Lutte contre la corruption en Mauritanie : de grands discours pour mieux camoufler les passe-droits | Mauriweb

Lutte contre la corruption en Mauritanie : de grands discours pour mieux camoufler les passe-droits

mer, 16/04/2025 - 10:01

 
Alors que le gouvernement mauritanien prétend renforcer sa lutte contre la corruption à travers une nouvelle batterie de lois soumises au Parlement, le contenu de ces textes trahit une volonté manifeste de ménager certaines élites. En témoigne un fait troublant : les députés, pourtant au cœur de l’appareil législatif et souvent impliqués dans les mécanismes de marchés publics, sont purement et simplement exclus de l’obligation de déclaration de patrimoine. Un non-sens qui remet sérieusement en question la sincérité de cette prétendue réforme.

Trois projets de loi – relatifs à la déclaration de patrimoine, à la lutte contre la corruption, et à la création d'une autorité nationale dédiée – sont actuellement en discussion dans différentes commissions parlementaires. Sur le papier, ils ambitionnent de « renforcer la transparence, prévenir les conflits d’intérêts, et lutter contre l’enrichissement illicite ». Dans les faits, ils semblent surtout conçus pour donner le change à l'opinion publique et aux partenaires internationaux, tout en préservant soigneusement les intérêts de certains groupes influents.

C’est la lecture détaillée du projet de loi sur la déclaration des biens et des intérêts qui fait tomber le masque. La liste des personnes concernées est longue – 35 catégories, incluant le président de la République, les ministres, les walis, les juges, les maires et même les responsables d’associations financées par l’État. Mais une absence saute aux yeux : celle des députés.

Comment expliquer que les élus du peuple, détenteurs d’un pouvoir législatif et souvent au cœur de circuits opaques liés aux appels d’offres publics, soient exemptés d’une mesure censée instaurer la transparence ? La réponse est politique : selon plusieurs sources concordantes, des hommes d’affaires siégeant à l’Assemblée nationale auraient exercé des pressions pour être retirés de cette obligation. Le gouvernement aurait cédé, préférant préserver ses alliances parlementaires plutôt que défendre l'intérêt général.

Le comble de l’ironie, c’est que la définition même du « fonctionnaire public » dans l’article 1er inclut clairement les députés : toute personne élue exerçant une fonction législative y est expressément mentionnée. Mais dans l’article 3, qui liste les personnes spécifiquement assujetties à la déclaration, les députés disparaissent comme par magie. Ce tour de passe-passe juridique en dit long sur le double langage qui structure cette réforme.

Interpellé sur ce point lors des débats en commission, le ministre de la Justice, Mohamed Mahmoud Ould Beïh, a tenté de se défausser en indiquant que les parlementaires « peuvent eux-mêmes s’ajouter à la liste s’ils le souhaitent ». Une manière élégante de renvoyer la balle à une Assemblée largement acquise au pouvoir et peu encline à l’autocritique.

Les trois projets de loi ont été présentés comme des instruments majeurs pour « corriger les failles » du cadre juridique existant, notamment celui de la loi de 2016 sur la lutte contre la corruption. Ils prétendent également mettre en œuvre les recommandations internationales issues de l’évaluation du dispositif anti-corruption de la Mauritanie. Mais en écartant les élus nationaux de leurs dispositions les plus emblématiques, ils montrent que cette réforme est d’abord un exercice de façade.

Le député Mohamed Bouye Ould Cheikh Mohamed Fadel ne s’y est pas trompé. Dans une déclaration publique, il a dénoncé « une incohérence flagrante entre les discours du pouvoir et ses pratiques », appelant à élargir le champ de la loi pour inclure tous les élus, y compris les parlementaires.

Le projet de création d’une « Autorité nationale de lutte contre la corruption » n’échappe pas non plus à la critique. Si l’intention peut sembler louable, encore faudrait-il que cet organe soit réellement indépendant, doté de moyens, et libéré de toute ingérence politique. Or, l’expérience mauritanienne en matière d’institutions de contrôle invite à la prudence : sans autonomie réelle ni volonté politique forte, cette autorité risque de s’ajouter à la longue liste des structures vitrines, chargées d’occuper le terrain sans jamais déranger les vrais bénéficiaires du système.

 

Une fois encore, la Mauritanie donne l’illusion d’agir contre la corruption, alors qu’elle en protège soigneusement les ressorts les plus puissants. Les lois discutées aujourd’hui ne sont pas de véritables instruments de lutte contre la corruption, mais des outils de communication pour vernir l’image du pouvoir. En excluant les députés de l’obligation de transparence, le gouvernement envoie un signal clair : la corruption se combat dans les discours, pas dans les actes. Une fois de plus, la montagne législative accouche d’une souris… soigneusement apprivoisée.

Et pourtant, voici la liste complète des 35 catégories assujetties à la déclaration de patrimoine et d’intérêts :

  1. Le président de la République
  2. Le Premier ministre
  3. Les membres du gouvernement ou ceux ayant un statut équivalent
  4. Le président du Conseil constitutionnel
  5. Le président du Haut Conseil de la fatwa et des recours
  6. Le président du Conseil économique, social et environnemental
  7. Le président de la Cour suprême
  8. Le président de la Cour des comptes
  9. Le président de la Commission nationale des droits de l’homme
  10. Le gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie
  11. Le gouverneur adjoint de la Banque centrale
  12. Les membres du Conseil constitutionnel
  13. Les magistrats
  14. Les présidents de conseils régionaux
  15. Les maires gérant un budget annuel supérieur à un seuil fixé par décret
  16. Les secrétaires généraux des ministères ou assimilés
  17. Les chefs d’état-major de l’armée, de la gendarmerie et de la garde
  18. Les chefs de missions diplomatiques et consulaires
  19. Les walis
  20. Le directeur général de la sûreté nationale
  21. Le directeur général de la protection civile et de la gestion des crises
  22. Les directeurs des douanes, du Trésor, du budget et des impôts
  23. Les comptables des forces armées, de la gendarmerie et de la garde
  24. Le responsable du cadastre
  25. Les directeurs des finances dans les ministères ou assimilés
  26. Les hakems (préfets)
  27. Les directeurs et présidents de conseils d’administration des établissements publics
  28. Les directeurs de projets publics et agences autonomes financièrement
  29. Les comptables principaux de l’État et ceux des entités publiques dépassant un certain seuil budgétaire
  30. Le président et les membres des autorités de régulation
  31. Le président et les membres des organes d’inspection et de contrôle
  32. Le président et les membres des commissions des marchés publics
  33. Les membres de l’autorité nationale de lutte contre la corruption
  34. Les responsables d’ONG bénéficiant d’un financement public dépassant un seuil défini par décret
  35. Toute personne désignée par un autre texte législatif comme soumise à l’obligation de déclaration