La Mauritanie connait, depuis un peu plus d’une décennie, une nette recrudescence de la vente, de la consommation et du trafic à grande échelle de la drogue et des substances psychotropes. La fréquence des faits est telle que certains n’hésitent plus à se demander si le pays n’est pas devenu une plaque tournante d’un vaste réseau sous-régional de trafic des stupéfiants.
Aicha Khairine est présidente de l’Association mauritanienne de lutte contre l’addiction aux stupéfiants. Elle mène une lutte sans merci contre ce redoutable fléau qui fait des dégâts en Mauritanie y compris dans son propre entourage.
«Je suis avant tout soucieuse de préserver l’avenir de mes enfants et ceux des autres mais je suis surtout directement interpellée par ce redoutable phénomène car, j’ai dans mon entourage immédiat un parent sous l’addiction de la drogue. J’ai décidé de prendre sur moi d’engager une lutte contre ce fléau” dit cette mère de famille d’une quarantaine d’années. “La lutte que je mène est orientée en premier lieu vers les pouvoirs publics pour qu’ils mettent fin au dangereux trafic de drogue et de substances assimilées, un trafic malheureusement en pleine expansion ces derniers temps. Mais elle est également orientée vers la population, et les jeunes en particulier, pour les amener à prendre conscience des dangers qu’ils encourent en consommant de la drogue » précise-t-elle.
A travers ses propos, Aicha Khairine se fait l’écho d’un malaise vécu par de nombreuses familles en Mauritanie, un pays frappé de plein fouet par un trafic tentaculaire de substances dangereuses (alcool, haschich, héroïne, cocaïne).
Recrudescence des faits liés à la drogue
En effet, la Mauritanie comme la plupart des pays de la sous-région ouest-africaine, est traversée par un vaste réseau de trafic de drogue. Plusieurs faits corroborent cette tendance. Il s’agit, entre autres, de la rocambolesque affaire de saisie en 2007 à Nouadhibou de 21 caisses plastifiées contenant 630 kilos de cocaïne à bord d’un avion, mais aussi de la prise plus récente de deux tonnes de cocaïne entre Nouakchott et Nouadhibou en février 2016, et la saisie la même année d’une tonne de cocaïne, dans un bateau mouillant au large du Port Autonome de Nouadhibou ou encore la saisie en janvier 2017 d’une importante quantité de drogue entassée dans une maison dans le quartier Moutavajirat à Nouadhibou.
« Ces saisies, aussi significatives soient-elles, ne représentent que la face émergée de l’iceberg. En réalité le trafic de la drogue en Mauritanie est beaucoup plus étendu. Avec une très vaste superficie quasi incontrôlable et des frontières encore très poreuses, la Mauritanie est une zone de prédilection pour toutes sortes de trafic » confie Djibril Sy responsable de SOS pair Educateurs, une association qui lutte contre la propagation du VIH et la drogue en Mauritanie.
Les axes du mal
Selon Aboumaaly, directeur de l’Agence Nationale de l’Information (ANI) et fin connaisseur de la question jihadiste au Mali, le trafic de drogue au niveau de la frontière nord de la Mauritanie est très étendu et bien organisé. « Des convois de plusieurs véhicules transportent régulièrement de la drogue qui transite par la Mauritanie en provenance du Maroc et qui est acheminée soit en Europe, soit en Egypte en passant par la Libye, soit au Tchad en passant par le Niger et le Nigeria. Les trafiquants de ces produits illicites sont Marocains, Mauritaniens, Maliens et Algériens” explique-t-il. Un trafic qui selon lui ne concerne pas directement les combattants Jihadistes, mais ces derniers bénéficient toutefois des services des trafiquants. “Ils ravitaillent les jihadistes en armes, en gasoil, en produits alimentaires et en médicaments » précise Aboumaaly indiquant que les produits de ce commerce multi-directionnel sont essentiellement la cocaine, en provenance d’Amérique du Sud via l’Afrique de l’Ouest (Ghana, Guinée, Guinée Bissau) et le cannabis, provenant du Maroc.
n autre trafic, jugé de moindre importance par rapport à celui du nord, se joue dans l’axe sud de la Mauritanie. Il s’agit de celui d’alcool (interdit en Mauritanie) acheminé par de petits dealers à bord de véhicules de transport en commun. Les mêmes font aussi souvent de la contrebande de haschich. Les produits viennent très souvent du Sénégal voisin et du Mali par la frontière sud. En décembre 2016, une collaboration entre la police mauritanienne et la police sénégalaise a permis de mettre la main sur une bande de trafiquants dont certains se trouvaient à Kaeidi et d’autres à Boghé (deux villes du sud de la Mauritanie). L’arrestation des éléments de cette bande avait conduit à celle de leurs ravitailleurs du côté sénégalais.
Le troisième axe est celui emprunté par les gros trafiquants qui déploient des moyens colossaux pour l’acheminement de leurs produits. C’est généralement de la drogue convoyée par voie aérienne au bord des avions qui atterrissent en plein désert et y déchargent leur cargaison. « En 2009 un avion en provenance de la Colombie a débarqué sa marchandise en plein désert au nord du Mali. Et pour effacer toute traces les trafiquants ont brûlé l’appareil après l’avoir vidé de son chargement » renseigne Aboumaaly. Ce fut également le cas en 2007 avec l’interception de 630 Kilos de drogue dure à bord d’un avion à Nouadhibou et huit tonnes de cocaïne dans un cargo battant pavillon colombien.
Un pays fragile et exposé
L’implication vraie ou supposée des autorités mauritaniennes dans le trafic des stupéfiants, la porosité de ses frontières, sa position géographique, la corruption endémique, la pauvreté ambiante, font de la Mauritanie un pays fragile exposé à tous les dangers. Sans compter que la frontière avec le Nord Mali, bastion des jihadistes, longue de plusieurs centaines de kilomètres, se trouve dans un no mans land difficilement contrôlable, laissant la voie libre au grand banditisme et aux trafics en tout genre.
La Mauritanie connait également une situation politique interne instable du fait de l’absence d’un consensus national. Cette instabilité politique est un frein à la création d’un front interne uni pour lutter efficacement contre l’influence des barons de la drogue.
Mais toutes ces faiblesses ne sauraient égaler le grand mal de la corruption aux effets dévastateurs. Les effets néfastes de cette corruption sont observés au niveau des frontières, des ports, des aéroports où il suffit de payer les services d’agents de sécurité ou des fonctionnaires pour se tirer d’affaire. Dès lors, il n’est pas étonnant que les trafiquants de drogue profitent de cette faille pour introduire leurs marchandises en toute quiétude. C’est cette implication des autorités mauritaniennes à différents échelons, qui expliquerait, selon un officier de police à la retraite qui a souhaité garder l’anonymat, la recrudescence de la contrebande.
Khalil Sow (dunevoices)