Le Calame - Nos forces armées nationales furent fondées à la veille de l'Indépendance, le 25 Novembre 1960 par la loi 60-189. Cette date est depuis célébrée en Fête des forces armées même si elle fut, un temps, détrônée par le 10 Juillet.
Cette année, la commémoration est celle du 61èmeanniversaire de sa fondation « sur le papier » mais c’est plutôt celle du 60ème, du point de vue « concrétisation et mise sur pied de ces forces armées sur le terrain ».
C’est en effet l’an 1961 qui connut la signature des accords de Paris, le 19 Juin, prévoyant, dans leur annexe1, une assistance technique et le transfert au gouvernement mauritanien des moyens suivants.
Forces Terrestres : organes de commandement et d'instruction ainsi que des éléments de service ; formation d’une infanterie de la valeur d'un bataillon à trois compagnies; un élément de reconnaissance de type « Groupe nomade motorisé » ; une section de parachutistes; deux pelotons de transport et une section de génie.
Gendarmerie: organes de commandement et éléments de services ; vingt-cinq brigades ; quatre pelotons mobiles et un peloton d'escorte.
Aviation: organes de commandement et éléments de services ; trois appareils de type Broussard et un appareil C47 Dakota.
Forces maritimes : un élément de surveillance côtière.
Il s'agissait, pour fixer un ordre de grandeur, de l'effectif des forces terrestres cédées par l'armée française, soit mille soixante hommes, ce qui donnait, dans l'organisation française de l'époque, cinq cent quarante combattants appelés à protéger une frontière d'environ cinq mille kilomètres.
Le transfert de ces moyens s'effectua á partir du 7 Août 1961, date de l'arrivée de l'officier supérieur français désigné chef d’état-major national. La machine se mit alors á rouler.
Travail urgent
À la fin du mois d'Août, le 4èmebureau commençait à fonctionner et ainsi de suite. La mise en place de l’état-major national ne fut pourtant formalisée que plus tard, par le décret 62-003 du 2 Janvier 1962, année retenue dans les accords comme début de la prise en charge, par l'État mauritanien, sur les plans administratif et financier, des éléments cédés par la France.
Conscient du fait que l'institution militaire est la charpente voire l'essence même de l'État, surtout s’il est contesté, le travail était urgent, inlassable et d’autant plus résolu qu’il était suivi par le président Moctar ould Daddah en personne, même s'il était assisté par un secrétaire général á la Défense.
Il fallait disposer au plus vite de cet outil propre de souveraineté, sachant que la défense extérieure était assurée par la France avec laquelle le pays était lié par des accords. L'œuvre engagée était intégrale et globale, couvrant un large spectre d'aspects : organisationnels, statutaires, administratifs, judiciaires, opérationnels, etc.
L'encadrement officier national était embryonnaire : juste de très jeunes cadres d'âge et de grade très rapprochés, même s'ils jouissaient d'aptitudes au commandement et d'expériences très variables, selon qu'ils sortaient d'une grande école, avaient suivi un stage d'application ou possédaient seulement le bagage léger d'un officier de réserve.
Dans le contexte d'indépendance – un pays neuf où tout est á construire… – le pouvoir politique national était objectivement dans le besoin de recourir á une expertise étrangère exclusivement française pour des raisons plus qu'évidentes. Feu le président Moctar ould Daddah fit venir, pour ce chantier héroïque d'une si chère armée nationale, un général á la retraite, en qualité de conseiller du gouvernement, des officiers et sous-officiers en activité détachés pour assurer les fonctions de commandement (état-major, encadrement et tâches techniques).
Cette initiale œuvre fondatrice allait produire et forger le socle fort fiable qui façonnerait longuement, sinon durablement, les forces armées mauritaniennes et qui continue, aujourd’hui même, á marquer de son empreinte ses textes fondamentaux.
