La récente arrestation de Khaled Chelly, PDG de Tunisair, pour des accusations graves allant de l'abus de pouvoir à la corruption, rappelle douloureusement aux Mauritaniens le triste sort de Mauritania Airways, une compagnie aérienne autrefois prometteuse, désormais tombée en désuétude. Alors que les autorités tunisiennes, sous l'impulsion du président Kaïs Saïed, intensifient la lutte contre les diplômes falsifiés et autres malversations au sein de Tunisair, les déboires de la filiale mauritanienne, Mauritania Airways, font écho à cette affaire, révélant une gestion calamiteuse qui n’a jamais été véritablement sanctionnée.
Khaled Chelly : Le nouvel épisode d’une saga tumultueuse
Dans la nuit du 30 au 31 juillet 2024, Khaled Chelly a été arrêté à son domicile avant d’être écroué, suite à l’émission de mandats de dépôt par le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Tunis. La justice tunisienne le soupçonne de corruption, de faux et usage de faux, ainsi que de pots-de-vin, des accusations qui viennent s’ajouter à une liste déjà longue de scandales entourant la gestion de Tunisair. Cette arrestation s'inscrit dans le cadre d'une vaste campagne de "purge" au sein de la compagnie, initiée par Kaïs Saïed en avril 2024, visant à éradiquer les pratiques frauduleuses ayant entaché l’image de la compagnie nationale tunisienne.
Le spectre de Mauritania Airways
Pour les Mauritaniens, cette affaire n'est pas sans rappeler le fiasco de Mauritania Airways, une société dont la gestion chaotique par Tunisair a conduit à sa faillite en 2011. Créée en 2007 dans le cadre d’un partenariat tuniso-mauritanien, Mauritania Airways a rapidement sombré sous le poids de la mauvaise gestion, des détournements de fonds et des choix stratégiques désastreux.
À titre d’exemple, nommé en janvier 2007, Moncef Badis, alors directeur général de Mauritania Airways, s'est octroyé un salaire de 8 000 euros, en plus du remboursement de tous ses frais. Pour faciliter la gestion de l'entreprise, il a fait embaucher son propre neveu, Monsieur Akri, comme directeur financier. En moins de trois ans, les dépenses inconsidérées, les avantages mirobolants, la surfacturation, les fausses factures, et les frais de missions injustifiées ont mis la compagnie à genoux.
L’une des transactions les plus révélatrices de cette mauvaise gestion est la location par Mauritania Airways, en février 2007, d'un Airbus A320. Selon un document publié par Jeune Afrique , cet avion avait été sous-loué à Tunisair par une obscure société suisse, Jet Club AG, pour ensuite être refacturé à Mauritania Airways à hauteur de 11,6 millions d'euros, alors que Jet Club AG le louait elle-même pour seulement 3,4 millions d'euros, maintenance, assurance et personnel compris. Les experts estiment que le tarif normal aurait dû se situer entre 2 et 3,5 millions d'euros.
La société Jet Club AG, dissoute peu après cette opération en 2009, était administrée par des prête-noms, et son actionnariat réel est demeuré inconnu. Toutefois, il est fortement soupçonné qu'elle ait servi de société écran pour certains dirigeants de Tunisair de l’époque, permettant ainsi de détourner des fonds au détriment de Mauritania Airways.
Une gestion opaque et des responsables impunis
L'exemple de Redha Jemael, ancien directeur général de Mauritania Airways, est emblématique de cette impunité. Après avoir quitté la Mauritanie en janvier 2011, il a été brièvement incarcéré à Nouakchott, avant d'être libéré sous caution. Jemael, tout comme d'autres dirigeants impliqués dans la gestion de Mauritania Airways, a pu échapper à une justice stricte, bénéficiant de complicités et de protections au sein de Tunisair.
La faillite de Mauritania Airways a laissé près de 180 employés mauritaniens sur le carreau, tandis que Tunisair a continué d’imputer une partie de ses charges à sa filiale mauritanienne, malgré sa fermeture. Ce scandale n'a jamais été pleinement éclairci, et beaucoup des responsables de l'époque continuent d'évoluer dans les cercles de pouvoir, à l’abri de toute véritable sanction.
Un appel à la vigilance et à la justice
L’histoire de Mauritania Airways est un avertissement clair pour la Tunisie et les autres nations partenaires : sans une gestion rigoureuse et transparente, les entreprises publiques, aussi prometteuses soient-elles, sont vouées à l’échec. Les Mauritaniens avaient tiré la sonnette d'alarme à l'époque, en vain. Aujourd'hui, alors que Tunisair est à nouveau au cœur d'un scandale, il est impératif que les leçons du passé soient retenues.
La justice doit faire son travail sans complaisance, et les autorités doivent prendre les mesures nécessaires pour éviter que de telles dérives ne se reproduisent. Seule une coopération étroite entre la Tunisie et la Mauritanie, basée sur la transparence et la responsabilité, permettra de réparer les torts causés et d’éviter que l’histoire ne se répète.