domaine sécuritaire, de« requérir l’assistance nécessaire des Nations unies, de la communauté internationale et des organisations régionales compétentes ». Le 23 décembre, la résolution 2259 du Conseil de sécurité, adoptée sur proposition britannique, l’a entériné en rappelant que la situation en Libye « constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales ». Son article 12 « exhorte les Etats membres à aider au plus vite le gouvernement d’entente nationale, à sa demande, à lutter contre les menaces qui pèsent sur la sécurité en Libye et à prêter un concours actif au nouveau gouvernement en vue de vaincre l’Organisation de l’Etat islamique, les groupes qui lui ont prêté allégeance, Ansar Al-Charia et tous les individus, groupes, entreprises associés à Al-Qaida opérant en Libye ».
Sur le papier, les exigences des puissances occidentales réunies à Rome sont donc satisfaites, et les bases légales d’une nouvelle intervention sont en place. Mais, dans la pratique, cet accord et la désignation du nouveau gouvernement risquent d’engendrer de nouvelles lignes de fracture et d’accroître la violence. De nombreux députés de l’Est n’approuvent pas le document de Skhirat ; le Parlement de Tobrouk n’était d’ailleurs représenté que par 75 élus sur 188 lors de la cérémonie de signature au Maroc. Toujours en Cyrénaïque, le général Haftar a certes déclaré qu’il reconnaîtrait le gouvernement d’entente nationale, mais il est peu probable qu’il renonce à combattre ses adversaires politiques de Tripoli. Quant à M. Ibrahim Jadhran, autre homme fort de l’Est et chef de la garde des installations pétrolières — ses puissantes milices font face à celles de l’OEI dans le golfe de Syrte —, il soutient l’accord, mais il accuse le général Haftar et son embryon d’armée nationale de faire le jeu de l’OEI en ne luttant pas prioritairement contre elle.
Cependant, c’est à l’Ouest que la situation demeure la plus problématique. Seuls 26 députés sur 136 de l’ex-Congrès national général de Tripoli assistaient à la signature de l’accord de Skhirat. Le nombre total de parlementaires soutenant le gouvernement d’entente nationale est quant à lui inférieur à 75. Certains de ses opposants, tel M. Abdelkader Al-Huweïli, y voient déjà un « complot étranger contre la Libye ». Si certaines milices de Zintan, Misrata et Zaouia acceptent d’« assurer la protection » du nouveau gouvernement, les quatre plus puissantes milices de la capitale ont d’ores et déjà déclaré qu’elles s’opposeraient à cette nouvelle instance. Les milices de Misrata affiliées au Front de la fermeté (Jabhat Al-Sumud) de M. Salah Badi ont également fait part de leur hostilité. Le grand mufti de Libye, M. Sadek Al-Ghariani, affirme quant à lui que cet accord imposé par l’étranger « n’est pas conforme aux principes islamiques ». La position de certains personnages influents de Misrata, dont M. Abdelrahman Suweihli, qui s’opposent au texte dans sa forme actuelle, dépendra quant à elle de la volonté et de la capacité de M. Kobler à répondre à leurs demandes. Ils souhaitent que l’on donne un poids accru à l’ancien Congrès général national, élu en 2012, pour contrebalancer celui du Parlement de Tobrouk, qui, selon les termes de l’accord, doit être maintenu comme principal corps législatif. De plus, une majorité de députés de l’Ouest refusent la nomination du général Haftar en tant que chef des armées.
3. Hostilité de la population
Obtenir un accord à marche forcée, fût-il insatisfaisant pour nombre d’acteurs libyens influents, tel a été le pari onusien ; mais il risque d’aboutir à une nouvelle impasse. Pour l’éviter, les Nations unies auraient dû faire preuve de souplesse en poursuivant les négociations avec les parties qui ne se reconnaissent pas dans cet arrangement, ainsi qu’en ouvrant un dialogue sécuritaire avec les acteurs politico-militaires locaux et les chefs de milice. A défaut, la situation ressemblera à celle qui prévalait en août 2014, quand la « communauté internationale » reconnaissait comme seul représentant du peuple libyen le Parlement de Tobrouk, qui ne contrôlait, au mieux, qu’un tiers du pays.
