RTL - Opinion divisée, médias critiques, parlementaires mobilisés: après huit ans d'intervention militaire ininterrompue au Sahel, des voix de plus en plus nombreuses s'interrogent en France sur la pertinence de cet engagement, à l'heure où l'exécutif réfléchit à l'alléger.
La mort récente de 5 soldats français au Mali en une semaine a déclenché un vigoureux débat sur la plus grosse opération extérieure française que constitue la force Barkhane, forte de 5.100 hommes, qui lutte contre les groupes jihadistes et tente d'aider les Etats à restaurer leur autorité dans une région semi-désertique grande comme l'Europe.
Pour la première fois depuis le déclenchement en janvier 2013 de l'opération Serval, à laquelle a succédé Barkhane en 2014, la moitié des Français (51%) ne soutiendraient plus cette intervention au Mali, selon un sondage Ifop publié lundi. Seuls 49% des personnes interrogées y sont encore favorables, contre 73% en février 2013 et 58% fin 2019.
Cette enquête d'opinion réalisée sous le coup de l'émotion, quelques jours seulement après des pertes françaises dans la région, fait malgré tout écho à une impatience grandissante, au Parlement comme dans les médias français, face à des résultats mitigés.
"La France face au bourbier malien", titrait mercredi l'éditorial du quotidien Le Monde, en soulignant que les opérations menées au Sahel "ont certes mis hors d'état de nuire plusieurs chefs djihadistes, mais n'ont empêché ni la montée des violences entre civils, ni les percées islamistes au centre du Mali".
"Le coût humain et financier de l'opération est sans rapport avec les bénéfices tirés", tranche de son côté Bastien Lachaud, député de La France Insoumise (extrême-gauche), soulignant qu'"aucun attentat sur le sol français n'a été organisé depuis la zone saharo-sahélienne".
"Nos forces font un travail exceptionnel, mais si Barkhane peut gagner des batailles, ce n'est pas à elle seule de gagner la guerre", estime pour sa part le député de la majorité présidentielle Thomas Gassilloud, souhaitant plus d'implication des Etats sahéliens.
- "Se retirer, non. Muter, oui" -
En janvier 2020, au sommet de Pau (sud de la France), le président français et ses homologues du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) avaient décidé d'intensifier la lutte antijihadiste pour enrayer une spirale de violences.
Barkhane a depuis remporté d'indéniables victoires tactiques aux côté d'armées locales plus mobilisées, en particulier contre l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) dans la zone des "trois frontières", aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
Mais les pouvoirs centraux de ces pays, parmi les plus pauvres du monde, peinent à réinvestir ces territoires reculés et à offrir protection, éducation et services de base aux populations.
L'autre groupe jihadiste actif dans la région, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, propose précisément des alternatives à cette pénurie de services essentiels, espérant conquérir les populations locales. Et il a repris de la vigueur opérationnelle, représentant désormais le coeur de cible des militaires français et maliens.
Après l'Assemblée nationale mardi dernier, c'est au Sénat, mercredi prochain, que la ministre des Armées Florence Parly devra défendre le bilan de Barkhane et répondre à une rafale de questions sur l'avenir de l'opération française.
"Nous visons à ce que les forces armées du Sahel aient la capacité d'assurer la sécurité au Sahel" mais "c'est une stratégie qui nécessite des efforts dans la durée", a fait valoir la ministre, tout en dénonçant de multiples tentatives pour discréditer l'action française.
"Il existe une sorte de guerre informationnelle" menée par la Russie, la Turquie, mais aussi les jihadistes, que l'état-major soupçonne d'avoir attisé une récente rumeur de bavure de l'armée française, catégoriquement démentie.
Ces débats interviennent à l'heure de choix difficiles pour l'exécutif, qui veut faire évoluer le dispositif de Barkhane pour se ménager une porte de sortie alors qu'approche l'élection présidentielle de 2022, et ce sans pour autant risquer de voir les jihadistes regagner du terrain.
Un nouveau sommet mi-février à N'Djamena doit acter un premier retrait de 600 militaires envoyés en renfort il y a un an, à la faveur de l'arrivée de troupes européennes pour épauler les Français.
"Aujourd'hui Barkhane doit muter", estimait mercredi le colonel Raphaël Bernard, ancien haut gradé au sein de Barkhane, devant l'Association des journalistes de défense.
"Se retirer, non. Mais il faut aller vers une réduction de notre empreinte sur le terrain tout en apportant aux armées locales des outils à haute valeur ajoutée, renseignement, drones, frappes, aéromobilité, pour les appuyer n'importe quand, n'importe où", suggérait-il.