Aujourd’hui s’ouvre à Nouakchott le 4ème round de négociations de l’Accord de partenariat de pêche durable (APPD) entre notre pays et l’Union Européenne. Ces négociations interviennent alors que des vagues de pratiques clientélistes dans la distribution des quotas fragilisent la position des négociateurs mauritaniens, quant à la gestion précautionneuse des ressources, ouvrant la voie à plus de turpitudes dans ce secteur.
La Zone Economique Exclusive de la Mauritanie couvre une aire marine de 230 000 km² et selon le Code de Conduite Pour une Pêche Responsable de la FAO, les Etats devraient « s’assurer que l’effort de pêche soit proportionnel à la capacité de production des ressources halieutiques et leur utilisation durable». C’est là un principe dont l’objectif est de concilier le droit de pêcher et la « conservation et la gestion des ressources bio-aquatiques». Malheureusement, dans notre pays, ces principes sont souvent sacrifiés à l’autel d’une forte présomption de corruption et d’un déficit aigu, chez les responsables en charge de la gestion des ressources, du sens de la responsabilité.
La dernière évaluation de la stratégie de pêche 2014-2019, faite à Nouadhibou, et tout le boucan qu’elle a soulevé, n’a pas seulement montré les limites de sa mise en œuvre mais aussi et surtout les pratiques de clientélisme voire de la corruption dans la distribution des quotas des pêches à des membres du gouvernement sous Aziz, des hommes de son sérail, de femmes bien introduites, et d’amis personnels de l’actuel ministre…C’est dans ce contexte que se poursuivent les négociations en vue d’un renouvellement d’un nouvel accord de pêche avec l’Ue alors que l’ancien régime avait jeté son dévolu sur les chinois. Mais apparemment, le ministère des pêches est rattrapé par ses déviations avec la mise en place d’une commission parlementaire chargée de faire la lumière sur l’accord avec Poly Hong Dong, signé en 2010 et dont une première évaluation avait faite en catimini en 2015.
APPD, un énième round
La rencontre organisée lundi à Nouakchott se penche encore sur la mouture d’un nouvel accord qui a expiré et d’un nouveau protocole avant sa conclusion définitive prévue d’ici septembre 2020 à la suite de la décision des deux parties de sa prolongation d’une année.
Une situation transitoire qui visait à permettre "la poursuite des activités de pêche des opérateurs de l’UE dans les eaux mauritaniennes à partir du 16 novembre 2019" au profit d’une centaine de bateaux européens.
Le premier accord signé le10 juillet 2015 à Nouakchott, portait sur un accord de 4 ans autorisant les pêcheurs européens à opérer dans les eaux mauritaniennes.
Dans le précédent accord, les bateaux européens sevrés de poulpe pouvaient cependant avoir accès à près de 300 000 tonnes de poissons (crevette, thon et petits pélagiques…) contre des redevances financières de 61,62 millions d’euros par an, dont 57,5 millions d’euros pour l’accès aux eaux et 4,12 millions d’euros pour soutenir les communautés de pêcheurs locales en Mauritanie ». Mais l’accord supposait que si les autorités mauritaniennes donnaient accès à l’exploitation par un armement étranger au poulpe, la partie européenne serait prioritaire. Il n’en a jamais rien été.
Violation de la loi
Outre les nombreux écueils, la polémique suscitée lors de la rencontre d’évaluation de la mise en œuvre de la stratégie 2015-2019 montre que le ministère des pêches a péché par le manque de transparence quant à l’accès à la ressource. On n’y prêtait pas beaucoup garde mais la loi a été faite sur mesure de sorte que ce soit le ministre des pêches qui tiennent les bourses des quotas. Ce qui en dit long des dépassements et le favoritisme dans la gestion de la ressource halieutique et le déficit d’équité et de justice entre les usagers. Car, selon la loi, «le contrat de concession est établi selon un modèle approuvé par arrêté du ministre chargé des pêches » (article 27, alinéa 4 Code des pêches).
Une réalité corroborée par les derniers témoignages de l’ancien directeur de la pêche industrielle (http://mauriweb.info/node/7881) concernant les autorisations, les quotas de pêche ainsi que les concessions du domaine public maritime et les autorisations de construction d’usines de farine de poisson. Toutes ces pratiques remettent à la surface de forts soupçons de corruption, de favoritisme et de dilapidation de la ressource halieutique nationale. Mais un malheur ne vient jamais seul. La pratique dans la mise en œuvre de la stratégie de pêche basée sur les quotas sous le fallacieux baromètre du Total admissible de capture (TAC) vole en éclat avec la violation flagrante du code des pêches et notamment son article 32. Celui-ci dispose, en effet, qu’il «est institué un registre des concessionnaires des droits d'usage qui spécifie notamment le détenteur du droit, la date d'allocation, la ressource concernée, le support et la durée. Ce registre est rendu public. Le registre des détenteurs des droits d'usage est tenu à jour pour prendre en considération toute évolution dans l'allocation des droits d'usage ». Or, aucune publicité n’est donnée à ce registre. Le ministère a-t-il intérêt à faire patte blanche ? Il est permis d’en douter avec les révélations de plus en plus notoires de « clients » particuliers sur cette liste « VIP ». Pour le suivi donc des concessionnaires des droits d'usage, c’est la nuit et le brouillard. Seul le ministre (et l’ancien président) et quelques-uns de ses collaborateurs savent à qui ce sésame a été délivré. La transparence érigée en étendard en prend un sérieux coup malgré l’engagement des autorités avec la FiTi pour une transparence totale dans le secteur des pêches et dont notre pays est le premier signataire.
Le nouveau régime hérite encore d'une autre situation dramatique dans ce secteur où les premiers responsables continuent de se sucrer au détriment de la communauté nationale et dans l'impunité jusqu'ici garantie.
Mais selon toute vraisemblance, une grande partie des quotas délivrés par le ministère des pêches, ces dernières années, alimentent un véritable fonds de commerce dont tirerait profit des sociétés chinoises qui ont pignon sur rue (nous y reviendrons).
JD