S’il a vite été désigné, rien ne dit que le gouvernement d’union nationale pourra s’installer facilement à Tripoli ni, surtout, s’y maintenir sans heurts. Et même si c’était le cas, il devrait sans doute se garder d’appeler à une intervention étrangère. Si elles unissent leurs efforts, les milices de Misrata et de l’est du pays ont en effet la capacité de vaincre celles affiliées à l’OEI dans la ville de Syrte. De plus, toute ingérence étrangère, outre qu’elle décrédibiliserait le gouvernement et compromettrait durablement la reconstruction d’une nation et d’un Etat libyens, ne ferait que nourrir la propagande de l’OEI : l’Occident bombarderait une nouvelle fois des populations arabes. Cette propagande trouverait un écho au sein d’une population majoritairement hostile à une telle hypothèse, alimentant ainsi le recrutement de l’OEI. Il est toutefois peu probable que les responsables politiques et militaires occidentaux s’en préoccupent. Pour beaucoup d’entre eux, la prochaine guerre en Libye n’est désormais qu’une question de semaines (4).
4. Instrumentaliser la religion
Depuis quatorze siècles, l'islam, qui a porté une civilisation brillante, n'a connu aucun épisode totalitaire tel que nous le connaissons actuellement. Dans son essai d'histoire comparative Sous le croissant et sous la croix (Seuil, 2008), Mark R. Cohen, professeur au département d'études sur le Proche-Orient à l'université de Princeton (États-Unis), analyse pourquoi les relations judéo-musulmanes furent moins marquées par l'intolérance et la violence que les relations judéo-chrétiennes, et comment les juifs jouirent d'une plus grande sécurité dans le monde arabo-musulman que dans la chrétienté médiévale. Contrairement à une idée reçue, il n'y a pas eu d'antisémitisme en terre d'islam avant la fin du XIXe siècle. Dès lors que les États musulmans étaient stabilisés, ils ont toujours protégé les minorités religieuses.
Ainsi se pose la question centrale des causes de l'émergence du djihadisme en terre d'islam. Tous les groupes islamistes violents se réclament d'une même idéologie, matrice de toutes les autres : le fondamentalisme, qui représente 1 % des musulmans dans le monde. Cette doctrine née au milieu du XVIIIe siècle, resurgit sous l'impulsion de leaders fondamentaliste, n'invente rien, mais voue une haine à toutes les branches de l'islam classique, y compris sunnite. Elle est combattue en retour par l'ensemble des savants de l'islam. Comme toutes les sectes, elle utilise la religion pour asseoir un pouvoir.
5. La nature spécifique du djihadisme en Libye
La branche libyenne de Daech, le bien mal-nommé « Etat islamique », est aujourd’hui la plus porteuse de périls. Elle ne jouit certes pas de l’enracinement local des branches égyptienne et yéménite de Daech, qui fonde leur force, mais bride également leur rayonnement international. En revanche, la proximité de l’Europe et la capacité d’attirer des djihadistes de toute la région font aujourd’hui de cette branche libyenne la source de la menace la plus sérieuse en dehors du territoire contrôlé par Daech entre la Syrie et l’Irak. Il importe, pour appréhender la réalité de cette menace, de rappeler que, en Libye comme ailleurs, le développement d’un djihadisme aussi agressif est le fruit de la contre-révolution plutôt que de la révolution. La Libye est, avec l’Egypte et la Tunisie voisine, un des trois seuls pays arabes à avoir, au cours de la vague révolutionnaire ouverte en 2011, connu la chute effective de l’ancien régime. Mais, là où la Tunisie a pu mener une transition démocratique, consacrée par l’adoption d’une nouvelle constitution, la Libye s’est enfoncée dans la crise, après les élections générales trop hâtivement convoquées en juillet 2012.
6. Deux Gouvernements en compétition
Deux gouvernements, appuyés chacun sur une assemblée élue dans des conditions discutables, affirment l’un comme l’autre incarner la légitimité de la Libye, légitimité « révolutionnaire » pour la coalition « Aube de Libye » et son gouvernement basé à Tripoli, légitimité « internationale » pour le gouvernement basé à Tobrouk, et effectivement reconnu comme tel par l’ONU et les grandes puissances. C’est le général Khalifa Haftar qui détient le portefeuille de la Défense à Tobrouk, avec le soutien actif de l’Egypte et des Emirats arabes unis, qui n’ont pas hésité en 2014-15 à engagé leur aviation à ses côtés. La présence djihadiste est ancienne à Benghazi, mais c’est plus à l’Est de la Cyrénaïque, dans la ville de Derna, que Daech a établi à l’automne 2014 sa première implantation en Libye. Force est de constater que les troupes de Haftar, basées à Tobrouk, soit à moins de deux cent kilomètres de Derna, ont préféré concentrer leurs frappes sur les fidèles du gouvernement de Tripoli plutôt que sur les djihadistes. Ce sont finalement des milices se réclamant de Tripoli qui ont éliminé la présence territoriale de Daech en Cyrénaïque, même si Baghdadi y compte encore de nombreux partisans.
