Gilles Yabi, directeur du think tank ouest africain Wathi, est habitué du Forum International sur la paix et la sécurité en Afrique de Dakar. Il analyse les raisons du phénomène jihadiste en Afrique dans un entretien exclusif avec APA.La violence jihadiste longtemps limitée au Mali s’étend désormais au-delà des frontières de ce pays. Pourquoi ?
Les groupes armés qualifiés de jihadistes ou se revendiquant comme tels n’ont que faire des frontières nationales. Ils s’implantent là où l’occasion se présente. A chaque fois que le contexte politique, économique et socioculturel est fragile, ils en profitent. L’absence ou la faiblesse de l’empreinte d’États effectifs, organisés et bienveillants à l’égard des citoyens les aide beaucoup.
Ils ciblent tout espace où une grande partie des citoyens se lève tous les jours travail, sans espoir d’améliorer leur quotidien, sans offre sérieuse des gouvernements sur le plan éducatif, culturel, social ou politique qui justifierait de rêver d’un futur meilleur et de préserver le présent. Dans ce contexte, n’importe quel homme doté d’un peu d’intelligence, d’argent et d’armement peut très rapidement créer son groupe armé prêts à mener des actions violentes localisées.
Les problèmes du Sahel dépassent donc l’existence de ces groupes?
Ce n’est pas le problème majeur. Le vrai problème est la facilité avec laquelle ces groupes émergent et s’installent dans de nouveaux espaces, retournent des acteurs locaux influents, expulsent les derniers agents de l’Etat comme les enseignants, attisent des conflits entre communautés autour de l’accès aux ressources en fournissant armes et discours de mobilisation.
Certains experts redoutent l’extension de la menace jihadiste à des pays jusqu’ici épargnés, notamment dans le Golfe de Guinée voisin du Sahel. Peut-on prévenir une éventuelle contagion?
Le seul rempart c’est la consolidation des États et celle des sociétés qu’ils sont censés servir. Les Africains en général et les Sahéliens en particulier ont besoin de valeurs partagées, de projets d’avenir pour les jeunes et d’un renforcement régulier des ressources humaines, matérielles et immatérielles de toutes les institutions.
La vérité est qu’on n’en prend pas clairement le chemin dans beaucoup de pays. Au Sahel, comme dans d’autres pays, les tensions politiques s’aggravent et le tissu social se fragilise, ce qui rend difficile la négociation par exemple de pactes nationaux très utiles pour faire face les défis multiformes auxquels la région fait face.
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