Loin de toute charge idéologique, il n'y a pas ici de quelconque nostalgie envers l'ère coloniale, dénonciable et non vécue heureusement, ni, à l'inverse, la moindre irritation vis-à-vis de l'apport louable de la France au moment critique de notre accession à l'indépendance – abstraction faite de ses intérêts propres en cette affaire –je trouve simplement juste et dénué de tout complexe d'évoquer la mémoire de deux officiers généraux français compétents et valeureux qui accompagnèrent la genèse et l'édification de nos forces armées, en leur faisant bénéficier, à leurs débuts, de leurs expériences, talent et énergie.
Ils ont réussi à faire, d'un morceau amputé á l'armée française, privé de mission, la base d’une armée mauritanienne moderne et bien articulée qui sut affronter, plus tard, de dures épreuves.
Un mauritanien aux commandes
Je parle des généraux Édouard Méric (1901-1973) et Paul Mourier (1919-2009 ?). Alors commandant puis lieutenant-colonel de grade, le second fut le premier Chef d'Etat-Major National (CEMN, de 1961 á 1965).Appelé en qualité de conseiller du gouvernement, le général Méric effectua, quant à lui, quatre missions entre 1961 à 1965.
La première, en Août 1961, n'était qu'une prise de contact ; la seconde, en Février 1962, revêtait une importance particulière : elle avait pour objet de suggérer les tâches susceptibles d’être confiées á l'armée mauritanienne et l'organisation qu'il conviendrait de lui donner, dans le cadre d'un budget déterminé, pour lui permettre de remplir celles-là avec le maximum d'efficacité.
La troisième mission, en Août 1963, fut une mission de contrôle. Il s'agissait de mesurer le chemin parcouru et celui restant á parcourir. La quatrième et dernière mission, en 1965, visait á porter un jugement sur l'œuvre accomplie par les cadres mauritaniens aidés par l’assistance technique et d'en tirer des conclusions dans la perspective d'une relève mauritanienne sur le plan commandement.
Alors seulement au grade de commandant lorsqu'il occupa le poste de CEMN, le futur général Mourier vécut une expérience inédite et toute particulière, pour son âge et grade : doter une jeune armée de ses structures, textes, infrastructures et cadres tout en restant maître d'un budget dans son élaboration, affectation et exécution.
La vision était très large et brossait l'ensemble de la toile : armées de terre, air et mer ; gendarmerie, garde et goums nationaux. Avec de bonnes questions : qui fait quoi? Dans quel but ? À quel prix ? Et, enfin, qui doit rester ou disparaître ?
Le travail auprès des cadres officiers était tout particulier et digne de leçons á tirer car il fallait faire, d’un petit nombre, comme dit tantôt, de jeunes officiers presque de même grade et d'âge, une hiérarchie artificielle qui puisse correspondre á l’organisation d'une armée moderne.
Les sous-lieutenants les plus âgés, réputés ou supposés plus sages, firent l'objet d'avancement en grades successifs et précoces – sans respect, donc, des échéances classiques – et ce fut notamment le cas de Mbarek Bouna Moktar, Moustafa Mohamed Salek, Mohamed Mahmoud ould El Housseïn, Ahmed ould Bousseïf, etc.
Avec cette leçon que les inégalités sont parfois nécessaires au bon fonctionnement de la vie... Si elles n'existent pas, il faut en produire ! Si ce fut le cas dans l'Armée, au lendemain de l'Indépendance, je crois qu'il en fut de même, dans une certaine mesure, pour les hommes d'affaires...
L'année 1965 arriva. Notre armée nationale avait désormais pris ses assises définitives, il fallait passer le flambeau. Alors le capitaine Mbarek fut promu CEMN avec le capitaine Moustafa ould Mohamed Salek pour adjoint et chef de la DIRection Opérations et instruction (DIRO).
L'Armée volait désormais de ses propres ailes avec un national aux commandes, l'épopée française était terminée et ce fut le temps du retour pour les deux officiers avec la satisfaction du devoir hautement accompli. Quant à nous, ce jour d'anniversaire 2021 des Forces Armées Nationales nous aura donné l’occasion de leur témoigner reconnaissance et remerciements.
Commandant (E/R) Mohamed Ould Cheikhna