Très affaibli à Derna, Daech va en revanche réussir en 2015 à s’implanter à Syrte, à mi-chemin des sièges des deux gouvernements rivaux. Cette ville et sa région, berceau de Moammar Qaddafi, avaient été ostensiblement privilégiées durant les 41 ans de règne du dictateur déchu, assassiné d’ailleurs à Syrte en octobre 2011. Ce sont les miliciens du bastion « révolutionnaire » de Misrata qui s’emparent de la ville après la chute du tyran. Leur brutalité va contribuer à faire basculer dans le djihadisme les combattants locaux, furieux de ce qu’ils ressentent comme une « occupation » étrangère à leur cité.
Aujourd’hui, Les forces progouvernementales déclarent avoir repris le port de Syrte au terme de violents combats contre les militants de l'Etat islamique. La bataille de Syrte, le plus important bastion de l'EI en dehors de l'Irak et de la Syrie, a été lancée le 12 mai 2016. En effet, des images prises fin juin 2016, montrent des chars et des soldats à pied lourdement armés, qui avancent vers la ville.
Les forces progouvernementales ont très vite progressé dans leur offensive pour la prise de Syrte, en s'emparant notamment du port et de plusieurs quartiers. Mais La reprise de Syrte à Daech ne signifie pas la fin du chaos en Libye.
7. Un processus qui aurait pu trouver des solutions
Ce processus du développement du djihadisme s’est développé sur plusieurs années, ce qui prouve qu’il n’avait rien de fatal et qu’il aurait pu être enrayé si Syrte avait été intégrée dès le début de la transition, aux structures de la Libye post-Kadhafi. Mais le gouvernement de Tripoli et les milices de Misrata n’y voient qu’un nid de « contre-révolutionnaires », tandis que le gouvernement de Tobrouk et la soi-disant « armée » de Haftar dénoncent à Syrte la dérive djihadiste de leurs rivaux de Tripoli. C’est donc à la faveur de ce jeu à somme nulle entre Tripoli et Tobrouk que Daech a pu établir à Syrte sa « province de Tripolitaine » (wilaya de Trablus, comme la branche égyptienne de Daech est la « province du Sinaï »).
Durant la deuxième moitié de 2015, Daech consolide sa présence à Syrte (non sans y liquider des dizaines de personnes dans des affrontements ou « exécutions »). L’influence djihadiste s’étend le long de la route littorale vers l’Est sur pas moins de deux cents kilomètres, au point d’atteindre les faubourgs de Sedra. Daech menace ainsi directement la zone des terminaux pétroliers qui avait été le théâtre des combats les plus acharnés de l’été 2011 entre le régime Kadhafi et les milices révolutionnaires.
Cette montée en puissance a été menée sous l’égide d’un cadre irakien de Daech, dépêché pour cette mission depuis la direction centrale de l’organisation djihadiste. Abou Nabil al-Anbari, de son vrai nom Wissam Abd Zayd Zubaydi, a sans doute rejoint la Libye par la voie maritime, alors que la plupart des recrues étrangères de Daech en Libye, souvent originaires des pays voisins, empruntent les frontières terrestres. Le commissaire politique de Daech œuvre en tout cas à une internationalisation de la hiérarchie comme du recrutement de la branche libyenne, avec application désormais rigoureuse de son programme totalitaire.
8. La nécessaire offensive en Libye contre Daech
Les trois à cinq mille combattants de Daech en Libye se trouvent essentiellement entre Syrte et Sedra, le cœur de la « province de Tripolitaine ». Mais des poches djihadistes restent actives plus à l’Ouest, notamment à Beni Walid ou à Sabratha. Et c’est à Derna qu’un raid américain, le premier du genre en Libye contre Daech, vise en novembre 2015 Abou Nabil al-Anbari, donné pour mort par le Pentagone. Trois mois plus tard, ce sont des dizaines de djihadistes qui auraient été tués dans le bombardement par les Etats-Unis d’un camp de Daech à Sabratha.
