
L’histoire se répète, dit-on, mais parfois elle radote. Et à voir ce qui se trame actuellement dans nos rues, nos commissariats, nos frontières, il semble que certains services de sécurité mauritaniens aient lu le manuel de gestion des migrations du Maghreb… mais n’en aient retenu que les pires chapitres.
Depuis quelques semaines, la Mauritanie semble engagée dans une vaste opération de nettoyage migratoire, façon karcher sécuritaire, ciblant nos frères subsahariens. Une opération que certains agents de l’ordre interprètent à leur manière, y voyant surtout une belle aubaine pour arrondir les fins de mois. Passeport ou pas, carte consulaire ou non, si tu as la peau trop foncée et l’accent venu d’ailleurs, tu es bon pour l’interpellation expéditive. Et, avec un peu de chance, on te laissera le temps de négocier ta liberté en cash, avant de te balancer, au mieux, aux frontières. Au pire ? En plein désert, sans eau ni dignité.
Mais rassurons-nous : tout cela se fait dans un souci évident de conformité avec les desiderata européens. Vous savez, ceux-là mêmes qui, entre deux déclarations sur les droits de l’homme, financent nos dispositifs de contrôle migratoire et applaudissent, dans un silence gêné, nos rafles sélectives.
Alors, certes, nous ne sommes pas les seuls à céder à ce réflexe de forteresse assiégée. La Tunisie, l’Algérie, le Maroc s’y adonnent déjà avec un zèle tristement documenté : expulsions collectives, violences, déportations en plein désert libyen ou saharien. Une spirale honteuse à laquelle la Mauritanie semble vouloir s’arrimer sans complexe. Mais avons-nous vraiment envie d’être dans le même wagon de l’inhumanité que ceux qui raflent des mères avec leurs nourrissons, qui jettent des hommes en détresse comme des sacs de sable au fond de nulle part ?
Il est peut-être temps de se rappeler une évidence : on ne fait pas aux autres ce qu’on ne supporterait pas qu’on fasse aux nôtres. Et des Mauritaniens à l’étranger, Dieu sait s’il y en a. Au Sénégal, en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire… des milliers de nos compatriotes vivent, travaillent, élèvent leurs enfants dans des pays qui leur offrent, bon an mal an, hospitalité et opportunités. Faut-il que nos propres pratiques mettent en péril leur sécurité ? Qu’un effet boomerang vienne frapper nos communautés expatriées au nom d’un triste mimétisme sécuritaire ?
La Fédération des Sénégalais en Mauritanie vient de tirer la sonnette d’alarme. Arrestations arbitraires, violences, humiliations : même ceux en situation régulière sont traqués, brutalisés, intimidés. Une grève de 48 heures vient d’être lancée pour protester. Et après ? Attendrons-nous que des représailles s’abattent sur nos citoyens ailleurs pour comprendre que la dignité humaine est indivisible ?
Car au-delà de l’image désastreuse que ces pratiques véhiculent, il y a un coût réel. Diplomatique, d’abord : les chancelleries s’alertent, les ONG observent, les journaux de la sous-région s’enflamment. Économique, ensuite : qui viendra encore investir dans un pays où les étrangers sont traités comme des intrus ? Qui confiera son argent ou son avenir à un État qui piétine les principes élémentaires du vivre-ensemble ? Et surtout humain, profondément humain : quelle société voulons-nous bâtir si nous acceptons de voir des hommes, des femmes, des enfants raflés comme du bétail pour satisfaire des logiques de contrôle, d’argent ou de rendement politique ?
Il est grand temps d’avoir le courage d’agir différemment. De faire entendre une voix mauritanienne singulière, lucide, solidaire. De former nos forces de l’ordre autrement. D’enseigner l’empathie, le respect, l’éthique. D’élever notre politique migratoire au rang d’une politique humaine, tout simplement.
La Mauritanie peut encore choisir une autre voie. Celle de l’honneur, de la justice, de la fraternité. Non pas parce que l’Europe nous le demande, mais parce que c’est ce que nous devons à notre propre conscience et que c’est notre devise nationale.
La dignité humaine ne se négocie pas. Elle se défend. Partout, pour tous.
B.C.