Cette frappe américaine, loin de neutraliser la frontière toute proche avec la Tunisie, accélère le déclenchement d’une offensive majeure de Daech contre la ville tunisienne de Ben Guerdane. Le bilan donné par les autorités tunisiennes le 8 mars 2016 dépasse les cinquante morts, dont une trentaine de djihadistes. Après avoir entraîné dans les camps de Sabratha les terroristes qui ont frappé le musée du Bardo, en mars 2015, puis un hôtel de Sousse, en juin 2015, Daech a donc été en mesure de lancer une attaque transfrontalière, heureusement écrasée dans le sang. La faillite de la coalition « Aube de Libye » et du gouvernement de Tripoli est terrible à Sabratha, après l’avoir été à Syrte.
Il est urgent que, au-delà des discussions sur un « gouvernement d’union nationale » entre Tripoli et Tobrouk, les acteurs miliciens des deux camps entament enfin une coordination de leurs efforts contre l’ennemi prioritaire qu’est devenu Daech pour eux tous.
Quant à la Tunisie, frappée par les djihadistes pour la réussite de sa transition démocratique, elle mérite plus que jamais un soutien massif de l’Europe et des Etats-Unis.
III. Conséquences africaines et européennes de la crise libyenne
Conséquences sur le Maghreb, le Sahel et l’Afrique
Menaces au Sahel et au Maghreb de la crise libyenne
Après la chute de Kadhafi Elle est très importante et elle peut se résumer ainsi. En tant que conséquences directes de la guerre en Libye et du renversement du régime Kadhafi :
- La dissémination des armes et des munitions : Ce sont de très importants stocks d’armes légères et lourdes (mitrailleuses, mortiers, lance grenades… jusqu’à des missiles anti-chars et anti-aériens, on parle de plus de 10 000 !) de munitions et d’explosifs, qui ont « disparu » des arsenaux de l’armée libyenne et que l’on retrouve déjà au Sud. Ainsi, en juin 2011, 600 kg d’explosif Semtex étaient par exemple saisis par les forces de sécurité nigériennes lors de l’interception d’une colonne d’AQMI à la frontière nord du Niger. Des étuis de missiles SA ont été retrouvés par ailleurs en forêt de Ouagadou au Nord Mali… Cette dissémination, réelle et très importante, est évidemment une aubaine pour toutes les formes de terrorisme maffieux et de banditisme terroriste, et favorise le retour sur la scène des mouvements armés, ainsi que la recrudescence des trafics qui constituent les principales caractéristiques de cette immense zone grise. Préoccupés par la menace que constitue ce trafic d’armes (disponibles en grande quantité et à des prix « raisonnables ») en provenance de Libye, les quatre pays de la sous-région sahélosaharienne (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie) ont récemment décidé de procéder à l’installation d’une cellule qui aura pour mission de « suivre le dossier des armes introduites de Libye vers les pays du Sahel et l’échange d’informations sur les quantités d’armes parvenues à chacun des quatre pays ».
-Les mouvements de population dans la zone : Notamment le retour au pays des Touaregs maliens et nigériens, mais aussi des Tchadiens qui vivaient, travaillaient en Libye dont bien sûr ceux qui y servaient dans les forces armées du Guide libyen. On parle de 260 000 personnes au Niger, de 80 000 au Tchad…
-La reprise de la lutte armée des Touaregs au Nord Mali : Ainsi la soudaine apparition sur le devant de la scène du MNLA : mouvement national de libération de l’Azawad, regroupant les anciens MNA (mouvement national de l’Azawad), MTM (mouvement touareg malien) et ADC (alliance pour le changement et la démocratie) qui vient de faire parler de lui en attaquant des localités comme Aguelhok, Menaka, Tessalit, Tinzawaten et maintenant Kidal. Le MNLA est dirigé par Mohamed Ag Najim, ex-colonel de l’armée libyenne et dispose de 1500 à 2000 combattants bien équipés, agissant désormais dans la zone d’action traditionnelle d’AQMI. Ceci est une vraie menace pour la sécurité de la zone et n’inquiète pas seulement les autorités maliennes mais aussi celles des pays proches, à commencer par l’Algérie, le Niger et la Mauritanie.
- AQMI et le renforcement des connexions inter terroristes des shebbabs somaliens à AQMI via Boko Haram.
Si l’émergence de cette dernière n’est pas liée à la situation libyenne, elle ne peut en tout cas que profiter de la déstabilisation régionale que la chute de Kadhafi a provoquée. Boko Haram inquiète tout particulièrement le président Issoufou au Niger qui craint non sans raisons que le sud du pays ne reste pas longtemps hermétique à la présence, à l’influence, et à l’activité de la secte. Des attentats auraient été en préparation dans les villes de DIFFA (en bordure immédiate du Nigeria et MARADI par des présumés Boko Haram.
On sait aujourd’hui que des connexions sont établies entre AQMI et Boko Haram, de même qu’entre Boko Haram et les Schebbabs somaliens. Nous voilà par conséquent devant une menace qui se structure de manière inquiétante car on voit bien qu’elle prend une dimension bien autre que locale.
La menace sur toute l’Afrique de l’Ouest se concrétise
La vague d’attentats sanglants, avec l’assaut contre Radison Blu Hotel (vingt-deux morts) le 20 novembre 2015 à Bamako et l’attaque terroriste de Ouagadougou, dans la nuit du 15 au 16 janvier 2016, fait aujourd’hui planer une menace sur toute l’Afrique de l’Ouest.
Mathieu Guidère professeur agrégé d’islamologie et de la pensée arabe, analysait dans le Parisien, au lendemain de l’attaque au Burkina Faso revendiquée par al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) que «Les pays de l’Afrique de l’Ouest alignés sur la France seront les prochaines cibles. C’est une stratégie construite. Ils veulent tuer le tourisme dans ces pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Niger, comme Daech l’a fait en Tunisie».
Mais pour ne pas tomber dans le piège dressé par l’idéologie djihadiste, le Sahel ne doit pas verser dans une répression exagérée à l’encontre des milieux fondamentalistes. Les djihadistes, l’État islamique en tête –bien qu’il ne soit pas directement une menace au même titre qu’Aqmi au Sahel–, poursuivent par leurs attentats un grand objectif: celui de détruire la «zone grise», qui correspond à l’espace occupé par les musulmans modérés dans la société. Si l’État sévit trop fort contre les milieux religieux, des musulmans qui n’adhéraient pas à l’idéologie djihadiste peuvent basculer dans le terrorisme par révolte contre la répression ou l’exclusion dont ils sont victimes.
2. Conséquences sur l’Europe
Le terrorisme djihadiste
Il y a le front libyen sur lequel le nombre des combattants de Daech a plus que doublé en quelques mois et pourrait vite quintupler, passant de 5.000 hommes à 25.000.
« Allez sur un site de réservation aérienne et vous comprendrez », lâche un militaire européen et, de fait, si l’on tape « Djerba », paradis insulaire de la thalassothérapie à l’extrême sud de la Tunisie, tout est dit.
Djerba et le Sud tunisien sont à deux minutes de l’Europe. Rien de plus facile que de rejoindre ensuite la côte libyenne. Le parcours est infiniment moins long, coûteux et périlleux que celui qui mène en Syrie et la Libye pourrait ainsi devenir, demain, la grande destination des jeunes apprentis djihadistes que Daech recrute en Europe et aux quatre coins du monde.
Les responsables occidentaux et régionaux le craignent d’autant plus, deuxième raison de leur inquiétude, que Daech a maintenant tout intérêt à diriger ses proies vers la Libye car le renforcement des frontières turques a compliqué l’accès au front syrien alors que l’on peut pénétrer en territoire libyen sans se heurter au moindre obstacle. Pas de vraie police nationale au sol, pas de coalition internationale dans les airs, la Libye est un rêve de djihadiste parce qu’elle a deux gouvernements rivaux, c’est-à-dire aucun. Il y a celui de Tripoli, dominé par les Frères musulmans, et celui de Tobrouk, plus pluraliste et modéré.
Ø La contrebande
Le couloir de communication entre Méditerranée et Sahel via le sud libyen est une route de commerce séculaire qui assure la prospérité du Fezzan depuis la fin du XIXe siècle. À l’instar des autres aspects de la vie quotidienne locale, les règles du commerce y sont régies par les liens familiaux. Les clans affiliés se partagent les itinéraires à travers les frontières des pays du Sahel, dans un contexte marqué par l’incapacité des États à contrôler leurs frontières
Dans les années 1970, le commerce de pétrole et de biens subventionnés d’Algérie et de Libye a remplacé les commerces traditionnels. Dans les années 1990, la guerre civile algérienne et la réforme du système de subventions dans les économies du Maghreb ont mis fin à ce commerce traditionnel et ont favorisé le développement du trafic d’armes, de drogue et de cigarettes.
À compter de 2005, les réseaux d’Afrique de l’Ouest se sont développés avec la collaboration des cartels pour le transport de cocaïne, puis à partir de 2009, pour l’héroïne afghane.
La détérioration de la situation malienne a permis aux transporteurs touaregs et arabes d’utiliser les routes depuis le nord du Mali à travers le Niger et le Tchad.
Le degré de collusion entre djihadisme saharien et réseaux de narcotrafic est difficile à établir, mais il apparaît que les djihadistes préfèrent protéger le trafic de stupéfiants plutôt que de s’y livrer eux-mêmes.
Ainsi, en 2010, AQMI a d’abord pris langue avec des trafiquants sud-américains en Guinée-Bissau, puis a développé des contacts avec plusieurs réseaux régionaux
En 2013, le ralliement du Mouvement pour l’unité du djihad en Afrique de l’Ouest, notoirement connu pour son implication dans le narcotrafic, à Mokhtar Belmokthar – lui-même surnommé depuis les années 1990 « M. Malboro » – présume d’une implication nouvelle des Mourabitounes dans ce domaine . Si les deux groupes tirent l’essentiel de leurs revenus des prises d’otages, le trafic de drogue offre désormais une autre source de financement, moins lucrative mais aussi moins aléatoire.
Ø L’explosion du trafic de migrants
Jusqu’au début de la guerre civile, la Libye attirait des migrants du monde entier pour ses perspectives d’emploi. L’absence d’une politique de visas rendait leur statut précaire, et favorisait la pratique du séjour saisonnier illégal pour les populations des pays sahariens. Ces migrations s’inscrivaient dans le paysage économique régional, poussant des populations affectées par les autres conflits africains, ou par la crise économique, à chercher meilleure fortune dans les pays voisins.
Pour entrer en Libye, la route de l’est est constituée d’un faisceau d’itinéraires en provenance d’Érythrée et de Somalie, à travers Éthiopie et Soudan – périlleux voyage pouvant souvent prendre plusieurs mois. En 2013, cette route était la plus empruntée par les migrants illégaux, à hauteur de près de 10 000 personnes par mois, acheminées par des réseaux de passeurs toubous depuis les camps de réfugiés du nord du Soudan. Ce voyage prend une dizaine de jours à travers le désert jusqu’à la frontière, puis les migrants rejoignent clandestinement la côte de Cyrénaïque.
À la différence des migrants qui traversent la Corne de l’Afrique, la première partie du trajet des ressortissants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est relativement aisée, cette organisation garantissant depuis 1975 la libre circulation des ressortissants des 15 États d’Afrique de l’Ouest. Le migrant ne devient clandestin que lorsqu’au nord du Niger, après Agadez et Dirkou, il rejoint les réseaux de passeurs à destination de Sebha, puis de la Tripolitaine, à travers près de 2 000 kilomètres de Sahara.
Durant son voyage, le migrant devient ainsi tôt ou tard illégal, et sa situation se fragilise du fait de la mise en place d’un système de courtage des personnes en fonction du profit qu’elles peuvent générer. Les migrants sont revendus d’un trafiquant à un autre, ce qui augmente exponentiellement le coût de leur voyage. Rapidement à court d’argent, ils sont alors retenus le temps que leurs familles règlent leurs dettes. En l’absence de représentations consulaires sur le territoire libyen, les migrants sont à la merci de leurs passeurs, et traités dans des conditions effroyables.
Le passage de la Méditerranée vers l’Europe constitue le trajet le plus onéreux et le plus dangereux, et se tente depuis la côte de Tripolitaine, la plus proche de Malte et de Lampedusa. Pour plusieurs milliers d’euros, les migrants s’entassent dans des embarcations de fortune dans les ports de Zawiya, Tripoli et Misrata ; puis ils sont abandonnés en mer, éventuellement pendant plusieurs jours, à proximité des eaux territoriales européennes, pour profiter de l’obligation de secours maritime. En 2014, ces tentatives qui ont fait plus de 3 000 victimes ont enflammé l’opinion européenne.
Il n'y a aucune solution durable à cette crise sans une politique européenne réaliste qui traite aussi de la crise libyenne. Tant que les migrants et les réfugiés en Libye sont pris entre une guerre civile meurtrière et la menace croissante de l'organisation Etat islamique (EI), ils continueront à essayer de traverser la Méditerranée, peu importe le nombre de bateaux que l'Europe détruit. A vrai dire, en Lybie, l’EI a principalement ciblé des travailleurs étrangers jusqu’ici, à l’instar de la décapitation de trente Ethiopiens, dernier évènement d'une longue série d'attaques. En outre, mentionner la réussite de l'opération Atalanta contre la piraterie autour de la Somalie n’a pas de sens. Il n'y a aucune demande pour les pirates, mais il y a une demande de la part des réfugiés de traverser la Méditerranée.
III. Les solutions
1. Le fondamentalisme pour étouffer le développement
Ainsi le fondamentalisme apparaît-il, dans les faits, comme un instrument efficace pour maintenir les peuples d'Orient dans la division, la régression et le sous-développement, et cela depuis près d'un siècle.
Les doctrines liées à l'islamisme ne reposent sur rien, elles ne sont qu'une manipulation des textes et peuvent être réfutées en tous points. En vérité, la grandeur de l'islam a été de produire une vaste hybridation interculturelle. C'est de ce métissage des cultures et des savoirs qu'est née une grande civilisation. Par leurs actes et leur idéologie, les fondamentalistes sont infidèles à l'esprit de l'islam en général, et à celui de la première période en particulier : ils ne sont ni dans la forme, ni dans le fond conforme à l’esprit de l’Islam.
Le djihadisme n'est pas plus l'islam que la secte Moon n'est le christianisme. Mais ils ont le même mode de fonctionnement, ils instrumentalisent la religion pour mieux servir les intérêts de leurs maîtres.
3. Pourtant les solutions existent
Tout d'abord, il faut sortir de cette idée simpliste que le djihadisme est une génération spontanée. Qui peut raisonnablement croire que 30 000 djihadistes peuvent tenir tête à l'ensemble de la planète ? Et qu'ils ont eux-mêmes tout organisé ? C'est l’inverse, et il faut être aveugle pour ne pas voir que ce mouvement idéologique est organisé, financé, armé et soutenu par certains acteurs connus de tous les géo stratèges pour leurs propres intérêts.
La première solution est de couper toutes les sources de financement et de soutien. La communauté internationale a les moyens d'investiguer et de sanctionner tous ceux qui parrainent ces mouvements extrémistes violents.
L'opinion publique occidentale a un rôle déterminant à jouer auprès de ses dirigeants dans cette première action.
La deuxième action est de déconstruire point par point l'ensemble d'une rhétorique mensongère faite pour embrigader et manipuler la jeunesse. Ce contre-discours doit être popularisé dans toutes les couches de nos sociétés.
Le djihadiste, faux rebelle, démontre par ses actes qu'il n'est qu'un instrument de l'ordre rétrograde établi par ceux-là mêmes qu'il prétend dénoncer. Parallèlement, il faut défaire d'urgence le maillage et les réseaux qui permettent, dans de nombreux pays, de cultiver le terreau favorable à l'émergence du djihadisme. Quels que soient les noms qu'ils portent : djihadisme, salafisme, islamisme, ou fondamentalisme, ils ne sont que les différentes facettes d'une même réalité, un extrémisme contraire aux valeurs de l'islam et de l'humanité.
4. Quel avenir pour la Libye ?
Ne nous trompons pas, ce qui se passe en Libye, au Moyen-Orient et en Afrique n'est pas un aléa de l'histoire, c'est le signe d'un affaissement dangereux de nos civilisations communes d'Orient et d'Occident. Aujourd'hui, les pays touchés sont ceux qui n'ont pas réussi leur transition démocratique et qui sont vulnérables aux phénomènes de globalisation.
Mais demain, qu'en sera-t-il ? Il nous faut engager la bataille du savoir et de l'éducation, seule à même de mobiliser les opinions publiques. Comme tous les totalitarismes en « isme » qu'a connu le XXe siècle, le djihadisme est voué à disparaître devant le réveil et l'alliance des musulmans du monde et des opinions publiques occidentales. Le plus tôt sera le mieux, car il n'est de l'intérêt d'aucune nation de voir un chaos communicatif s'installer durablement.